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Pourquoi le droit actuel ne permet pas de combattre efficacement une criminalité environnementale ultra rentable
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Atlantico green

Les activités illicites qui menacent l'environnement progressent à une vitesse inquiétante. Du trafic d'espèces protégées au trafic de déchets, les crimes contre l'environnement se hissent au 4e rang des activités illicites internationales en termes de profits, estimés aujourd'hui entre 70 et 213 milliards de dollars par an.

Laurent  Neyret

Laurent Neyret

Professeur en droit à l'Université de Versailles Saint Quentin.

Spécialiste du droit de l’environnement et du droit de la santé.

Laurent Neyret est aussi agrégé en droit privé et sciences criminelles. Sa thèse sur les Atteintes au vivant et à la responsabilité civile dans laquelle il propose la création d’un crime d’écocide, a reçu le Prix Maisondieu de l'Académie des Sciences Morales et Politiques, le Premier prix de la Société française de droit de l'environnement et le Prix du Centre Droit et Santé de la faculté de droit de Montpellier.

Il a enseigné pendant cinq ans à l’Université de Versailles Saint-Quentin. Il y a initié la création de la première clinique du droit de l’environnement en France. 

Ses recherches portent sur les grands défis du droit de la responsabilité, plus particulièrement dans les domaines de la responsabilité environnementale (dommage environnemental et préjudice écologique), de la responsabilité médicale et de la bioéthique (les conséquences médicales du Distilbène), à l’échelle nationale et internationale.

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Dominique Audrerie

Dominique Audrerie

Dominique Audrerie est un expert indépendant des questions environnementales.

Il est également docteur en droit de l'environnement et ancien directeur du Conseil d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement (en 1993).

Il est avocat à la Cour et maître de conférences.

Il est l'auteur de Petit vocabulaire du patrimoine culturel et naturel (Confluences, 2003).

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Atlantico : Qu'est-ce qu'un crime contre l'environnement?

Laurent Neyret : La criminalité environnementale recouvre une réalité plurielle qui va de l'acte de braconnage isolé à des trafics en tous genres qui sont le fait de réseaux mafieux comme le trafic de déchets, le trafic de bois, ou encore le trafic de métaux précieux ou de faune sauvage. Les crimes contre l'environnement se hissent au 4e rang des activités illicites internationales en termes de profits, estimés aujourd'hui entre 70 et 213 milliards de dollars par an.

De manière générale, on peut définir le crime contre l'environnement comme la violation intentionnelle du droit de l'environnement qui crée un risque ou qui cause un dommage à l'environnement. Trois grandes catégories de crimes environnementaux peuvent être distingués :

- les infractions opportunistes qui impliquent la violation ponctuelle du droit, à l'image d'un abandon de déchets ;
- les infractions qui découlent d'une stratégie d'entreprise, du type d'une violation répétée de la loi par souci de profit, à l'image de la mise en place d'un système destiné à falsifier les taux réels d'émission de gaz polluant d'une flotte de voitures ;
- les infractions commise par le crime organisé.

Dominique  Audrerie : Le crime n’est pas une notion en soi. C’est une notion relative. Par exemple, le viol a longtemps été considéré comme un accident tandis que le suicide était un crime. Aujourd’hui, ces notions ont évolué. Tout dépend de la prise en compte à un moment donné par la société de la notion de ce qui doit être protégé, de ce qu’elle considère comme important.

Il y a crime quand il y a atteinte contre des valeurs essentielles. Si l’environnement n’est pas placé au rang des valeurs essentielles, alors le crime ne peut pas être reconnu.

La pollution est un crime contre l’environnement. Les explosions des centrales nucléaires sont des crimes contre l’environnement . Les contrôles sur les centrales sont tels que, s’il y a un accident, c’est qu’à un moment donné, on n’a pas suivi les mesures de conservation. C’est de l’inconscience.

On parle de profits tirés des crimes contre l'environnement qui se situeraient entre 70 et 210 milliards de dollars par an et représenteraient la quatrième source de revenus illégaux pour le crime organisé. A qui profite le crime?

