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Le luxe masculin 
ne connaît pas la crise !
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Malgré la crise, les maisons traditionnelles dédiées à l’élégance masculine réalisent d'excellents chiffres d'affaires. Hugo Jacomet, blogueur star de l'élégance parisienne, s'intéresse de près à ce phénomène, en véritable explosion.

Hugo Jacomet

Hugo Jacomet

Fondateur et éditeur de "Parisian Gentleman", Hugo Jacomet est une plume reconnue dans le domaine du style masculin.

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Étant depuis longtemps chez Parisian Gentleman, des observateurs chevronnés (dans tous les sens du terme) de l’évolution des comportements des hommes – notamment de leur rapport à leur élégance – nous  « sentions » bien que le marché du luxe masculin, et singulièrement celui de l’élégance classique, était en pleine mutation.

A vrai dire cette évolution très nette des comportements masculins de consommation du « luxe » était assez facile à déceler eu égard, notamment, au fait que certaines maisons traditionnelles dédiées à l’élégance masculine réalisaient déjà durant la « première » crise de 2009, et à notre grand étonnement, des années solides en termes de chiffre d’affaires et, plus important, en termes d’élargissement sensible de leurs clientèles.

Cette poussée très nette s’est d’ailleurs confirmée ces deux dernières années dans des maisons, par essence plutôt confidentielles, que nous suivons de très près comme, par exemple, les chemisiers sur mesure Courtot ou Lucca, la maison de Grande Mesure Cifonelli ou le bottier Anthony Delos qui ont toutes des carnets de commande bien remplis et qui, par rebond, ont également des délais de livraison qui ont tendance à s’allonger considérablement (3 à 4 mois chez Courtot, jusqu’à 7 mois chez Delos).

Pour autant, il nous était jusqu’alors impossible de globaliser, et donc d’analyser, ce phénomène, car nous n’avions, évidemment, qu’une vue très parcellaire de cette tendance et pouvions encore croire que le phénomène restait un phénomène d’ultra-niche généré par le regain de passion pour les beaux objets d’une frange infime d’esthètes aisés voire fortunés…

La confirmation de cette mutation profonde vient cependant de nous être fournie récemment par une dépêche très intéressante de l’agence Reuters qui montre, chiffres à l’appui, que l’élégance masculine est bel et bien un secteur porteur, voire en véritable explosion.

Alors bien sûr, l’accent est mis, dans cet article, sur la montée en puissance indiscutable du marché asiatique. Mais ce que nous évoquions ci-dessus nous montre bien que ce mouvement est aussi très sensible en Europe et, bien entendu, en France.

Commençons par les faits, avec quelques morceaux choisis de la dépêche de l’agence Reuters parue le 7 décembre dernier et intitulée : « Le masculin, nouvelle terre de conquête des acteurs du luxe. »

PARIS (Reuters) – Aujourd’hui, les grands acteurs du luxe se mettent en ordre de bataille pour conquérir le marché masculin, segment le plus porteur du secteur, et prendre leur part d’une demande asiatique explosive.

Alors que les montres et autres chronographes sont longtemps restés les principaux emblèmes du luxe masculin, les industriels veulent aujourd’hui capter le nouvel appétit d’une clientèle devenue sensible à la coupe d’un costume, à la finition d’un sac ou à la patine d’un soulier.

Le luxe masculin, qui représente 40% d’un marché mondial estimé à environ 180 milliards d’euros, affiche depuis 2009, selon les estimations de Bain&Co un taux de croissance annuel moyen de 14%, près du double de celui du luxe féminin (+8%).

« Le marché des biens personnels (hors voitures ou voyages) reste sous-développé par rapport à celui de la femme. Il y a donc un rattrapage, avec un potentiel de croissance très, très important, dans toutes les catégories de produits », commente Jean-Marc Bellaïche, associé du Boston Consulting Group.

Les grands noms du secteur que sont LVMH et PPR ne s’y sont pas trompés, le premier affichant ses ambitions pour le chausseur Berluti, le second pour le tailleur Brioni qu’il vient de racheter.

Tancrède de Lalun, directeur des marchés homme et femme du Printemps, anticipe quant à lui une « explosion » du marché, « parce que l’appétence est extrêmement forte et que les consommateurs masculins n’ont aucune limite ».

Ayant pris la mesure du mouvement, le grand magasin parisien, repositionné sur le haut de gamme, vient tout juste d’ouvrir un espace dédié aux accessoires de luxe pour hommes, centré sur la maroquinerie et les chaussures.

« La femme est guidée par l’envie, l’homme par le savoir-faire et la technologie », précise Tancrède de Lalun.

Le savoir-faire constitue en effet une des clés d’entrée sur ce marché et les marques l’ont bien compris, centrant leur offre sur ce thème, mêlant histoire et fabrication de haut vol.

Chez Hermès, où l’univers masculin a toujours été très présent depuis les selles et les harnais des débuts, le premier magasin exclusivement dédié aux hommes, ouvert il y a près de deux ans à New York, connaît un taux de croissance supérieur à celui de la marque aux Etats-Unis.

« Notre croissance est d’environ 30% aux Etats-Unis, et dans notre magasin de Madison Avenue la progression est supérieure à cela », précise Axel Dumas, directeur général des opérations.

Le prêt-à-porter masculin pèse aujourd’hui autant que le féminin dans le chiffre d’affaires du groupe. Ciblant aussi le luxe extrême, il propose des vêtements sur mesure à Paris, New York, mais aussi en Chine et au Japon, où un magasin éphémère uniquement masculin ouvre ce mois-ci à Tokyo.

LVMH et PPR sont quant à eux partis à l’offensive avec des objectifs similaires : créer leur première marque globale de mode haut de gamme exclusivement masculine.

