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L'éolien en passe de dépasser le charbon en Europe... Mais de là à ce que nous chauffions avec cette électricité, la route est encore longue
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Tonnerre dans la presse : l'éolien dépasserait le charbon en Europe... Mais ce qu'oublient de dire les annonce, c'est que l'étude (réalisée par des professionnels du secteur) se base sur les capacités et non sur la production.

Myriam Maestroni

Myriam Maestroni

Myriam Maestroni est présidente d'Economie d'Energie et de la Fondation E5T. Elle a remporté le Women's Award de La Tribune dans la catégorie "Green Business". Elle a accompli toute sa carrière dans le secteur de l'énergie. Après huit années à la tête de Primagaz France, elle a crée Ede, la société Economie d'énergie. 

Elle est l'auteure de plusieurs ouvrages majeurs: Intelligence émotionnelle (2008, Maxima), Mutations énergétiques (Gallimard, 2008) ou Comprendre le nouveau monde de l'énergie (Maxima, 2013), Understanding the new energy World 2.0 (Dow éditions). 

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Les capacités européennes d'énergie éolienne ont dépassé l'année dernière celles des centrales à charbon. Selon vous, que signifie cette avancée de l’énergie éolienne ? Nous chaufferons nous bientôt avec de l’électricité renouvelable ?

Myriam Maestroni : De nombreux journaux se sont fait l’écho, ces derniers jours, du rapport, « Wind in Power »,  publié le 9 février dernier, par WindEurope, l’organisation professionnelle de l’industrie de l’éolien en Europe. Il est vrai que ce dernier affiche en première page un graphique révélant une information qui capte l'intention… pour la première fois, avec une capacité totale installée de 153.7 GW (gigawatts) -dont 141.1 GW terrestre et 12,6GW marin ou offshore- la capacité de production d’énergie éolienne vient de dépasser celle du charbon (152 GW) pour se situer en 2ème position, encore assez loin néanmoins derrière les centrales de production d’électricité alimentées au gaz naturel (186 GW).  L’ensemble de la filière de l’éolien, représentée par WindEurope (anciennement connue comme EWEA -European Wind Energy Association-), qui compte plus de 500 membres actifs dans 50 pays allant des principaux fabricants de turbines jusqu’aux producteurs et distributeurs d’électricité en passant par des instituts de recherche, des sociétés de conseil spécialisées ou encore des compagnies d’assurance ou d’investissements, peut d’autant plus se réjouir de cette nouvelle, qu’elle est le reflet de la forte croissance des investissements en matière d’éolien au cours des dernières années : plus de 27 milliards d’€ ont été investis sur la seule année 2016 soit 5% de plus qu’en 2015. Cela a permis d’installer, sur cette dernière année, une capacité de production éolienne de 12.5 GW (dont 10,923 GW onshore, et 1,567 MW offshore), soit 51% du total des nouvelles capacités de production électrique  installées en Europe (qui s’élève à 24.5 GW en légère récession  -6,3 GW de moins- par rapport à l’année précédente).

Les capacités en solaire photovoltaïque arrivent loin en 2ème position avec 6,7 GW (27% du total) suivies par celles en gaz naturel (3,1 GW soit 13% du total), et loin derrière par la biomasse (1.1 GW soit 4% du total), du charbon (243 MW soit 1%) et des déchets (154MW soit 0,6%). Un bilan qui doit s’analyser en perspective avec  les 12 MW de capacités de production d’énergies fossiles, environ, qui ont été fermées dans les différents états membres (7,5 MW en charbon, 2,3 MW en gaz naturel et 2,2 MW en fioul lourd), et qui contribuent également à accroitre la part de la capacité de production des énergies renouvelables. Ces chiffres laissent clairement apparaitre que les énergies renouvelables se taillent la part du lion, par rapport à l’ensemble des nouvelles capacités de production, puisque, à elles seules, elles comptent pour 86% du total (soit 21.1 GW sur 24.5 GW installés).

