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Réchauffer les hommes plutôt que les lieux : l’avenir des économies d’énergie ?
©Reuters

Attention, ça brûle!

Se chauffer uniquement selon nos besoins et notre présence dans un lieu : c'est le système qu'a mis au point le directeur du MIT's Senseable City Labiratory. Sous réserve de respecter certaines conditions, ce dispositif peut générer des économies d'énergie non négligeables.

Myriam Maestroni

Myriam Maestroni

Myriam Maestroni est présidente d'Economie d'Energie et de la Fondation E5T. Elle a remporté le Women's Award de La Tribune dans la catégorie "Green Business". Elle a accompli toute sa carrière dans le secteur de l'énergie. Après huit années à la tête de Primagaz France, elle a crée Ede, la société Economie d'énergie. 

Elle est l'auteure de plusieurs ouvrages majeurs: Intelligence émotionnelle (2008, Maxima), Mutations énergétiques (Gallimard, 2008) ou Comprendre le nouveau monde de l'énergie (Maxima, 2013), Understanding the new energy World 2.0 (Dow éditions). 

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Carlo Ratti, directeur au MIT'S Senseable City Laboratory, présente, jusqu'au mois de novembre à l'Exposition internationale d'Architecture de Venise, son projet "Local Warming". Celui-ci consiste en un système de chauffage qui vise à chauffer exclusivement les individus et non les lieux, suivant leur présence dans ceux-ci et leurs besoins. Comment fonctionne un tel système de chauffage ?

Myriam Maestroni : C’est extrêmement simple, puisqu’il reprend une idée que bon nombre d’entre nous a déjà certainement eue en s’asseyant, à la terrasse d’un bar, sous un parasol chauffant, ou… au soleil tout court. Qui ne rêve pas d’avoir son petit soleil portable ? Certes à condition qu’il ne soit pas trop chaud et qu’il nous laisse nous réfugier dans un coin à l’ombre et à condition, de pouvoir aussi régler, quand il fait trop froid, "l’effet nuage" qui nous fait immédiatement frissonner en nous cachant les rayons du soleil. En termes plus techniques, le "Local warming" est un système de chauffage dit "à radiations" qui combine de puissantes lampes à infra-rouges (la fréquence de rayonnement qui provoque la sensation de chaleur), des capteurs optiques intelligents et des systèmes d’actionnement du mouvement (appelés des servomoteurs), le tout permettant de détecter les personnes pour les chauffer. La localisation et le déplacement des personnes peut être suivie par un système connecté à une application smartphone que l’on pourrait également imaginer capable de régler la température individuelle souhaitée. C’est d’ailleurs sur une de ces pistes que semble travailler le laboratoire de recherche du MIT…. bref presque une solution chauffage ou soleil version 4G ! 

Quand est-ce que ce système pourrait devenir accessible au grand public ?

Il est bon de rappeler que le chauffage par rayonnement, est une des 3 formes de chauffage possibles avec la conduction (contact direct avec une surface chaude type plancher chauffant ou radiateur sèche-serviettes dans les salles de bain) et la convection (chauffage du volume d’air qui, sous l’effet de la chaleur, s’allège en se dilatant et monte sous l’effet de la poussée d’Archimède).  Aujourd’hui, les trois sont déjà bien sûr toutes disponibles pour le grand public. Les questions qui se posent sont plutôt celles concernant le choix des meilleures technologies en terme de coût/bénéfices, d’impact environnemental mais aussi en fonction des caractéristiques des lieux, ou encore des habitudes de vie et des exigences de confort.
Ainsi, le système de chauffage par radiation est extrêmement bien adapté à de grands espaces, caractérisés par d’importants volumes d’air à chauffer et éventuellement à ciel ouvert… nous revenons à nos parasols chauffants utilisés en terrasses, mais on peut aussi trouver ce genre de chauffage dans les grands halls de gare, où pendant l’hiver avec les points chaleur autour desquels s’amassent nombre de voyageurs frigorifiés.

Bien sûr, et c’est tout l’objet des recherches du MIT, l’idée serait d’installer un éventail de lampes qui puissent suivre tout au long du déplacement. En fait, la possibilité de mettre en place des systèmes de détection de présence, qui permettent d’allumer ou d’éteindre en fonction des personnes repérées, existe déjà. C’est le même principe que pour l’éclairage sensible au mouvement que l’on retrouve un peu partout et de plus en plus dans les toilettes des établissements recevant du public. La vraie problématique n’est donc pas tant celle de l’accessibilité mais plutôt celle de la "raisonnabilité", qu’il s’agisse d’ailleurs de technologies existantes ou expérimentales et en sachant que la cohabitation de différents systèmes est tout à fait possible et conseillée, car malheureusement, on ne le répètera jamais assez, il n’y a pas de solutions idéales. C’est d’ailleurs souvent une question de bon sens, que l’on pourrait imager par l’idée de ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier et qui, dans la pratique, peut par exemple se traduire dans nos logements par un système de chauffage de type boucle à eau chaude (convection), un chauffage d’appoint type radiateur électrique ou poêle à gaz (rayonnement), ou encore un chauffage à bois ou un foyer, et pourquoi pas des panneaux solaires thermiques qui préchauffe naturellement l’eau. L’approche étant de ne pas dépendre d’une seule technologie, même si, avouons le, il s’agit là d’un choix de plus en plus difficile à faire dans les villes et dans les immeubles de bureaux de plus en plus automatisés et standardisés.

