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Alerte à l'érosion des terres fertiles de la planète : un mal sans réel remède autre que la prévention
©wikipédia

Atlantico Green

Pointée une nouvelle fois par l'organisation des Nations unis pour l'Alimenation et l'Agriculture, la dégradation des sols est essentiellement liée à la déforestation, à l’ouverture de grands espaces et à la monoculture. Elle se constate dans toutes les zones d’agriculture intensive et industrielle. Les solutions doivent avant tout venir de l’éducation et d’un changement des pratiques, plus que d’une technologie miracle quelconque.

Jean-Claude  Marcus

Jean-Claude Marcus

Jean-Claude Marcus est Administrateur de l’Association Française pour l’Etude du Sol (AFES), organisateur du colloque de la Journée Mondiale des Sols (le 5 décembre tous les ans) et du Club Parlementaire pour la Protection et l’Etude des Sols (CPPES).

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Atlantico : Dans un rapport paru le  4 décembre 2015, l'Organisation des Nations Unis pour l'Alimentation et l'Agriculture (FAO) déplorait une perte progressive de fertilité des sols de la Terre. Un tier des terres cultivables de la planète seraient menacés de disparaître rapidement.  L'organisation cite des scientifiques selon lesquels entre 25 et 40 milliards de tonnes de l’épiderme de la planète sont emportés chaque année. Quelles sont les causes principales de cette diminution de fertilité ?

Jean-Claude Marcus : La FAO suit de plus en plus l'épuisement des sols. L'état des sols conditionne à la fois la disponibilité d'alimentation au niveau global, et l'autosuffisance alimentaire au niveau local. Dans l'idéal, il faudrait avoir plus d'aliments  là où se concentrent le plus d'hommes. Dans les faits, c'est l'inverse qui se réalise. Cette situation ne cesse pas d'empirer puisqu'en 2020 on prévoit que 70% des populations humaines s'entasseront dans des villes, le plus souvent des bidonvilles, très souvent dans des zones devenues inondables et sur des sols très dégradés ou contaminés.

Au départ, la baisse de fertilité est une dégradation d'abord quantitative puis qualitative des sols. Les sols perdent en volume, sont tassés donc moins perméables. La dégradation entraîne une biodiversité insuffisante pour assurer la production des micros-éléments qui donnent la fertilité.  L'érosion emporte la partie superficielle, qui est celle la plus utile car c'est celle dans laquelle il y a le plus de nutriments et de vie. Dans une petite cuiller de sol en bonne santé il y a plus d'êtres vivants, microscopiques, qu'il y a d'humains sur la Terre.

Cette dégradation quantitative est liée à l'action des Hommes. (…) La cause première est la déforestation. On perturbe des équilibres, la biodiversité, or seul un sol riche est résilient. Quand la forêt est pérenne, le volume de sol forestier a généralement tendance à se maintenir, voire à s'accroître, quand bien même il y a une importante circulation d'eau comme c'est le cas en Amazonie.

En outre, la canopée d'une grande forêt émet des micros-particules qui favorisent la pluie. Là où de la forêt a été supprimée en bordure d'Amazonie, les pluies se raréfient. Un sol s'érode assitôt qu'il n'a plus de couverture végétale.

Il existe d'autres causes, notamment la généralisation des "open fields", c'est-à-dire de très grands champs de monocultures. Pendant des millénaires,  des agriculteurs, peu mobiles et auto consommateurs, ont cherché à s'assurer une subsistance avec une grande diversité d'approvisionnement là où ils vivent (des cultures diversifiées, de l'élevage, la préservation de bois…).

C'est un système pérenne d'une génération à l'autre, capable de résister aux coups durs, dans lequel l'organique revient au sol de façon cyclique et où les parcelles deviennent plus productives. L'abandon de ce mode de culture pour une organisation standardisée, industrialisée (grands champs, usage d'engrais…) avec l'ouverture de grands espaces favorise l'érosion et la fragilisation des sols. Plus un sol est en végétation uniforme, voire pire sans végétation du tout, plus il s'érode. On observe une simultanéité entre la première révolution industrielle et l'accroissement de la présence des gaz à effet de serre dans l'atmosphère.  

