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#Jenaipasporteplainte, 
le hashtag qui dérange
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Revue de blogs

C’est l’histoire d’un hashtag né sur Twitter pour une campagne contre les violences sexuelles. Celles qui le veulent expliquent pourquoi elles n’ont pas dénoncé les viols dont elles ont été victimes. En Angleterre, ces témoignages ont été traités avec respect. En France, ils ont déchaîné les « trolls », un malaise, et une campagne.

Le 1er mars, le collectif Pas de justice pas de paix déposait symboliquement 70 000 plaintes pour viol, pour représenter les 70 000 femmes (une estimation) qui ne portent pas plainte après avoir été violées. Dans la foulée a été lancé sur Twitter un hashtag (mot clé), jenaipasporteplainte, traduction de ididnotreport, le mot-clé de la campagne lancée par London Féminist.

Vidéo de la campagne

Un succès « terrifiant »

Sur Twitter en français coule depuis un flot de témoignages très « dérangeants », comme les crimes tus : viols silencieux, sanglants, multiples, avec récidive, sous la menace, à tous âges. Jamais dénoncés, par honte, par peur, parce que trop petite, ou parce que c’est pire après. Du malheur brut, du malheur hard, à porter pour toujours (Ndlr : les noms de compte ont été volontairement effacés, les auteurs n’ayant pas publiés pour une publication hors Twitter).

#jenaipasportéplainte parce que j'avais 14 ans et que c'était mon prof

#jenaipasportéplainte 13 ans, un car de CRS au ralenti dans la rue, sifflements et "tu montes nous sucer", rires gras

#jenaipasportéplainte pce que j'étais entrée volontairement chez lui pour un verre & me sentais coupable de ne pas avoir vu la suite venir

#jenaipasporteplainte parce que je n'étais pas censée faire du stop ce jour-là, parce que j'ai eu peur de mes parents. C’était le fils du patron de ma mère #jenaipasporteplainte elle aurait perdu son boulot

#jenaipasporteplainte aussi pcq pour éviter les attouchements du kiné ma mère m’a dit de mettre des ss vêtements moins voyants moins jolis

#jenaipasportéplainte parce que c’était mon ami.

Une blogueuse, Hélène, a trouvé l’épithète qui s’impose, succès terrifiant :

« Ce qui l’est plus encore, c’est le silence des victimes, emprisonnées dans un mutisme honteux imposé de tous bords par la société, elles ne peuvent ou ne veulent réclamer justice. Alors qu’elles supporteront ce poids destructeur jusqu’à leur dernier jours, leurs agresseurs, eux, dorment sur leurs deux oreilles. »

La charge des trolls

Sortir du mutisme avait un prix, vite payé : les trolls, les commentaires gras, cruels, ou pire qui ont bombardé celles qui parlaient. Parmi les plus élégants (et de loin) :

#jenaipasportéplainte je suis sûr il y en a qui se touche en suivant ce tag

@A_C_Husson a posé une question : « Pourquoi #Ididnotreport (en Grande Bretagne) n'a presque pas été trollé alors que c'est l'horreur avec #jenaipasportéplainte (en France) ? ». @valerieCG lui a répondu : « #jenaipasporteplainte ça expliquera donc par la démonstration pourquoi on ne porte pas plainte ».

Face à la curée, le collectif PJD a demandé aux femmes qui témoignaient souvent sous leur vraie identité, ou aisément identifiables, de leur envoyer leur témoignage par mail, pour une publication anonyme sous son compte Twitter, ManifestePJP. Le fleuve y coule toujours, intarissable déversoir que la justice ignore, et dont il n’est pas sûr qu’elle sache la rendre si et quand elle est informée.

‏# Jenaipasporteplainte mais je le ferais bien si j’étais sûr que cela ne me porterais pas et jamais préjudice à MOI, mm si ça aboutissait pas.

Mais justement : ce n’est justement pas sûr, pas sûr du tout.

#jenaipasportéplainte Pc.qu'1 fille qui a porté plainte ds l'entourage d’un proche a juste obtenu une interdict. dapprocher maisil est libre.

#jenaipasporteplainte parce que les faits étaient mineurs et la policière a ri

#jenaipasporteplainte pcq on me croirait + si j portais plainte pr vol de sac à main, mobile ou agression verbale,mais ça pquoi prsn y croit ?

#jenaipasporteplainte La police m’a renvoyée chez moi et ses copains ont dit que je le cherchais bien. Ils l’ont vu me frapper et se sont tus.

Pourquoi ne porte-t-on pas plainte ?

Ce groupe de parole virtuel a aussi provoqué une vague de posts sur les blogs, parfois créé pour un seul témoignage. Pour expliquer très exactement pourquoi elles n’ont pas déposé cette fameuse plainte. Parce qu’il y a les viols que l’on ne peut pas prouver, dans l’intimité du foyer. Le témoignage de Daria est un rasoir :

« Il y a le sang et les vagins déchirés, les bleus sur les cuisses, les anus sanguinolents, les cheveux arrachés, les seins griffés. Et puis il y a ceux qui ne laissent aucune trace, même pas de sperme, ceux qui utilisent seulement leurs doigts, ceux qui voulaient juste se faire sucer. Il y a la honte puante de n’avoir rien à montrer, rien à prouver, pas de violence physique assez claire pour mériter un ITT, pas de petites lèvres à recoudre pour s’assurer que sa plainte sera prise au sérieux, qu’on ne se fera pas répondre qu’on l’avait bien cherché, avec cette jupe trop courte et nos yeux trop maquillés. Et pourquoi vous n’avez pas dit non ? Il fallait vous débattre si vous ne vouliez pas. Personne ne m’a dit ça. J’ai fait les questions et les réponses plusieurs fois, toute seule. C’est votre ami après tout. Je n’ai pas porté plainte parce que c’était de ma faute. J’aurais du le tuer. J’aurais du crier. J’aurais du fuir. J’aurais du me suicider. »

Une autre victime, qui, elle, a porté plainte, a ouvert le blog d’un unique post « Ce n’est pas de votre faute », pour incriminer les lois sociales, qui font d’une femme violée une gêne, et la justice.

« Ce soir-là, j’étais vierge, j’étais sortie faire un tour. Je fus agressée, je fus violée, (…) Si le viol est un cauchemar, le réveil peut parfois être encore plus brutal. Et ne pas pouvoir parler de cette fin du monde, qu’on vit peut être cent fois plus traumatisant que de la vivre. Ne pas pouvoir en pleurer ne pas pouvoir s’en plaindre ne pas pouvoir dire que l’on a peur, ou mal, ceci est un autre genre de crime : celui de laisser la victime porter seule la responsabilité de ce qu’elle a subi. Celui de ne pas l’assister. Celui de, parce qu’on a l’autorité classer le dossier aussi vite que l’on peut même si cela signifie forcer la victime à être à la merci de l’homme qui l’a déchirée. »

Un début de thérapie

Le « terrifiant » succès du hashtag a en quelques jours fait taire de nombreux « trolls » et a déjà offert aux participantes un peu de paix.

« Jenaipasporteplainte et vous ne pouvez pas savoir comme ça soulage d’en parler sur Twitter »

« Jenaipasporteplainte et merci parce que c’est la première fois que je le dis à quelqu’un »

« @vthiel_seed : Le silence prolonge le viol, enferme la victime ds sa douleur. #jenaipasportéplainte est 1 libération. Suivez @ManifestePJP »

Aujourd’hui, le hashtag qui dérange vient de passer la frontière et fait son chemin en Italie : #iononhodenunciato

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