L'évaluation d'un tel mode de chauffage, en termes de coût pour le consommateur, serait-elle satisfaisante pour pouvoir répandre l'utilisation d'un tel système de chauffage ? Est-ce vraiment plus économique que le mode de chauffage traditionnel ?

L’efficacité énergétique et les coûts de Local Warming sont assez difficiles à calculer, car ils sont à la fois fonction de la nature du prix de revient réel de l’électricité , de la température de chauffage souhaitée (1° de variation représente environ 7% de consommation énergétique)  et du nombre d’individus présents, car s’il y en a trop on a un risque de saturation. Le système peut donc être intéressant dans de grands lieux et fréquentés de façon intermittente…

Sur le plan énergétique à proprement parler, comment juger de l'efficacité de ce système de chauffage ? Respecte-t-il certains engagements pris, notamment quant à la réduction des gaz à effet de serre ?

Cette question permet sans aucun doute de mettre en évidence le lien direct qui existe entre les technologies utilisées et le type d’énergie indispensable à leur fonctionnement. Ainsi l’idée du "Local warming" est celle d’un chauffage absolument dépendant de l’électricité, qu’il faut elle-même produire dans des centrales électriques, en utilisant une énergie dite "primaire", qu’il s’agisse de charbon, de fioul lourd, de gaz naturel, d’uranium ou de sources renouvelables (photovoltaïque, biomasse, géothermie notamment)... En plein démarrage de la discussion sur le projet de Loi de Transition Energétique (dans lequel figure la question de la réduction de la part du nucléaire dans le mix énergétique de notre pays, qui est, rappelons le, parmi les plus nucléarisés au monde), je pense que l’on doit rester prudent sur ce sujet. En effet, le grand risque est de devoir produire de l’électricité avec du charbon, désormais disponible à prix cassé, et donc de voir remonter le niveau des émissions de CO2, comme on l’a vu en Allemagne. Par ailleurs, l’électricité n’est pas ou est encore mal stockable, ce qui ajoute une difficulté majeure à la mise en œuvre d’un chauffage électrique par radiation ponctuelle (en cas de froid et/ou de présence humaine), car cela donne lieu à une consommation dite de pointe qu’il faut couvrir en temps réel. On doit donc premièrement réduire les consommations d’électricité, et en priorité celles liées au chauffage (de fait les seules possibles à moins de se priver de télévision, d’ordinateurs et de téléphones portables totalement électro-dépendants). C’est ce que l’on appelle les usages spécifiques. Et deuxièmement s’assurer bien sûr de la production d’électricité renouvelable en quantité suffisante. Or ceci passe par un besoin de cadre réglementaire et tarifaire suffisamment stabilisé pour encourager les projets d’investissements. On en est encore très loin…

Outre ce projet "Local Warming", n'y aurait-il pas d'autres solutions pouvant être mises en place afin de rendre notre consommation en chauffage plus performante ?

Je vais résumer ma réponse à cette question en deux mots : l’efficacité énergétique… ou pour le dire en langage plus clair pour nous tous, l’économie d’énergie. Il s’agit d’ailleurs là d’un sujet qui me tient particulièrement à cœur, puisque j’y ai consacré un ouvrage dont le sous-titre est : "Efficacité énergétique et économie d’énergie : pilier de la transition énergétique" (Maxima, 2013). Au-delà de l’anecdote littéraire, je dois vous avouer que le fait de savoir que, dans notre pays, il y a plus de 15 millions (soit un sur deux ) -  qu’ils soient occupés par leur propriétaire ou en location - en dessous de la catégorie D et qui consomment donc de 6 à 9 fois plus qu’un logement neuf (obligatoirement en catégorie A qui représente une consommation de 50kwh/m2/an), est pour moi un crève-cœur, et surtout une priorité absolue. Car c’est, en effet une priorité à la fois politique (facture et dépendance énergétique) économique (budget alloué au poste énergie en prévisible croissance), sociétale (prévention d’un phénomène aggravé de précarité énergétique) et environnementale (l’énergie non consommée représente du C02 non émis).

Le constat est clair, le diagnostic est connu et partagé, mais les tergiversations technocratiques sur le sujet, sont en total décalage avec le caractère d’urgence absolue. On rénove aujourd’hui de l’ordre de 300.000 logements par an, l’objectif affiché est de 500.000… et franchement nous n’avons pas 30 ans devant nous. Pour moi le chiffre minimum à cibler est de 1 million de rénovations énergétiques par an…. ce qui représente déjà un horizon de 15 ans. Ce qui est étonnant, c’est que, depuis 2006, la France, qui s’était distinguée par sa politique innovante en matière de sensibilisation du grand public aux économies, semble être en panne. Elle vient d’ailleurs d’être menacée de sanctions par l’Union européenne qui ne comprend pas les raisons du retard pris pour transposer la Directive sur l’Efficacité Energétique (EED 2012).  Il faut également largement relayer auprès du grand public toujours trop peu informé les éléments concrets leur permettant de choisir quels travaux réaliser. Les plateformes web offrant des éco-primes sont un excellent moyen, elles doivent être consolidées. On doit pour cela développer encore davantage les plateformes d’incitation à la rénovation pour le grand public et notamment celles offrant des écoprimes (Auchan, Carrefour, Monsieur Bricolage, Castorama, etc) adossées aux certificats d’économie d’énergie (CEE). Il faut espérer que les différents acteurs, tous mobilisés sur ce sujet, pourront rattraper au mieux ce retard et en limiter les impacts sur la dynamique de rénovation énergétique, qui s’est avérée si difficile à mettre en place et qu’il faut vraiment intensifier.

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