Une performance certes spectaculaire mais qui reste, encore marginale lorsqu’on la met en rapport avec la capacité totale de production électrique au niveau de l’Union Européenne. En effet, la capacité totale de production éolienne installée ne représente que 17% du total soit 153,7 GW sur 918.8 GW.  Lorsqu’on traduit cela en terme de couverture de la demande, les résultats sont encore moins bons. Ainsi, l’électricité produite à partir du vent a permis de produire environ 300 Twh -térawatt heure- (259 produit à partir d’installations on shore et 37 offshore) ce qui n’a permis de répondre qu’à 10,4% du total de la demande totale d’électricité au niveau européen en 2016 qui s’est élevé à 2.860 Twh en 2016. Il faut noter que ce taux de couverture moyen cache de grandes disparités entre les pays, les plus petits pouvant, bien sûr, mieux tirer leur épingle du jeu. Ainsi le  Danemark est aujourd’hui celui qui parvient à obtenir le meilleur taux de pénétration avec 37%, suivi de l’Irlande (27%) et du Portugal (25%). 11 pays sur les 28 membres de l’Union Européenne (UE-28) affichent un taux de pénétration de l’éolien supérieur à 10%.

La tendance en faveur de la production d’électricité renouvelable (EnR) semble bien s’inscrire dans la logique durable qui caractérise ce début de XXIème siècle. En 2000, les nouvelles capacités de production en EnR représentaient moins de 20% du total des nouvelles installations (2,7GW). Depuis lors, la croissance nette des capacités installées en éolien (142,6 GW), en solaire photovoltaïque (101.2 GW) et en gaz naturel (98,5 GW) commence à transformer le mix électrique. D’autant qu’il s’agit de prendre également en compte la réduction des capacités en énergies fossiles, qui ont chuté tant pour le fioul lourd (-37,6 GW), que pour le charbon (-37,3 GW) ou encore le nucléaire (-15,5 GW). Ainsi, bien que le gaz naturel reste l’énergie traditionnelle encore la plus significative avec et une croissance nette de ses capacités installées depuis 2000, de 93,5 GW, il est devenu impossible de ne pas souligner l’effort réalisé, depuis 2010, par les différents pays européens qui se sont dotés au global de 21 à 35 GW par an de nouvelles capacités en EnR.  Sur les 16 dernières années,  toujours d’après l’étude assez approfondie de WindPower, les seules installations éoliennes ont quintuplé passant de 2,3 GW installés en 2000 à 12,5 GW en 2016 (avec un niveau record sur 2015 pour 12,8 GW), avec une proportion d’éolien off shore d’environ 13% pour 2016 en net recul par rapport à l’année précédente (notamment pour des questions de raccordement au réseau).

