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Le monde sur le point d'installer 700 millions de climatisateurs : et le climat… ?
©Reuters

Atlantico Green

Les scientifiques prévoient une augmentation considérable de l'utilisation des climatiseurs dans le monde d'ici 20 ans qui participerait nettement au réchauffement climatique.

Thomas Désaunay

Thomas Désaunay

 

 

Thomas Désaunay est docteur en sciences des matériaux et spécialisé dans l’énergie. Investi dans la lutte contre le changement climatique et l’émergence d’une société plus résiliente, il participé avec l’association CliMates à l’organisation de la 11ème Conférence des Jeunes (COY11) qui a précédé la COP21. En 2015, il participe à la création d’un documentaire participatif et libre de droit sur le changement climatique diffusé sur ARTE « Nos chers paradis ».

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Atlantico : Le laboratoire National de Berkeley annonce que 700 millions de climatiseurs seront en fonctionnement dans le monde en 2030 et alerte sur les conséquences climatiques que cela engendrerait. De quelle pollution est responsable le climatiseur?

Thomas Desaunay : Tout d'abord, on peut relativiser le problème. Il y a pire que le climatiseur : le chauffage ! Les chauffages engendrent une demande en puissance de 20 GWatt tandis que les climatiseurs nécessitent 1GWatt. Pour l'instant, on pompe donc plus sur le système électrique en hiver qu'en été. 

Mais revenons au climatiseur : il contribue de deux façons distinctes au changement climatique. Il participe tout d'abord aux émissions de CO2 "directes" par la consommation d'électricité, qui nécessite des énergies fossiles : on crée du CO2 car on augmente la consommation d'énergie via les climatiseurs.

Ensuite, ces climatiseurs fonctionnent avec des gaz que l'on appelle "caloporteurs". Ces gaz hydrofluorocarbures (HFC) sont utilisés dans les systèmes de réfrigération, dans les réfrigérateurs notamment. Le problème est qu'ils fuitent en fin de vie si le recyclage est mal effectué. Les machines qui utilisent ce type de gaz doivent être extrêmement bien prises en charge et retraitées. 

Et ils ont un pouvoir réchauffant qui est plusieurs milliers de fois supérieur à celle des CO2 et une durée de vie extrêmement longue. Et participent déjà aujourd'hui environ de 1% au changement climatique. Et on ne parle seulement des fuites comptabilisées. Mais comment concrètement calculer les rejets dans l'atmosphère de ces gaz ? La chose est bien plus complexe que lorsqu'on vend du pétrole ou du charbon. Dans ce cas-là, les registres de vente facilitent le décompte. Si le gaz HFC est considéré comme bien recyclé en fin de vie - les filières de recyclage sont présentes -, la réalité est différente. Les réfrigérateurs en fin de vie peuvent finir en décharge sauvage. Je ne vois pas pourquoi ce serait différent avec les climatiseurs. Et lorsque ces machines ne sont pas prises en charge, les gaz se dégagent dans l'atmosphère. De plus, il n'existe pas vraiment de substitut à ces gaz pour le moment. Donc les chiffres annoncés par le laboratoire national de Berkeley qui prévoient 700 millions de climatiseurs en 2030 et 1,6 milliards en 2050 ont de quoi être alarmants. Tout dépendra en fait de la façon dont tous ces nouveaux climatiseurs seront recyclés. 

Le laboratoire est finalement assez optimiste dans ses pronostics sur la consommation d'électricité car, selon lui, il est possible de recouvrir à une énergie verte et à un climatiseur moins énergivore, qu'en pensez-vous ?

L'électricité est en grande majorité générée par les énergies fossiles. Elles entraînent donc directement des émissions de CO2. Le remplacement du gaz par des énergies renouvelables reste très hypothétique. 

Il y a une comparaison intéressante qui est faite. D'un côté, nous avons la quantité d'émissions de CO2 que nous pouvons éviter grâce aux projets d'installation d'énergies renouvelables. De l'autre, les augmentations d'émissions de CO2 si des millions de climatiseurs énergivores sont déployés. Et la comparaison n'est pas flatteuse, puisque ces climatiseurs viendraient anéantir les bienfaits de milliards d'investissements dans les énergies renouvelables. C'est pour cela que les chercheurs du laboratoire insistent sur l'efficacité du système de refroidissement. Le principe est simple : si l'efficacité est meilleure, on consomme moins d'énergie. Résultat : on émet moins. Une proposition que l'on retrouve souvent, par exemple dans l'aviation. Mais, malheureusement, face à une augmentation exponentielle, l'efficacité de la machine reste une amélioration à la marge. 

Un climatiseur "vert", moins énergivore, reste un climatiseur qui consomme. Comment enrayer réellement le problème ?

En réalité, les augmentations exponentielles de ce type sont une bonne nouvelle pour le marché donc nous avons donc toujours du mal à les combattre sans apparaître comme un "objecteur de croissance", pour reprendre la sémantique de Serge Latouche. Alors, on cherche à faire des améliorations du produit par son efficacité, son remplacement, plutôt qu'à éradiquer la consommation du produit. Le besoin du produit n'est pas remis en question. On se trouve là face à un problème de société. Prôner la sobriété, la baisse de la consommation, passe très mal de nos jours. 

Si l'on revient aux problèmes des climatiseurs, on peut se poser la question : comment les civilisations se sont-elles adaptées jusque-là sans climatiseur ? Quelles sont les adaptations culturelles, ou dans la construction, qu'elles ont adoptées ?

De plus, les énergies vertes, tout comme les énergies fossiles, créent une dépendance qui peut se révéler problématique lorsque le système énergétique se révèle défaillant. Par exemple, durant les cas de chaleur, il peut y avoir des problèmes de défaillance électrique quand les barrages hydrauliques sont asséchés ou quand il faut refroidir les centrales nucléaires.

Avec 50,5°C en Inde ce mois-ci, n'est-il pas un peu malvenu de vouloir limiter le développement du climatiseur dans ces pays émergents ?

Je reconnais que ce discours est glissant et que l'on peut donner l'impression de vouloir restreindre les pays en voie de développement. Et par là-même, de les empêcher de se développer. Il s'agit en réalité de ne pas reproduire le modèle occidental qui est vulnérable à cause de sa dépendance à l'énergie. Car les pays émergents risquent de reproduire cette dépendance, qui n'est pas un cadeau. On peut voir les choses différemment : de tout temps, on a créé des bâtiments bioclimatiques, c'est-à-dire construits avec une technique et des matériaux adaptés à la situation, à la température locale. Mais ces dernières décennies, cet impératif a été oublié. Les constructions étaient énergivores et mal isolées. Alors, on y a surimposé un autre système technique pour corriger le problème : le climatiseur.  Puis un autre pour le nouveau problème, etc.

La règlementation de 2012 concernant les logements en France va dans le bon sens. Elle introduit une norme stricte en termes d'isolation. C'est dans ce sens-là qu'il faut se diriger et investir. Idem pour les pays en développement : l'idée serait de mettre l'argent dans des bâtiments peu gourmands en énergie, étanches, bien isolés. Ainsi, on se prépare pour le futur à être moins énergivore et donc, à limiter le besoin de climatiseur. Si on ne l'arrête pas totalement, la consommation en climatiseur sera fortement diminuée.

La solution viendrait donc d'une politique étatique. Si cette politique n'est pas réalisée, l'Indien, à son échelle individuelle, pour revenir à notre exemple, finira par s'acheter un climatiseur. 

Propos recueillis par Clémence Houdiakova

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