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Résistant gaga et roi bègue
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Eau tiède

"Le Discours d'un roi" est l'un des grands vainqueurs de la cérémonie des Oscars de cette nuit de dimanche à lundi 28 février. Quatre statuettes, dont celui du meilleur film. Un succès populaire qui n'est pas sans en rappeler le triomphe de Stéphane Hessel en France avec son essai "Indignez-vous". La victoire du conformisme ?

Gaspard Koenig

Gaspard Koenig

Gaspard Koenig a fondé en 2013 le think-tank libéral GenerationLibre. Il enseigne la philosophie à Sciences Po Paris. Il a travaillé précédemment au cabinet de Christine Lagarde à Bercy, et à la BERD à Londres. Il est l’auteur de romans et d’essais, et apparaît régulièrement dans les médias, notamment à travers ses chroniques dans Les Echos et l’Opinion. 

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En ce début d’année 2011, la France et l’Angleterre se sont chacune offert leur succès populaire. Indignez-vous, de Stéphane Hessel, reste en tête des ventes et dépasse le million d’exemplaires vendus, tandis que, de l’autre côté de la Manche, le film The King’s Speech ("Le Discours d'un roi", en VF), retraçant le combat de George VI contre son bégaiement, bat les records du box office. Les lecteurs français se sentent héroïques à moindre coût (trois euros). Les spectateurs anglais, aux côtés desquels j’ai eu le privilège de regarder The King’s Speech, se mouchent à chaque fois qu’un acteur prononce les mots « Your Majesty ». Résultat, tout le monde est enthousiaste. La presse est unanime. Difficile en effet de critiquer ces deux chef-d’œuvres : en France, on ne touche pas à un héros de la Résistance, qui plus est ambassadeur. En Angleterre, on ne plaisante pas avec le père de l’actuelle souveraine, Elizabeth II.

Et pourtant, ces deux succès sont deux navets, qui en disent long sur la déroute morale des peuples européens, partagés entre mièvrerie sentimentale et nostalgie narcissique.

Stéphane Hessel et "Le Discours d’un roi" : quand le conformisme triomphe

Indignez-vous est écrit selon les codes les plus éculés de la rhétorique intellectuelle française : appel à la « résistance » ; invectives contre l’égoïsme des « possédants » ; leçons d’ « engagement » et de « responsabilité » ; références convenues à Merleau-Ponty, Apollinaire et Sartre, avec au passage une once de name-dropping sur « mon aîné condisciple de l’Ecole Normale Supérieure » (on se demande vraiment qui, parmi les auteurs de l’après-guerre, n’a pas eu Jean-Paul comme camarade de classe) ; revendication de l’universalisme cher aux penseurs français (versons une larme pour René Cassin). The King’s Speech, quant à lui, cède à tous les clichés de la britishness : une scène d’ouverture rappelant lourdement que l’Empire s’étendait jadis sur un quart des surfaces émergées du globe ; une amitié née par-delà les barrières de classe ; un vieux roi barbu qui divague sur son lit de mort ; un Churchill de pacotille bavant sur son cigare. Sartre et Merleau-Ponty sont remplacés par Shakespeare, dont l’orthophoniste récite avec componction les passages les plus scolaires (« to be or not to be » de Hamlet, « Now is the winter of our discontent » de Richard III). C’est le niveau zéro de l’imagination. La France se fantasme dans le Verbe et l’Angleterre dans la Couronne.

Des fantômes du passé

Ces platitudes stylistiques seraient sans conséquence si elles ne soutenaient pas une idéologie désuète. Stéphane Hessel propose sans rire de revenir au programme politique et social du Conseil National de la Résistance, avec son cortège de nationalisations et sa foi inébranlable dans le rôle de l’Etat (évidemment opposé à la « pensée productiviste »). Sa condamnation de la « dictature des marchés financiers qui menace la paix et la démocratie » balaie sans plus d’explication la fabuleuse croissance de la richesse mondiale au cours du dernier demi-siècle. Ses tergiversations conceptuelles sur le terrorisme, « regrettable conclusion de situations inacceptables », font frémir et rappellent les pires moments de son héros Sartre, lorsqu’il encourageait au meurtre dans sa préface de Frantz Fanon. Sous ses dehors de grand-papa national, Stéphane Hessel est un extrémiste, figé dans les cadres théoriques de l’après-guerre. Il devrait s’inscrire au NPA : le jeune facteur et le vieux résistant, voilà qui serait chic.

George VI n’est guère plus moderne, même s’il a, lui, l’excuse de vivre dans les années 30. Les principes qu’il promeut sont ceux de la société victorienne : hiérarchie (Roi – Eglise – Gouvernement) ; famille (on le voit faire le pingouin devant ses filles, qui ne manqueront pas ensuite de s’agenouiller devant leur Souverain) ; nation (George VI semble presque éclipser Churchill dans la résistance au nazisme). A l’inverse, avec un subtil sens de la dichotomie, le film présente sans complaisance les vices du frère aîné, le fameux Edouard VIII qui abdiqua par amour. Femmes, champagne, jazz, quelle décadence ! Restons sérieux. Seuls les étrangers s’autoriseront à rire, dans ce film pourtant dénué de toute ironie, de ce roi dont l’unique épreuve consiste à lire sans bégayer un discours qu’il n’a pas écrit, et dont il n’a pas le pouvoir de modifier une virgule.

On comprend que nos contemporains du Vieux Continent, à qui l’on annonce tous les jours la ruine prochaine de leurs nations, aient besoin de nouvelles valeurs. Où les trouver ? Vaste question. Mais sûrement pas chez les fantômes du passé.

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