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Ouverture de la 1re centrale au charbon "sans émissions carbone" aux Etats-Unis : trompe-l'oeil ou véritable espoir contre la pollution ?
©Reuters

Atlantico Green

Le charbon a de beaux jours devant lui. La Chine comme les Etats-Unis misent toujours sur cette énergie pour la production d'électricité. Cette semaine aux Etats-Unis, une centrale au charbon est devenue la première à récupérer ses émissions de gaz à effet de serre.

Myriam Maestroni

Myriam Maestroni

Myriam Maestroni est présidente d'Economie d'Energie et de la Fondation E5T. Elle a remporté le Women's Award de La Tribune dans la catégorie "Green Business". Elle a accompli toute sa carrière dans le secteur de l'énergie. Après huit années à la tête de Primagaz France, elle a crée Ede, la société Economie d'énergie. 

Elle est l'auteure de plusieurs ouvrages majeurs: Intelligence émotionnelle (2008, Maxima), Mutations énergétiques (Gallimard, 2008) ou Comprendre le nouveau monde de l'énergie (Maxima, 2013), Understanding the new energy World 2.0 (Dow éditions). 

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Atlantico : Quelle est la technologie qui a été employé aux Etats-Unis pour récupérer les gaz carboniques émis par la combustion du charbon ? Quel est l'usage qui est fait de ces gaz ? 

Myriam MaestroniA quelques jours, désormais, de la prise officielle de fonction de Donald Trump à la présidence des Etats Unis, sur fond de climato-scepticisme résurgent, le groupe américain de production et distribution d’énergie, NRG Energy,  en joint venture 50/50 avec le japonais JX Nippon Oil & Gas Exploration Corp. (société pétrolière plus connue sous sa marque de commercialisation Eneos), inaugurent la « première centrale à charbon propre », pour retenir l’un des titres retenu par la presse américaine qui s’est fait l’écho ces derniers jours du sujet. Située à Thompsons, près de Houston au Texas, fief historique de l’industrie pétrolière, le projet appelé « Petra Nova », porté par une société holding ad hoc (Petra Nova Parish Holdings LLC), en test depuis le mois de septembre dernier, est maintenant opérationnel. A l’étude depuis 2009, le projet avait été sélectionné, en mars 2010, par le Département Américain de l’Energie (DOE), qui avait alors annoncé son intention d’investir des montants significatifs pour équiper la centrale à charbon de Parish d’une installation de capture du CO2 post combustion permettant d’en réduire l’empreinte environnementale. Il faut dire que, selon l’Agence de Protection de l’Environnement Américaine, la centrale à charbon de Parish, construite à la fin des années 70, avait été classé comme la 6ème centrale la plus polluante des Etats Unis, avec des émissions de CO2 évalués à plus de 20 millions de tonnes par an. Depuis le lancement de la phase de test en Septembre dernier, le projet Petra Nova aurait d’ores et déjà permis de capturer 100.000 tonnes de dioxyde de carbone de la centrale pour les acheminer par carboduc vers le gisement pétrolier de West Ranch, situé à quelques kilomètres de cette dernière où il est utilisé pour faciliter l’extraction de quantités de pétrole additionnels. En plein fonctionnement, l’entreprise Petra Nova Parish Holdings LLC a vocation a récupérer environ 5.000 tonnes de CO2 par jour, soit plus d’1 million de tonnes par an, ce qui ferait de cette installation la plus grande du monde en matière de capture de carbone post-combustion. Il s’agit là de la bonne nouvelle…

Néanmoins il est important de comprendre qu’en fait ce CO2 permet d’augmenter la pression à l’intérieur du gisement, ce qui a pour effet d’augmenter le rendement des puits de pétrole un peu « fatigués » et donc, bien sûr, leur durée de vie tout en permettant également de stocker le gaz carbonique dans la structure géologique. Il s’agit de l’une des trois techniques principales de ce que les experts appellent le RAP, à savoir : Récupération Assistée du Pétrole, qui consiste à injecter du gaz (méthane ou gaz nature, azote ou dioxyde de carbone ie CO2), de la chaleur ou des produits chimiques. L’injection de gaz et notamment le CO2, l’un des gaz les moins couteux -pour le moment-, est l’une des méthodes les plus couramment utilisées car elle permet de réduire la viscosité du pétrole, fonction de la température du réservoir, de la pression et de sa composition. Moins visqueux, le pétrole  devient de facto plus facile à extraire. Pour compléter le propos, il convient de dire que les deux sociétés co-partenaires du projet, sont également actionnaires des puits de pétrole voisins dont ils espèrent améliorer la production pour la faire passer de 500 à 15.000 barils par jour. 