LVMH, qui nourrit de grandes ambitions pour sa pépite masculine Berluti, a décidé, pour la première fois depuis longtemps, d’investir sur une marque existante de son portefeuille.

En rachetant la discrète maison romaine Brioni, célèbre pour ses costumes à plus de 5.000 euros et coqueluche des grands de ce monde, PPR entend lui aussi profiter du prestige d’une griffe dont la taille reste encore modeste – 170 millions de chiffre d’affaires – pour en faire une marque globale, avec une gamme d’accessoires et une offre élargie de prêt-à-porter sportswear.

Jusqu’ici, la demande de luxe, y compris dans l’horlogerie, a résisté aux soubresauts de l’économie mondiale, à la crise des dettes souveraines en Europe et au plongeon des marchés. »

Comment donc expliquer, au delà de ces chiffres presque insolents et du « rattrapage » évoqué par Jean-Marc Bellaïche du BCG, ce phénomène mondial ?

Gilles Lipovestsky, célèbre essayiste français, agrégé de philosophie et dont le nom reste associé à la pensée postmoderniste, de même qu'aux notions d’hyper-modernité et d'hyper-individualisme, nous fournissait déjà, dès 2003, des éléments de réponse à la faveur de la parution de son livre « le luxe éternel » (éditions Gallimard).

Dans un interview réalisé il y a maintenant quasiment 10 ans par Pierre-Henri Tavoillot, l’auteur nous proposait des pistes de réflexion, à postériori assez visionnaires, pour expliquer le phénomène. En voici quelques extraits particulièrement « éclairants », surtout au moment où nous écrivons ces lignes.

« L’humain n’est pas fait que d’aspirations profondes et sérieuses ! Et l’homme moderne ne se réduit pas à l’obsession de l’efficacité. Il y a aussi le superflu, le rêve, l’excès, la frivolité, la beauté.

 Les Grecs, puis les philosophes du XVIIIe siècle considéraient qu’il était primordial de réfléchir sur cette dimension du désir infini. Je le crois également. De plus, les interprétations courantes du phénomène ont très peu bougé : le moment est venu de réoxygéner ce type d’interrogation. C’est vrai que ça peut paraître insignifiant, voire indécent.

La Bruyère l’exprimait déjà en son temps : « Il y a une honte à être heureux à la vue de certaines misères. » Certains n’ont rien, d’autres ont tout, ou « trop » : le scandale n’est jamais très loin.

Mais ces critiques oublient un point essentiel : le caractère universel, anthropologique du luxe. On ne peut pas penser l’humanité sans le luxe, parce que, à travers lui, l’homme atteste qu’il n’est pas un simple animal et que son horizon ne se réduit pas à la survie, à la conservation et au besoin. Shakespeare l’avait bien dit : « Retirez à l’homme le superflu et vous lui ôtez sa part d’humanité ».

L’humanité peut-elle donc se passer de rêves ? Les grandes utopies, scientistes ou politiques, sont épuisées ; nous n’avons plus foi en un avenir qui serait mécaniquement meilleur et plus juste. Il reste pour les individus l’espoir d’un mieux-être, la fête des sens, l’attente des beautés qui nous sortent de la grisaille du quotidien.

Le luxe n’est plus la part maudite, mais la part du rêve et du voyage, de l’excellence et du superlatif dont l’homme ne peut se passer. »

Nous vivons donc une époque très particulière, singulièrement pour un media  comme Parisian Gentleman, car de manière étrangement concomitante, le luxe a cessé d’être seulement l’expression d’un désir de reconnaissance sociale. Un des premiers arguments de vente pour une voiture de luxe aujourd’hui ce n’est plus l’ostentation, c’est la sécurité…

C’est ce que Gilles Lipovetsky appelle la «consommation émotionnelle ». L’élitisme demeure donc, eu égard aux moyens nécessaires pour s’offrir de tels objets, mais il s’est transformé : lorsqu’on achète un objet de luxe, il y a une jouissance qui relève, comme disait Nietzsche, du « plaisir de se savoir différent », du sentiment de sa propre exception. Et ce sentiment se conjugue aujourd’hui indéniablement de plus en plus au masculin. Les adeptes des costumes en Grande Mesure ou des souliers sur mesure connaissent parfaitement ce sentiment qui confine à la jouissance intérieure.

En quel sens le luxe reste-t-il donc un rêve dans l’univers désenchanté qui est le nôtre et qui semble voué à la frénésie du présent ? 

Revenons aux propos de Lipovetsky :

« Depuis les origines, le luxe a un lien intrinsèque avec le temps. On donne au sacré pour gagner l’éternité. Les mécènes antiques dépensaient des fortunes pour que leur mémoire soit immortalisée. Aujourd’hui, les maisons de luxe ne font pas autre chose, même si c’est sous une forme paradoxale.

D’un côté, en effet, il faut innover sans cesse : c’est la logique du présent et de la mode. D’un autre côté, pourtant, il leur faut célébrer la légende fondatrice, le mythe des origines, la tradition et les savoir-faire ancestraux. On retrouve cette ambivalence dans la consommation : être dans le coup, mais aussi jouir de ce qui a une épaisseur temporelle.

On ne consomme pas n’importe comment l’objet de luxe. La ritualisation fait partie du plaisir : c’est aussi de la durée, de la mémoire, de l’éternité que l’on achète et que l’on aime. Dans la société Kleenex, le luxe apporte ce contrepoids de durée qui conjure la mort en nous redonnant une profondeur de temporalité. Il y a paradoxalement une dimension métaphysique au coeur des passions les plus matérialistes. »

Nous ne saurions mieux dire et d’ailleurs nous ne dirons pas mieux.

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