Pour résumer on observe partout en Europe une mobilisation du secteur de l’électricité pour accroitre la part des énergies renouvelables (même si le Président de WindEurope, Giles Dickson, regrette que plus de la moitié des pays de l’UE n’ait réalisé aucun investissement dans l’éolien l’an dernier) et donc dé-carbonées dans le mix énergétique. Aujourd’hui en moyenne la production totale d’électricité provient d’un mix, que je vais me permettre d’arrondir, pour dire qu’un quart provient des énergies renouvelables (en hausse marquée puisqu’elles ne représentaient que moins de 15% au début des années 2000), un quart du nucléaire, et une moitié des combustibles fossiles. Cette proportion varie sensiblement d’un pays à l’autre, fonction des choix politico-industriels réalisés au fil du temps. Cette électricité, une fois produite devient « banalisée », c’est à dire que, quelque soit son origine (source et/ou lieu/pays de production) elle va circuler par un réseau électrique européen qui se caractérise par un fort niveau d’interconnexions. Il convient, par ailleurs,  de préciser que nos pays sont fortement consommateurs d’électricité avec une demande par habitant (de l’ordre de 6.000 kWh) qui représente environ le double de la consommation moyenne mondiale. Pour revenir à la question initiale, cela ne veut pas pour autant dire que nous « nous chaufferons avec de l’électricité » et encore moins « virtuelle ». En effet, on vient de l’évoquer l’électricité quelque soit son origine y compris celle produite à partir d’énergies renouvelables n’est pas du tout « virtuelle », c’est une électricité comme une autre , sauf qu’elle est produite à partir de sources non émettrices de CO2, ce qui est la principale différence… On doit donc se méfier de possibles erreurs de compréhension, qui pourraient parfois faire croire que ce mot « smart » que l’on associe de plus en plus souvent au réseau (« smart grid », « smart meters », « smart cities ») veut dire virtuel !... Par ailleurs, il ne faut pas non plus croire que « nous nous chaufferons tous bientôt à l’électricité », d’abord parce qu’aujourd’hui le chauffage des bâtiments, des locaux, des logements… est encore souvent effectué par des systèmes de boucles à eau chaude (radiateurs qui chauffe l’air ambiant) qui sont alimentés par des chaudières fonctionnant avec différents combustibles fossiles (gaz naturel gaz de pétrole liquéfiés, fioul domestique) ou renouvelables (bois, pompes à chaleur, géothermie), et que les solutions de chauffage électrique, même si de nombreux progrès technologiques sont réalisés ne sont pas encore aussi performantes que les précédentes. De plus, contrairement aux solutions de chauffage qui acceptent différents types d’énergie, certains usages, notamment les plus nouveaux, ne peuvent fonctionner qu’avec de l’électricité absorbant donc en priorité la production. Rappelons qu’à l’intérieur d’une maison nous comptons six grandes familles de consommation d’énergie. Pour rendre les choses les plus simples possible je vais les évoquer dans un ordre « chronologique »…  La première concerne la cuisson (vieille comme les débuts de l’humanité lorsque les hommes préhistoriques découvraient que c’était meilleur « cuit que crû), qui peut être au gaz, à l’électricité, au bois, ou au charbon de bois -donc multi-énergie-. La deuxième et troisième datent des Romains, et concerne la production d’eau chaude sanitaire et le chauffage. Là encore on peut avoir recours à différentes énergies. La quatrième, date du début de la révolution industrielle lorsqu’on est passé de la bougie à l’éclairage, qui ne fonctionne quasiment qu’à l’électricité, à l’instar de la cinquième famille : l’ensemble des appareils électro-ménagers (années 60), et enfin la sixième de dernière concerne tous les appareils en lien avec les NTIC (Nouvelles Technologies de l’Information et Communication), nos téléphones portables, ordinateurs, tablettes etc, qui sont 100% électro-dépendants.

Cette étude réalisée par des professionnels du secteur se base sur les capacités et non la production. En quoi consiste cette différence ? Notre capacité à produire de l’énergie éolienne est-elle plus faible que ce que nous pensons ?

Les capacités de production, exprimées en GW (gigawatt) ou MW (megawatt), font référence à un potentiel de production et désigne donc la capacité de production d’une installation ou centrale électrique. Cette production, c’est à dire la mesure de quantité d’énergie réellement produite, quant à elle, s’exprime en GWh (gigawattheure) ou MWh (megawattheure) ou encore TWh (Térawattheure) qui sont précisément des unités de mesure de l’électricité produite. En l’occurrence 1 MWh correspond à la quantité d’électricité produite en une heure par une puissance de 1 MW. Il faut bien intégrer cela pour comprendre que, pour différentes raisons, une installation électrique ne va pas produire en permanence, et qu’il va donc y avoir des écarts ente les capacités installées par type d’énergie et la production réalisée à partir de ces dernières. Ainsi, si une centrale électrique produisait 1MW d’électricité à puissance nominale 24H sur 24, 365 jours par an, sa production serait de 8.760 MWh (puisqu’il y a 8.760 heures dans une année). Bien évidemment, du fait de l’intermittence bien sûr, mais aussi du fait des opérations de maintenance, ou encore d’adéquation aux fluctuations de la demande, ce n’est jamais le cas. Pour les énergies renouvelables cet écart est plus important que dans le cas des centrales fonctionnant avec des énergies fossiles. En effet, si on prend les deux énergies renouvelables les plus communes aujourd’hui, à savoir l’éolien et le solaire photovoltaïque, il faut prendre en compte ce que l’on appelle leur caractère intermittent. Le temps de production et donc la production d’énergie, dépendent de l’ensoleillement pour le photovoltaïque et du vent pour l’éolien. Le rapport entre l’électricité produite sur une période donnée et l’électricité qui aurait été produite sur la même période à la puissance nominale (la puissance maximale que l’installation électrique peut produire) est appelé, dans le cas des énergies renouvelables, « facteur de charge », et s’exprime en pourcentage.  Dans le cas des centrales de production d’électricité non intermittentes, on parle plutôt de « taux de disponibilité » qui est le rapport entre la durée pendant laquelle une installation produit de l’électricité et la durée maximale de fonctionnement. Dans le cas de l’éolien on peut aller d’un facteur de charge de l’ordre de 20% (21,4% constaté en 2011) à plus de 80% (en pic à un moment donnée).  Ceci permet d’expliquer qu’1 MW de solaire photovoltaïque ne va pas produire la même quantité d’électricité qu’1 MW d’éolien, et, bien sûr, que cette production va varier dans le temps. Cela permet également d’expliquer que même si les capacités de l’éolien ne cessent d’augmenter, elles n’ont pu représenter encore que les 10,4% de la consommation européenne d'électricité, du fait d'un rendement inférieur aux énergies conventionnelles. Il est enfin intéressant de noter que la part de l’éolien est resté globalement stable d'une année sur l'autre puisqu'en 2015, l'énergie éolienne représentait 10,7% de la consommation européenne.