Laurent Neyret : Le crime environnemental est d'abord un moyen de survie pour les populations les plus pauvres : tuer un tigre sauvage, couper du bois de rose de Madagascar, extraire de l'étain illégalement est alors un moyen de survie pour certains.

Surtout, le crime environnemental donne lieu à la corruption et au blanchiment, enrichissant alors des populations déjà nanties ou bien installées. 

De manière indirecte, en bout de chaîne, on peut dire aussi que certaines multinationales, ou bien le consommateur lui-même,  profitent de produits issus du crime environnementale, et parfois sans le savoir : à l'image du matériel informatique et des téléphones mobiles qui peuvent contenir de l'étain provenant de mines illégales en Indonésie.

Au-delà, il a été démontré que l'argent du crime environnemental servait à financer des armées rebelles et des groupes terroristes à l'image de l’Armée de résistance du Seigneur (LRA) qui est  soupçonnée d’utiliser le trafic d’ivoire en Afrique centrale dans le but de poursuivre ses activités.

Dominique  Audrerie : Il profite à toutes ces entreprises qui vendent des produits nocifs pour l’environnement, qu’ils veulent continuer de vendre. Par exemple : les producteurs d’engrais artificiels, les éleveurs intensifs. La ferme des mille vaches : c’est de la surdensité qui profite au producteur. Ils savent que c’est mauvais pour l’environnement. Ils continuent parce que ça rapporte. Et ces multinationales cachent ça derrière de bonnes idées, des logos bien verts.

Peut-on être jugé pour éco-crime? Pourquoi?

Laurent Neyret : On ne peut pas parler de vide juridique en matière de lutte contre la criminalité environnementale. Il existe plutôt un manque de moyens ou un manque de volonté politique afin d'appliquer les textes existants. Au-delà, si les criminels de l'environnement arrivent à passer entre les mailles du filet du droit, c'est à cause de la disparité de sanctions ou de poursuites qui existent d'un pays à un autre, donnant lieu à un véritable dumping environnemental. Comme le crime est global, il suffit qu'un pays soit plus laxiste, pour que toute la chaîne de vigilance des autorités policières ou judiciaires soit mise à mal. D'où la nécessite d'une collaboration mondiale en la matière.

Dominique  Audrerie : Non, on ne peut pas être jugé car la notion de crime ne s’applique pas à l’environnement. Il n’est pas reconnu par la Cour pénale internationale. Il faudrait placer l’environnement au niveau des valeurs essentielles par une volonté politique, par une loi. Dès lors qu’il n’y a pas de loi, ce n’est pas sanctionable. Et je pense honnêtement que le gouvernement n’est pas prêt à faire cette démarche.

Comment expliquer une telle disparité entre la communication sur la COP21 et la réalité de la justice?

Laurent Neyret : La COP21 avait seulement pour objet la question de la lutte contre le changement climatique. La question de la criminalité environnementale était donc seulement périphérique à la conférence. Pour autant, la COP21 a été une occasion formidable d'alerter le monde entier sur l'étendue de la criminalité environnementale et sur la nécessité pour les Etats de prendre à bras le corps cette question. Un mouvement est lancé en ce sens : pour preuve, l'Assemblée générale des Nations Unies a adopté à l'unanimité le 30 juillet 2015 une résolution sur la surveillance du trafic des espèces sauvages qui "encourage les Etats membres à adopter des mesures efficaces pour prévenir et combattre le grave problème que constituent les crimes qui ont une incidence sur l'environnement". Dans le même ordre d'idées, la Commission européenne a adopté le 26 février 2016 un plan d'action contre le trafic d'espèces sauvages qui vise à prévenir la commission d'infractions environnementales, de renforcer l'application du droit existant, et enfin de renforcer le partenariat mondial entre les pays d'origine, les pays de destination et les pays de transit en matière de lutte contre le trafic des espèces sauvages.

Dominique  Audrerie : Il y a d’un côté le discours où l’environnement est important, et de l’autre, la réalité de la vie. On se dit  "oui, c’est important mais quand je prends l’avion, je ne pense pas que je pollue ". Il y a une relativité entre le discours et le vécu.

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