Comment l’Europe a renoncé à l’efficacité énergétique <!-- --> | Atlantico.fr
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La moitié du parc de logements en Europe a un mauvais indice de performance énergétique.
La moitié du parc de logements en Europe a un mauvais indice de performance énergétique.
©DR

Atlantico Green

Le rapport d'un think-tank européen sur la stratégie des différents pays membres de l'Union européenne en matière d'efficacité énergétique montre un vrai décalage entre certaines réalisations et les exigences de Bruxelles.

Myriam Maestroni

Myriam Maestroni

Myriam Maestroni est présidente d'Economie d'Energie et de la Fondation E5T. Elle a remporté le Women's Award de La Tribune dans la catégorie "Green Business". Elle a accompli toute sa carrière dans le secteur de l'énergie. Après huit années à la tête de Primagaz France, elle a crée Ede, la société Economie d'énergie. 

Elle est l'auteure de plusieurs ouvrages majeurs: Intelligence émotionnelle (2008, Maxima), Mutations énergétiques (Gallimard, 2008) ou Comprendre le nouveau monde de l'énergie (Maxima, 2013), Understanding the new energy World 2.0 (Dow éditions). 

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Atlantico : Récemment, la BPIE -un think tank européen- a publié un rapport sur la stratégie des différents pays membres de l'Union européenne en matière d'efficacité énergétique, et sur le décalage de certains pays quant aux exigences de Bruxelles. Selon lui, (voir ici en anglais) la rénovation du parc immobilier qui est un des facteurs principaux pour l'es économies d'énergies n'est pas suffisamment pris au sérieux. Ainsi, l'Autriche aurait obtenu une note de 28%, et le Danemark et les Pays-Bas n'auraient pas non plus obtenus des notes satisfaisantes. A contrario, la France et l'Allemagne seraient en tête du classement. En quoi ce diagnostic révèle-t-il que l'Europe n'a pas suffisamment pris la mesure de l'importance de l'efficacité énergétique ?

Myriam Maestroni : Force est de constater que le sujet de l’efficacité énergétique n’a pas été pris à sa juste valeur par l’Union Européenne, qui a attendu fin 2012 pour enfin publier une Directive spécifique1. Ce retard est extrêmement difficile à comprendre car le paquet énergie-climat, voté début 2008, plus connu par son fameux objectif des « 3X20 », prévoyait clairement de réduire les émissions de C02 des états membres de 20%, d’accroître la part des énergies renouvelables dans le mix énergétique à 20% et de baisser la consommation d’énergie de 20%, d’ici à 2020.

Sans vouloir réécrire l’histoire, il est quand même à noter qu’il s’agissait là d’un tiercé établi dans l’ordre inverse puisque c’est une question de pur bon sens de comprendre qu’en principe, il faut commencer par réduire la consommation, pour mécaniquement réduire les émissions de C02 (car il est évident que la seule énergie qui n’émet pas de CO2 est celle que l’on ne consomme pas), et finalement calculer la vraie part des énergies renouvelables sur la consommation d’énergie optimisée. Cela revient aussi à mieux prendre conscience de l’importance de cette Directive qui exigeait des Etats membres de fixer leurs objectifs d’efficacité énergétique nationaux, de les notifier à la Commission en précisant les méthodes de calcul retenues pour garantir la baisse de consommation énergétique en valeur absolue, et enfin de préciser leur politique de mise en œuvre locale. Le délai fixé pour ce faire a expiré fin juin 2014,  donnant lieu, depuis, à de premières évaluations dont certaines reprises dans le rapport de la BPIE, qui insiste sur l’hétérogénéité des efforts consentis par les différents pays, mais également sur la question fondamentale de l’efficacité énergétique des logements européens.

Rappelons qu’au cours de ces dernières années les particuliers ont découvert que tous les logements n’étaient pas égaux en terme de performance énergétique et que si on avait la chance d’habiter dans une belle maison toute neuve (catégorie A) on n’allait dépenser que 50kwh/m2/an,  tandis que si on vivait dans un logement en catégorie D, E, F ou G (ce qu’on estime être le cas de la moitié du parc immobilier européen) on allait dépenser de 6 à 9 fois plus d’énergie… et donc payer des factures d’énergie en proportion, mais aussi émettre plus de C02 et alourdir notre impact sur le changement climatique.

Quelles en sont les conséquences concrètes ?