Que représente concrètement le parc éolien en France aujourd’hui ? Sommes nous en retard ou en avance par rapport à nos voisins européens dans le domaine ?

L’Allemagne reste le pays en pole position et se positionne de loin comme le premier marché européen pour l'éolien avec près du tiers des capacités totales installées en Europe (soit 50 GW sur 153,7 GW), suivi par l’Espagne qui compte sur des capacités de 23,1 GW. A eux deux, ces pays comptent sur la moitié des capacités de l’UE. On trouve ensuite le Royaume Uni (9,5% pour 14,5 GW) la France (7,8% pour 12,1 GW) et l’Italie (6% pour 9,3 GW).  Il est à noter que l’Allemagne continue à investir significativement, ce qui lui a permis d’ajouter l'an dernier 5,4 GW supplémentaire, soit 44% des nouvelles installations. Au delà de l’Allemagne, cinq autres pays de l'Union européenne se distinguent pour avoir battu leur record de nouvelles installations -dont le nôtre- : la France (1,6 GW), les Pays-Bas (887 MW), la Finlande (570 MW), l'Irlande (384 MW) et la Lituanie (178 MW).

Un effort qui reste bien petit au regard de la position de la France qui se situe au 18ème rang de l’ensemble des pays européens avec un taux de pénétration de l’éolien de 4.4%.  Observ’ER, qui vient de publier la septième édition de son baromètre annuel des énergies renouvelables, dans lequel il fait le point source par source de la filière en France. Le rapport constate qu’avec près de 11,2 GW de puissance installée, 21 TWh d’électricité produite, et plus de 14.000 emplois, l’éolien occupe une place majeure dans le bouquet énergétique renouvelable national actuel. Pourtant ce même rapport s’alarme également du fait que le rythme actuel des installations reste insuffisant pour atteindre les objectifs fixés à la filière dans le cadre de la Programmation Pluri-Annuelle de l’Energie (PPE). Ainsi, bien qu’affichant de grandes ambitions sur l’éolien marin (offshore) les autorités, qui visent 500MW installés en mer à fin 2018 et 3.000MW fin 2023, restent assez timides sur les moyens à mettre en œuvre pour accroitre significativement la part des renouvelables dans notre pays… ou pour réduire, celle du nucléaire, source la plus importante de production d’électricité dans notre pays, qui dépend à plus de trois quart de cette dernière, au détriment des énergies renouvelables. Les progrès sont lents, face aux difficultés liées à la question de cette sur-représentativité du nucléaire bien complexes à trancher pour des raisons économiques et politiques notamment.  L’effort en matière de photovoltaïque doit néanmoins être salué, car on constate des avancées législatives en matière d’autoconsommation par exemple, de nature à relancer une filière qui s’est un peu affaissée au cours des deux dernières années.

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