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Ce que la 5G pourrait changer pour les villes de demain
©Lionel Bonaventure AFP

Minute Tech

Le déploiement de la 5G va révolutionner notre quotidien et renforcer l'Internet des objets. Mais derrière des villes entièrement connectées facilitant au quotidien la vie des citoyens se cachent des questions encore sans réponses.

Bernard Benhamou

Bernard Benhamou

Bernard Benhamou est secrétaire général de l’Institut de la Souveraineté Numérique (ISN). Il est aussi enseignant sur la gouvernance de l’Internet à l’Université Paris I-Panthéon Sorbonne. Il a exercé les fonctions de délégué interministériel aux usages de l’Internet auprès du ministère de la Recherche et du ministère de l’Économie numérique (2007-2013). Il y a fondé le portail Proxima Mobile, premier portail européen de services mobiles pour les citoyens. Il a coordonné la première conférence ministérielle européenne sur l’Internet des objets lors de la Présidence Française de l’Union européenne de 2008. Il a été le conseiller de la Délégation Française au Sommet des Nations unies sur la Société de l’Information (2003-2006). Il a aussi créé les premières conférences sur l’impact des technologies sur les administrations à l’Ena en 1998. Enfin, il a été le concepteur de « Passeport pour le Cybermonde », la première exposition entièrement en réseau créée à la Cité des Sciences et de l’Industrie en 1997.

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Atlantico : La généralisation de la 5G laisse entrevoir un futur où chaque élément du quotidien serait connecté en permanence. Les promesses semblent de plus en plus folles : transports connectés, capteurs connectés, infrastructures semi-automatiques…

Bernard Benhamou : Cela nous semble lointain aujourd'hui parce que nous ne sommes en effet pas encore entrés massivement dans cette logique de l’Internet des objets. Ce que va permettre la 5G et que ne permettaient pas les anciennes technologies mobiles c'est de connecter d’autres appareils que des ordinateurs ou des smartphones pour des usages « gourmands » en bande passante. Les premiers de ces usages seront liés à l'automobile, et en particulier aux systèmes de navigation des automobiles autonomes. Mais l'on peut également penser au domaine des objets connectés de santé ainsi que des objets liés à la maîtrise de l'énergie ou de l'environnement. La 5G ne constituera donc pas seulement une rupture quantitative (en termes de débit) mais bien qualitative en ce qui concernera l’évolution des usages des objets connectés.

On peut s'interroger sur la crédibilité de certaines propositions ou sur la part que prendront les villes connectées. Selon vous quel avenir est le plus probable ?

Nous sommes en train de voir certains projets de villes connectées arriver à maturité, comme celui de Google à Toronto, qui posent des questions à la fois politiques et stratégiques par rapport à l'entreprise. Ce que ces objets connectés rendent possible c'est l’optimisation en temps réel des infrastructures urbaines, mais aussi l'aide à la décision pour les représentants locaux. Parallèlement aux technologies de communication que sont la 5G, les objets connectés eux-mêmes changent de nature à mesure que le prix des capteurs diminue. Ces capteurs deviennent en effet intégrables à moindre coût dans notre environnement quotidien pour maîtriser les flux liés aux transports ou contrôler la qualité de notre environnement. Cela pose aussi des questions comme celle de la généralisation des technologies de surveillance. Nos interlocuteurs chinois sont particulièrement friands de ces technologies de contrôle : on va bientôt atteindre le milliard de caméras vidéo connectées sur l'ensemble du territoire chinois…

Pour les acteurs de l’urbanisme, ces technologies constituent aussi une opportunité importante puisque les transports eux-mêmes vont changer au profit d’une logique de véhicules partagés de ce que les Anglo-Saxons appellent les "robots-taxis". Plutôt que des véhicules individuels qui dorment le soir sur une place de parking ou dans un garage, nous assisterons plutôt à l’essor de flottes partagées d’« Uber-sans-pilote » pour le transport des passagers mais aussi pour le transport de marchandises. Cela représente des enjeux industriels considérables pour les constructeurs de ces véhicules. Ainsi, le Financial Times évoquait récemment une étude qui montre que ces véhicules partagés pourraient en moyenne générer 20 fois plus de revenus au kilomètre parcouru que les véhicules traditionnels… Nous assistons à une évolution de la notion de ville durable avec ces technologies même si l'on n'a pour l'instant peu de certitudes sur les dates de réalisation de ces projets. Mais les incitations financières et industrielles sont telles, que ces projets ont des fortes probabilités de se réaliser.


Cette généralisation de la 5G ne risque-t-elle pas de creuser le fossé entre grandes métropoles et territoires urbains et périurbains ?