Il est bien évident que temporiser sur le sujet de la rénovation énergétique des logements a toute une série de conséquences majeures. Des conséquences macroéconomiques d’abord, puisque l’Europe, fortement dépendantes de ses importations d’énergie -jamais rassurant sur fond de crises géopolitiques de l’Irak à l’Ukraine- a vu sa facture énergétique quasiment doubler en moins de 10 ans. Cela se traduit également par des conséquences économiques, les ménages doivent allouer une part croissante de leur budget à leur poste énergie (3.204€ en moyenne par ménage en 2012 selon l’INSEE), mais également sociétales car lorsque cette part passe la barre des 10% on se retrouve en situation de précarité énergétique. Un phénomène qui ne peut que s’aggraver si le sujet n’est pas pris à bras le corps, car la population vieillit, et cumule les handicaps : plus grande sensibilité au froid, plus de temps passé chez soi, moins de revenus et prix de l’énergie à la hausse. Enfin des conséquences sur le climat à l’heure où le GIEC vient de remettre son dernier rapport, très alarmant, à la France, qui accueillera en décembre 2015 la prochaine conférence mondiale sur le climat (COP21).

A quoi ressemblerait une Europe de l'efficacité énergétique, quelles en serait les mesures prise à l'échelle locale et supra-locales ?

Ce qui est certain c’est qu’après avoir complètement raté l’Europe de l’Energie, je veux croire au succès d’une Europe de l’Efficacité Energétique… même si on en est encore loin. Pour ce faire on doit bien comprendre que l’efficacité énergétique passe par la mise en œuvre de 3 leviers. Le premier concerne les comportements, et passe par une information claire et continue sur le sujet (on pourrait parler d’Energie 1.0), le deuxième, celui que j’ai largement décrit dans mon livre, Comprendre le nouveau monde de l’Energie 2.0, fait référence aux investissements à réaliser dans un logement pour améliorer sa performance énergétique et donc sa catégorie (on en dénombre une bonne vingtaine tels qu’isolation des combles, des murs, changement de vieilles chaudières, mise en place de systèmes de régulation, de ventilation…), et enfin le recours aux technologies (Energie 3.0) qu’il s’agisse de la propre performance des nouveaux matériels, d’un suivi précis des consommations ou encore de lissage des consommations (e.g. effacement consistant à utiliser l’énergie électrique en dehors des heures de consommation pointe).

Le chapitre des investissements est celui qu’il faut actionner en priorité au travers d’actions de sensibilisation, d’information, d’aide à la prise de décision, d’accompagnement, et de suivi. Autant de nouveaux métiers et nouvelles missions incombant aux entreprises et aux états, qui doivent conjuguer leurs efforts… Le jeu en vaut la chandelle puisqu’il s’agit également de relancer une croissance durable qui suppose des créations d’emplois locaux non délocalisables.

Bien que la France et l'Allemagne soient bien classées en la matière, n'ont-elles pas également un rôle d’impulsion en Europe ? Comment cela pourrait-il se traduire politiquement ?

Les investissements inhérents à la rénovation peuvent être financés au travers de 3 grands mécanismes : le tiers financement, le tiers investissements, et last but not least, les certificats d’économie d’énergie (également appelés certificats blancs). Pour promouvoir à grande échelle ces rénovations il y a 1001 choses à imaginer, dans une logique de coopération initiale entre les états les plus avancés : lancement d’un marché européen des certificats blancs, unité de  mesure européenne commune de l’efficacité énergétique (pourquoi pas notre kwhcumac made in France ?), promotion de nouveaux métiers tels que celui d’éco-rénovateur énergétique européen, mise en place de conditions de prêts à la rénovation à taux et conditions allégés, institut européen de la lutte contre la précarité énergétique définissant des règles communes et dotés de moyens mutualisés, passeport de la rénovation énergétique (dans la lignée des Diagnostics de Performance Energétique -DPE- déjà européen)… La liste est longue, mais les nouvelles technologies de la communication et de l’information peuvent contribuer à rendre possibles des innovations que nous n’aurions pu imaginer avant.

En ce qui concerne la France, l’enjeu à court terme est de clarifier au plus tôt les règles du jeu encore floues pour consolider une dynamique qui, est actuellement en train de s’essouffler … Bref, tous les espoirs sont permis, à condition de créer les circonstances, notamment réglementaires, favorables sans tarder.

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