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Les dessous de la Guerre froide révélés : une autre conséquence inattendue de la fonte des glaces au Groenland
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Base militaire

Installée sous la glace du Groenland depuis les années 1960, la base militaire américaine “Camp Century” refait surface dans l’actualité : des documents officiels trouvés par une équipe de chercheurs confirment l'ensevelissement de nombreux produis toxiques utilisés à l'époque. Mauvais timing : le réchauffement climatique risque de faire fondre la glace dans laquelle ils sont conservés.

Gaël Durand

Gaël Durand

Gaël Durand est chargé de recherche au CNRS. Spécialiste du thème de la dynamique des glaciers côtiers de l'Antarctique et du Groenland, il est directeur adjoint du Laboratoire de Glaciologie et Géophysique de l'Environnement. Il est aussi co-auteur d’articles ayant démontré l’instabilité du glacier de Pine Island (Favier 2014), de projections de la crontribtuion de l’antarctique au niveau des mers (Ritz 2015) et de la vulnerabilités des ice shelves en Antarctique (Furst 2016).

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La base militaire “Camp Century” érigée sous la glace du Nord du Groenland durant la Guerre froide fut désertée par les Américains en 1967. Derrière eux a été abandonnée une quantité de déchets chimiques s’élevant, d’après une étude publiée ce mois-ci dans la revue AGU (lire ici), à 2.0*10^3 tonnes. Des résidus des activités radioactives de l’époque y seraient même encore conservés. Pourquoi de telles données sont particulièrement alarmantes aujourd’hui ? 

Gaël Durand : Le contexte contemporain du changement climatique, de la fonte accélérée du Groenland, et du retrait rapide de ses glaciers côtiers est, de manière générale, plutôt alarmant. Depuis les années 1960, le réchauffement climatique n’a cessé d’augmenter, en particulier dans la région de l’Arctique, où il s’avère être deux fois plus rapide qu’autour du reste de la planète. Si la présence de cette base militaire au Nord de l’île est aujourd’hui si problématique, c’est parce que l’armée américaine lui avait imaginé une évolution toute autre. L’idée était la suivante : en quittant les lieux, ils étaient persuadés que la ville allait s’enfoncer rapidement dans la calotte et que les déchets ne seraient rejetés sur les côtes que de nombreux millénaires après leur départ. Et puis, ils pensaient aussi qu’en s’écoulant, les nombreuses substances chimiques se dilueraient...Seulement, la prévision temporelle se trouve quelque peu réajustée : tous ces détritus pourraient émerger dans les siècles à venir. La conséquence ? Une pollution aussi importante qu’inévitable des eaux environnantes. 

Quelles sont les répercussions physiques de la fonte des glaces, et qui plus est, de la fonte des glaces abritant de tels éléments toxiques ? 

La fonte des glaces est responsable de nombreuses répercussions physiques. Tout d’abord, il est évident qu’elle provoque une diminution du volume de glace stocké dans la calotte, ce qui contribue à l’élévation du niveau des mers. Notez qu'aujourd’hui, cette élévation est de l’ordre de 2/3 mms par an pour ce qui est des environs du Groenland. Il y a trente ans, elle n’excédait pas le 1 mm par an ! En outre, elle modifie les propriétés des océans : plus on y ajoute de l’eau douce, plus la circulation des eaux est bouleversée, ce qui déforme les étendues de glace de mer. Enfin, la fonte des glaces révolutionne la nature des propriétés de la surface du Groenland : la masse de neige diminue, le sol s'assombrit, absorbe plus d’énergie, et ses températures augmentent. 

Prenant en compte toutes les modifications qu’une fonte des glaces classique engendre, il n’est pas difficile d’imaginer l’ampleur des impacts qu’occasionerait le déversement des produits chimiques dans l’Arctique. La faune et la flore seront d’autant plus dégradées : imaginez un peu la réaction d’un bouleau ou d’un saule avec des carburants diesels ou de l’eau radioactive ! L’activité humaine, qui y développée, risque, elle aussi, d’être concernée : on peut conjecturer que la pêche, les prospections minières ou pétrolières seront, d’une manière ou d’une autre, affectées. 

La calotte glaciaire recouvrant “Camp Century” pourrait avoir fondu d’ici 2090. Est-il possible d’éviter le déversement des produits toxiques dans l’océan Arctique ?

Attention, les prévisions mentionnées par l’étude américaine ne concerne que la couche de glace qui se situe au-dessus de la base militaire. L’ensemble de la calotte n’aura pas disparu d’ici là. En ce qui concerne le déversement, il est inévitable. Néanmoins, j’imagine que l’on pourrait agir sur la constitution de ces polluants : il faudrait sûrement les décontaminer à mesure qu’ils émergent. Mais je doute que cela soit simple, et il est fortement probable qu’une partie des polluants soit acheminée jusque dans les océans...

L’impact de tels déversements se limite-t-il à des risques environnementaux ? Peut-on imaginer que la fonte de glaces dans ces régions déterre la hache de guerre (froide) des différents belligérants, et provoque de nouveaux conflits géopolitiques ?

Il y aura certainement des impacts géopolitiques qui ne se posaient pas jusqu’alors. Qui doit être jugé responsable ? Qui prend en charge les coûts de décontamination ? Les Américains ? Les quelques habitants qui résident sur l’île ? Le Groenland a pour statut celui d’un territoire autonome au sein de la “Communauté du Royaume danois”, mais ce ne sont sûrement pas les Danois, ni même le peuple groenlandais à qui il incombe de prendre ces responsabilités… Seul le temps nous le dira. D’ailleurs, les questions de stockage des déchets ne peuvent s’envisager qu’en prenant en compte l’état des connaissances d’une époque donnée. Or, et nos connaissances et la situation environnementales risquent bien d’être transmués d’ici 2090. Donc il est difficile de faire une estimation valide aujourd’hui des conséquences géophysiques et politiques du phénomène qui menace “Camp Century”.

Propos recueillis par Victoire Barbin Perron

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