La dérive climatique est le résultat de deux facteurs qui contribuent au réchauffement global: la perte de puits en carbone des sols et l'excès d'émission de gaz à effet de serre.  C'est parce que nous perdons la capacité d'absorber ces gaz –surtout par la végétation – que cet excédent d'émission devient un stockage de gaz à effet de serre dans l'atmosphère. Or 12 de carbone séquestré dans un sol évite ou extrait 42 de gaz carbonique (CO2) dans l'atmosphère.

On ne devrait donc pas parler de perte de fertilité mais de la dégradation des fonctions des sols, qui contribuaient notamment à la capture du gaz carbonique. Autrement dit, ce que l'on appelle la baisse de fertilité est une véritable catastrophe écologique, dont climatique.

Quels sont les zones les plus touchées par ce phénomène à travers le monde ?

Dans les pays développés, les zones les plus touchées par une dégradation des sols sont celles des grandes cultures, des cultures industrielles.

Les zones les plus concernées sont celles où l'emploi des sols pour des cultures d'exportation (café, sucre,…) a totalement épuisé les sols. Les exemples sont innombrables au Brésil notamment où il y a eu déforestation, surexploitation et remontée de sels, formation de couches latéritiques, aboutissant à une  infertilité du sol. Le même phénomène est en train de survenir en Argentine, par exemple, où la dégradation est extrêmement rapide.

En France, la région d'Amiens et celle de la Beauce, par exemple, sont particulièrement appauvries, l'érosion des sols est forte, à cause d'un mode de production de céréales industriel. Les causes de cet appauvrissement sont la mono culture (une seule céréale cultivées sans rotation et sans alternance avec des légumineuses), le labour trop profond, l'usage d'engins créant une semelle de labour ; un appauvrissement en vie des couches superficielles, un manque de vers de terre qui font circuler les nutriments verticalement. A cela s'ajoute le phénomène de la battance, c'est-à-dire que de l'eau stagne dans les champs et emporte du sol avec elle lorsqu'elle s'évacue. Cela se produit lorsque les sols sont déstructurés. A l'échelle européenne, la battance ne fait que croître, on le constate sur des images satellites.

Quelles sont solutions pour enrayer ce phénomène ?

Ce ne sont ni des solutions techniques ou technologiques ni industrielles. Elles sont toutes culturelles et liées à l'éducation, notamment des femmes, qui sont surreprésentées parmi les agriculteurs au niveau mondial.

Il faudrait revenir à trois principes: produire sur place le plus possible, ce dont on a besoin, - mais cela devient très compliqué quand 70% de la population humaine vit en ville-, produire en utilisant le moins d'apports pour avoir le plus d'emport -ceci est contraire à l'usage d'engrais et de gros tracteurs-, et favoriser au maximum une couverture permanente des sols. Cela peut se faire par la plantation de légumineuses par exemple. Si un sol est laissé à nu, l'érosion par l'eau et par le vent joueront à plein.

D'une manière générale les cultures complantées et étagées produisent beaucoup plus de nutriments et avec beaucoup plus de diversité et de sécurité alimentaire que les monocultures.

La plantation de légumineuses contribue à limiter l'emploi d'engrais azotés : pour la FAO l'année 2016 est l'année internationale des légumineuses. Mais des questions d'ordre économique se posent: Les industries du pétrole (bitume), du ciment (artificialisation, construction), de l'industrie chimique (engrais, biocides), sont plus puissantes financièrement que la plupart des Etats. Leur débouché majeur, ce sont les sols, que ces industries imperméabilisent, artificialisent et contaminent ou polluent : c'est une source très importante de l'infertilité. Tel qu'il marche actuellement, notre monde détruit sur le court terme la fertilité dont il  a besoin à long terme.  

Propos receuillis par Adeline Raynal

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