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Dérèglement climatique : les températures dans l’Arctique augmentent tellement rapidement que les algorithmes de l’agence américaine qui les suit ont cru à une erreur
©Reuters

Atlantico Green

Un algorithme de la NOAA (l'Agence américaine d'observation océanique et atmosphérique) a été pris au dépourvu par un relevé de température exceptionnellement haut dans la station météorologique de Utqiaġvik en Alaska.

Mikaa Mered

Mikaa Mered

Mikaa Mered est professeur de géopolitique des pôles Arctique et Antarctique à l’Institut Libre d’Étude des Relations Internationales (ILERI) à Paris. Son ouvrage Les Mondes polaires (PUF, 2019) sortira en librairie le 16 octobre.

 

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Atlantico : Un algorithme de la NOAA (l'Agence américaine d'observation océanique et atmosphérique) a été pris au dépourvu par un relevé de température exceptionnellement haut dans la station météorologique de Utqiaġvik en Alaska. Des températures si hautes que l'algorithme a considéré que c'était une erreur et n'a reporté aucunes données pour le mois de novembre. Selon vous, ces températures si hautes traduisent-elles une accélération du réchauffement climatique ?

Mikaa Mered : Je me range derrière l'avis qui fait très largement consensus dans la communauté des climatologues polaires, y compris en Chine et en Russie : nous sommes entrés dans une nouvelle ère climatique en Arctique, une nouvelle normalité ("new normal"). Les changements climatiques en Arctique s'accélèrent, à une vitesse bien supérieure à d'autres endroits de la planète. Toutefois, ils ne sont pas uniformes : les climats océaniques, littoraux et continentaux connaîssent des bouleversements différents. La plupart des zones arctiques, en particulier les zones littorales, se réchauffent, voire pour certaines verdissent, à une vitesse toujours plus importante, par l'effet conjugué de plusieurs facteurs d'origine humaine ou non qui créent un cercle vicieux que tous les relevés montrent et documentent parfaitement. Cependant, certains secteurs de l'Arctique stagnent, voire se refroidissent légèrement. De même, ce n'est pas parce que l'Arctique se réchauffe que tous les changements climatiques observés se manifestent par une chaleur accrue, notamment dans les zones sub-arctiques et intermédiaires. Les climatologues et même le grand public l'observent désormais tous les hivers aux Etats-Unis, et certains hivers en Europe et dans le Nord de la Chine : des vortex polaires apparaissent et apportent de épisodes de très grand froid dans des zones habituellement tempérées, même jusqu'au Texas ou au Portugal. C'est pourquoi il faut mieux parler de changements climatiques plutôt que de réchauffement, d'ailleurs. Donc en résumé, oui, l'affaire fait consensus dans la communauté : ces températures sont bien une expression concrète et irréfutable d'une accélération des changements climatiques, au moins en Arctique.

Est-ce que cet incident traduit également un manque de moyens octroyés à la NOAA et aux autres institutions du type à travers le monde ?

Cet incident ne traduit pas directement un manque de moyens octroyés à la NOAA mais met en exergue son importance stratégique à l'heure où l'administration Trump souhaite baisser son budget de 18% en 2018. Contrairement à ce que l'on peut souvent lire sur les réseaux sociaux, mesurer les changements climatiques n'est pas qu'une façon pour la communauté scientifique de justifier son existance ou encore un outil des gouvernements pour influencer le public ! L'importance d'organismes comme la NOAA, ou l'IFREMER et le SHOM en France par exemple, est capitale car le ou les pays qui ne comprennent pas, ne mesurent pas et ne parviennent pas à anticiper les changements climatiques se retrouveront en grande difficulté stratégique dans les prochaines décennies. En effet, sans une mesure poussée des changements climatiques et leur prise en compte dans les politiques publiques, c'est toute l'infrastructure d'un pays, d'une économie ou d'une région-capitale qui peut se retrouver à l'arrêt. Ne pas mesurer ces changements, c'est un risque stratégique pour les armées, notamment les marines et les garde-côtes, si dépendants d'une bonne compréhension des dynamiques océaniques. Ne pas financer la recherche en la matière, c'est s'empêcher d'anticiper ces bouleversements par l'investissement dans des infrastructures publiques adaptées ou par l'innovation privée. Bref, c'est se mettre tout simplement à la merci d'autres acteurs qui, eux, comprennent les changements climatiques bien mieux et savent en tirer un avantage politique, économique, voire militaire à terme. C'est d'ailleurs la stratégie de la Chine, qui investit en matière de recherche climatique toujours plus, d'abord avec une approche défensive ; et aujourd'hui, avec le désinvestissement de l'administration Trump, commence à parler d'avantage offensif.

Face à des relevés aussi alarmants que penser de l'intérêt public et politique qui est porté à l'observation des pôles et au réchauffement climatique tant au niveau international que national ?

Paradoxalement, l'intérêt public et politique pour les enjeux stratégiques des pôles reste très faible, y compris en France. En effet, si le thème de la préservation de l'environnement est un thème que les politiques maitrisent de plus en plus — comme en témoignent le dernier One Planet Summit ou le Climate Finance Day organisés en France — l'investissement pour la recherche, l'enseignement et l'innovation concernant les pôles et l'observation des changements climatiques n'est toujours pas à la hauteur des enjeux stratégiques. Il y a une prise de conscience claire au niveau des armées et dans certaines collectivités territoriales, notamment dans les outre-mer, mais elle peine encore à se traduire en budgets nationaux. Mais surtout, force est de constater que l'intérêt même de la sphère médiatique pour l'observation des pôles est plus que faible. Il suffit de voir le sort qui est réservé à Ségolène Royal, nouvelle ambassadrice des pôles, dont les médias ne parlent que pour se moquer ou pour traiter la question polaire par l'insolite, par l'anecdote ou pour évoquer une information exagérément alarmiste. La France s'est dotée en 2016 d'une "Feuille de Route Nationale sur l'Arctique" dont Mme Royal est chargée d'animer la mise en oeuvre mais personne ne l'interroge sur cette feuille de route, ricaner fait davantage vendre. Le jour où la sphère médiatique rentrera avec sérieux dans ces sujets, peut-être que le politique et le public s'y interesseront, eux aussi, avec tout le sérieux que la question mérite ; et cela est aussi valable aux Etats-Unis, au Royaume-Uni ou ailleurs. Là encore, la Chine, consciente de l'opportunité stratégique que représente le désengagement d'autres pays, montre, paradoxalement, l'exemple...

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