Est-ce que cette solution est viable pour rendre les centrales à charbon plus propres ?

La question de réduire les émissions de CO2 produites par la combustion des énergies fossiles et notamment par les centrales à charbon, qui figure parmi les plus émetteurs (de l’ordre de 900g de co2 par kwh) est l’une des questions au cœur du débat de la transition énergétique partout dans le monde. Ceci est d’autant plus vrai que la proportion d’électricité produite à partir de charbon continue à être élevée.

Si l’on prend le cas des Etats Unis où le charbon est abondant, il était l’une des principales sources de production d’électricité jusqu’en 2012 où le gaz naturel, moins émetteur de CO2, lui a été préféré pour la construction de nouvelles centrales. Ainsi, la part du charbon dans la production électrique est passé de 52% en 2000 à 33,2% en 2015 (année où les producteurs d’électricité ont consommé 739 millions de tonnes de charbon contre 1.045 MT lors de l’année record de 2007), soit un niveau encore à peu près équivalent à celui du gaz naturel en plein essor qui, quant à lui, représente 33% du mix… Cette réduction de l’utilisation du charbon est liée à la décision prise par les autorités américaines d’obliger les exploitants de centrales thermiques à réduire de 30% les émissions de leurs installations entre 2005 et 2030, avec un objectif qui impose aux futures centrales thermiques de ne pas émettre plus de 600 kilogrammes de CO2 par mégawatheure... C’est ce qui explique la mobilisation des énergéticiens concernés pour capter le CO2 d’une part et trouver des débouchés d’autre part. Ainsi, le CO2 peut être destiné, comme on vient de le voir dans l’exemple de Petra Nova, à la commercialisation auprès des spécialistes de la RAP soucieux de doper la productivité des sites pétroliers, mais aussi pour produire de l’urée, matière première dans la fabrication de fertilisants agricoles.

La question des débouchés ne suffit pas à faire de ces solutions de captage-stockage du C02 comme celle mise en œuvre par Petra Nova une solution idéale. En effet, les investissements en jeu sont extrêmement lourds. Ainsi, bien qu’il ne concerne que l’une des quatre chaudières de la centrale, l’investissement réalisé dans la centrale de Parish dépasse le milliard de dollars. Un pareil montant a supposé un recours à des financements publics pour environ 20% du total. Le reste a été financé par les deux associés qui ont apporté 300 millions de dollars chacun et par un prêt octroyé par la Banque Japonaise pour la Coopération Internationale et la Mihuzo Bank Ltd  à hauteur de 250 millions de dollars. Mauricio Guttierez, le président exécutif de NRG, a déclaré qu’il pensait que « cette technologie de capture et de stockage du carbone (également appelé CCS) pourrait trouver des débouchés dans de nombreuses centrales à charbon existantes dans le pays et dans le monde ». De fait, la technologie dans sa partie aval, c’est à dire pour accroitre la production de pétrole, est connue. Elle est utilisée depuis plus de 15 ans par les pétroliers canadiens qui utilisent du C02 pour améliorer la productivité de leurs puits de Weyburn et de Midale dans le Saskatchewan. La différence est que le million de tonnes de C02 injecté provient d’une usine de gazéification de charbon située dans le Dakota du Nord, tandis que Petra Nova utilise du CO2 post-combustion.

Néanmoins, au delà de la technologie en tant que telle, le propos de Mauricio Guttierez est substantiellement différent de celui de son prédécesseur, David Crane, qui, lui, affirmait en octobre 2015 avant d’être limogé, qu’une fois achevé le projet de la centrale à charbon de Parish, il n’investirait pas dans d’autres projets, car, selon ses calculs, cette solution était intéressante, d’un point de vue économique, que si le prix du baril de pétrole était entre 75 et 100$. En dessous de 50$, il n’y avait plus de viabilité. Aux considérations technologiques (débouchés) et financières (montant des investissements et prix de référence du pétrole), il convient d’ajouter à la problématique des émissions de C02 - qui retient toute l’attention puisque reconnu comme l’un des principaux gaz impliqués dans l’effet de serre responsable du changement climatique - celle des émissions de particules fines. Ainsi, la centrale de Parish, à l’instar de l’ensemble des centrales de production électrique à charbon, s’illustre également par l’émission de particules fines particulièrement nocives pour la santé, avec des effets désastreux pour les systèmes respiratoire et circulatoire. En 2010, une étude commanditée par un groupe de travail sur la Qualité de l’Air avait démontré que ces toutes petites particules ayant des diamètres inférieurs à 2,5 microns, se traduisaient en dizaines de milliers de cas de bronchites chroniques, d’asthme, d’infarctus du myocarde, d’arythmie cardiaque, de troubles pulmonaires, pour ne citer que les principales affections imputables à cette pollution touchant particulièrement les enfants et les personnes âgées. Les morts provoquées par ces particules fines et les maladies aiguës ou chroniques représentent des externalités négatives c’est à dire des coûts en matière de santé publique qu’il faut également prendre en compte, à défaut de pouvoir les éliminer.