Nous pouvons être certains de quelques usages qui vont être faits de ces technologies mais dans le détail, l'évolution peut être différente. Si l'on avait demandé au début du XXIe siècle quelles seraient les prochaines évolutions majeures d'internet, on n'aurait probablement pas anticipé les réseaux sociaux. De la même manière, les usages futurs ne sont pas encore certains. La voiture connectée pourrait par exemple devenir une extension du cabinet médical avec des capteurs liés au suivi ou à la prévention des pathologies. À mesure que les véhicules deviendront autonomes, les passagers pourraient utiliser le temps libérés autrement pour accéder à des contenus audiovisuels… La voiture pourrait ainsi redessiner le paysage industriel des médias et de l’audiovisuel. Un exemple en a été donné par la prise de participation de Renault dans le groupe Challenges. De plus, le fait que ces véhicules ne nécessitent pas d’espaces des parkings dédiés au cœur des villes aura des conséquences sur la construction des voies de circulation ainsi que sur celle des immeubles eux-mêmes. Ces technologies seront donc structurantes pour l’ensemble de filières industrielles liées à l’urbanisme.

Est-ce que cela s’accompagnera des risques de fractures ? Oui, d'autant plus que la particularité des technologies 5G est qu'elles demandent des antennes plus nombreuses. Elles demandent donc des moyens plus importants, et évidemment les opérateurs auront tendance à favoriser les zones à forte densité de population et donc les métropoles plutôt que les zones rurales. Il y a donc une obligation de la puissance publique à ne pas reproduire les erreurs du passé comme lors de l’attribution des fréquences de la 4G, qui n’ont pas été accompagnées d'une obligation de couverture. De facto, l'État devra être stratège dans ces domaines pour ne pas reproduire des risques d'autant plus importants qu'il ne s'agira pas de technologies essentielles pour les transports, la santé, la maîtrise de l'environnement ou l'énergie. La régulation de ce secteur devra être plus exemplaire que pour les technologies précédentes. Il s’agira à l'échelle européenne de veiller à conserver des prix raisonnables pour les usagers mais aussi d’accompagner les acteurs industriels européens dans leur développement technologique et éviter là encore de devenir dépendant de solutions élaborées aux États-Unis… ou en Chine.

Quelles sont les questions d'ordre éthique soulevées par la généralisation de la 5G ?

Ces problématiques ne sont pas spécifiques à la 5G, elles sont communes à l'ensemble des technologies liées aux prochaines générations d’objets connectés. Une des questions qui se pose, est celle du risque d'ingérence par des États étrangers, c’est l’un des problèmes soulevés par l'affaire Huawei. Par définition ces technologies pourraient aussi devenir très facilement des technologies de contrôle social et politique à l’échelle de l'ensemble des populations. Il est aussi question de surveillance comme celle mise en place en Chine avec son "Crédit Social" qui permettra de noter (et contrôler) l’activité de chaque citoyen comme dans la série Black Mirror. Notre défaut de souveraineté en ce qui concerne la 5G pourrait donc nous coûter très cher tant d’un point de vue industriel que politique. Nos préoccupations européennes sur la protection des données personnelles ont en effet très longtemps été considérées par les industriels comme issues d’une vision passéiste des libertés voire comme l’expression d’un refus d’innover. Certains patrons comme Eric Schmidt de Google considéraient même que la vie privée était déjà devenue une chose du passé. Or les événements récents survenus à Facebook montrent que la vie privée représente une part essentielle de la capacité d'autodétermination des individus. À l’échelle des sociétés tout entières, comme l’a démontré le scandale Cambridge Analytica, la «somme» des informations personnelles peut déterminer le devenir de nos systèmes démocratiques… Est-ce que nous, Européens, pouvons observer de façon neutre une évolution à la chinoise de notre système politique ? La réponse est non ! Il nous faut pour cela établir des règles beaucoup plus strictes sur la protection des données et la sécurité des objets connectés. Or les objets connectés et leurs technologies ne sont que marginalement évoqués dans le règlement européen sur la protection des données personnelles (RGPD). Il nous faudra créer de nouvelles normes et des certifications pour établir des niveaux de sécurité et de protection pour chaque type d’objet connecté en Europe. Il nous faudra des appareils plus sûrs et plus protecteurs par rapport aux données personnelles. Ces objets connectés devront aussi être maîtrisables par leurs usagers et particulier ils devront pouvoir être «éteints» pour éviter qu’ils ne parlent d’eux sans leur consentement ! C’est ce que l’on appelle dans notre jargon le « Droit au Silence des Puces ». La mise en place de l’ensemble de ces régulations sera essentielle pour rendre acceptables ces technologies pour les citoyens et pour éviter que ne se réalisent en Europe des scénarios à la Minority Report… ou à la Black Mirror.

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