Lincoln chasse les vampires, mais De Gaulle pourrait-il combattre les zombies ? <!-- --> | Atlantico.fr
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On ne savait pas tout sur Abraham Lincoln. Avant de devenir le 16e président des Etats-Unis et d'abolir l'esclavage, il a rendu dans sa jeunesse un fier service à son pays: il l'a débarrassé des vampires qui menaçaient d'en prendre le contrôle...
On ne savait pas tout sur Abraham Lincoln. Avant de devenir le 16e président des Etats-Unis et d'abolir l'esclavage, il a rendu dans sa jeunesse un fier service à son pays: il l'a débarrassé des vampires qui menaçaient d'en prendre le contrôle...
©DR

Président vampirique

Le film d'action "Abraham Lincoln : chasseur de vampires" sort ce mercredi dans les salles françaises. Un nouvel exemple de l'audace du cinéma américain, qui n'hésite pas à détourner ses icônes nationales... contrairement au cinéma français.

 Pascal  Bauchard

Pascal Bauchard

Professeur d'histoire, Pascal Bauchard est spécialisé dans l'histoire du cinéma.

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Atlantico : Le film américain Abraham Lincoln : chasseur de vampires nous raconte les aventures d'un (futur) président prêt à éliminer les vampires à grands coups de hache. Pourrait-on réaliser De Gaulle contre les zombies en France ?

Pascal Bauchard :J’avais plutôt pensé à Hollande contre les vampires... Mais a priori, cela ne se fera pas. Tout simplement parce qu’en France, on évoque rarement le président. Seuls très peu de films l’ont osé : en 1961, Le Président d’Henri Verneuil, met en scène Jean Gabin, mais sans même montrer le président de la République : il se cantonne au président du Conseil.

Quant à De Gaulle, il est apparu dans très peu de films. A ma connaissance, on ne voit que sa silhouette dans L’Armée des Ombres, un film sur la Résistance sorti en 1969. Le héros joué par Lino Ventura arrive à Londres, et l’on ne voit que la manche du Président. Il y a bien eu des téléfilms sur De Gaulle, avec des acteurs qui lui ressemblaient plus ou moins, mais le cinéma français a très rarement présenté ses présidents à l’écran.

Cette timidité ne concerne-t-elle que De Gaulle ?

De manière générale, le cinéma français est extrêmement précautionneux. Aucun film n’a traité du président Giscard d’Estaing, hormis un documentaire réalisé par Raymond Depardon, qui retraçait la campagne électorale de 1974 et dont Giscard avait interdit la diffusion.

Malgré tout, deux films se sont récemment distingués : Le Promeneur du champ de mars, un très bon film, qui illustrait la vie de François Mitterrand, dans lequel on avait vraiment le sentiment de voir l'ancien président, joué par Michel Bouquet ; et l’an passé La Conquête, qui représentait le président Sarkozy sous les traits de Denis Podalydès.

Il faut dire que la figure de De Gaulle a particulièrement marqué les esprits et a toujours été impressionnante. Sa personnalité était telle qu’on a toujours eu peur de le représenter. Au contraire, ce genre de pudeur n’existe pas aux Etats-Unis. Voyez Olivier Stone, qui a réalisé un film sur Kennedy (JFK en 1992), sur Nixon (Nixon en 1995) et même sur George W. Bush (W. en 2008) : il n’hésite pas. Cela s’inscrit dans l’intérêt du cinéma hollywoodien pour le biopic, les biographies épiques qui retracent l’histoire d’hommes célèbres, ce qui est beaucoup plus rare en France.

Cette réserve française sur les présidents à l’écran évolue-t-elle ?

Un petit peu… Mais pouvez-vous imaginer un film sur Chirac ? Sur François Hollande ? Il est vrai que c’est un peu tôt…

La différence entre le cinéma français et américain est-elle liée à un rapport différent au pouvoir politique ? A l’histoire ?

Le cinéma français est traditionnellement prudent par rapport à la politique, comme s’il craignait de se faire taxer de parti pris.

Cela dit, les raisons qui expliquent l’ « audace » américaine ne sont pas forcément liées à un esprit de fronde et d’indépendance intellectuelle, puisque la plupart des films américains montrant le chef de l’exécutif le font dans l’optique de montrer la supériorité du modèle politique nord-américain. John Ford, dans Young Mister Lincoln (1939), montre par exemple Lincoln avant qu’il ne soit célèbre, sur les premiers pas du futur président, encore jeune avocat. Ce faisant, il affirme l’idée selon laquelle, aux Etats-Unis, il est possible de s’élever du plus bas de l’échelle sociale pour en atteindre les sommets.

Peut-on le relier aux particularités de l’histoire américaine, qui est plus récente que la nôtre ?

C’est surtout que les Etats-Unis ont plus le besoin de se valoriser. Il y a par exemple eu énormément de films sur Abraham Lincoln dans les années 1930, au moment de la crise économique, pour se rassurer. De même dans les westerns, on trouve souvent une scène représentant les élections locales, qui montrent la supériorité du système démocratique américain.

Vous disiez que, pendant longtemps, le cinéma hollywoodien a entendu défendre le système américain. Ce film, qui présente Lincoln comme un super héros, participe-t-il de cette volonté ?

Lincoln est une vraie idole.  Il apparaît dans l’un des chefs-d’œuvre du cinéma, Birth of the nation de Griffith, qui date de 1914 et qui, déjà, raconte son assassinat. Film raciste, pro-Ku Klux Klan, il ne présente pas Lincoln de façon positive. L’admiration est telle que, dans les années 1930, Abraham Lincoln est souvent représenté uniquement sous forme de statue.

En faire un chasseur de vampire, est-ce que cela l’humanise ? Le ridiculise ? Il faut attendre la sortie du film. Ce qui est évident, c’est que les derniers films américains qui montrent les présidents le font de manière plutôt irrévérencieuse. Ils sont désormais tout sauf idylliques. Malhonnête dans Los Angeles 2013, narcissique dans The Second Civil War, faible dans Meurtre à la Maison Blanche, idiot dans Mars attacks, concupiscent et meurtrier dans Les pleins pouvoirs, marionnette aux mains de ses conseillers dans Des hommes d’influenceOn dévoile les faiblesses des présidents, leur part d’ombre, notamment depuis l’aventure de Bill Clinton dans les années 1990.

En même temps, les Américains ne reculent pas devant la farce et la parodie, comme dans Mars Attacks avec Jack Nicholson qui campe un président ridicule. Abraham Lincoln : chasseur de vampires est donc peut-être donc, tout simplement, une farce.

Propos recueillis par Ania Nussbaum

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