Bref, si l’idée de rendre les centrales à charbon plus propre est plus que largement justifiée, il n’est pas certain que nous puissions parler de solution miracle. En fait, la meilleure façon d’éviter les excès d’émissions de CO2 et autres polluants issus de la combustion du charbon reviendrait à limiter voire à bannir cette source de production d’électricité au plus vite. On est encore loin d’une telle décision. Force, en effet, est de constater qu’il existe encore plusieurs projets de nouvelles centrales thermiques en cours de construction ou de démarrage avec des solutions de CCS. On peut citer l’exemple de Mississipi Power, à Kemper County. Le projet comprend une unité de gazéification du charbon (Cycle Combiné à Gazéification intégrée), et un programme de séquestration d’environ 65% du C02 qui sera revendu à Denbury Resources et Treetop Midstream spécialistes du RAP. L’électricien du Mississipi compte sur des revenus issus de la vente de ce C02, provenant d’une plus grande production de pétrole… Le « charbon propre » permet d’accroitre la production d’or noir, énergie fossile, certes, un peu moins polluante, mais malgré tout en cause dans le changement climatique. En est-on à un paradoxe près ? A Elk Hills, en Californie, l’idée est de coupler une unité de production gazéification de charbon, une turbine de 400MW, un système de CCS avec une usine de production d’engrais (à base d’urée lui même fabriqué par la synthèse sous forte pression et température d’ammoniac et de… dioxyde de carbone -C02-). Cela contribuera à consolider les Etats Unis comme l’un des principaux pays producteurs mondiaux d’urée aux côtés de la Chine, de l’Inde, du Koweït, de l’Arabie Saoudite, du Qatar, de l’Egypte et de la Russie.

Quelles sont les autres solutions qui peuvent être développées pour réduire les gaz à effet de serre autour du charbon ?

La transition énergétique a vocation à promouvoir l’ensemble des solutions décarbonées c’est à dire n’émettant pas de gaz à effet de serre… Plus on accroit la part de ces solutions plus on réduit les gaz à effet de serre. En clair, il s’agit de privilégier deux axes majeurs. Le premier, consiste à consommer le moins possible d’énergie. On peut considérer que l’efficacité énergétique - surtout en Europe et aux Etats Unis en situation de gaspillage - doit être vue comme partie intégrante du mix énergétique. Il y a un potentiel de l’ordre de 20 à 30% en terme d’économie d’énergie… et on ne répétera jamais assez que la seule énergie non émettrice de CO2 ou autres particules nocives est celle que nous ne consommons pas. C’est aussi la moins chère. Il s’agit d’investir ou de faciliter l’investissement en matière de rénovation énergétique de façon prioritaire dans l’ensemble des pays européens et aux Etats Unis. Einstein affirmait qu’on ne résout pas les problèmes au même niveau de conscience auquel ils ont été créés. L’efficacité énergétique repose sur le triptyque : éco-comportements, rénovation énergétique et automatisation à décliner de façon spécifique en fonction des secteurs concernés (on ne peut pas imaginer gérer la question de l’efficacité énergétique de la même façon dans le logement, le tertiaire, ou encore l’industrie). Les efforts à fournir sont énormes.

Le deuxième est le développement des énergies renouvelables : solaire, éolien, hydraulique, géothermie, marémoteur, etc. 2017 doit être un grand crû en matière de production d’électricité à partir du solaire photovoltaïque et de l'éolien. Une énergie qui devient compétitive même avec un cours du C02 pourtant adverse tant il est encore bien trop bas face à l’ampleur et à l’accélération des effets du changement climatique constatés partout dans le monde. Il est vrai que la question de l’intermittence - et donc du stockage de l’énergie produite à partir du renouvelable - est un sujet qui n’est pas encore à maturité mais les efforts redoublent sur ces sujets soutenant de plus en plus l’option des renouvelables. Il est à parier que les années à venir supposeront encore de grandes batailles entre les énergies de demain à développer et celles d’hier qui cherchent à durer le plus possible.

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