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Cécile Guilbert ou l’encre subversive
©BORIS HORVAT / AFP

Atlantico Litterati

Cécile Guilbert publie « Roue Libre » (Flammarion). Un assemblage de chroniques publiées dans la Croix et de textes inédits. Une anthologie de l’esprit de résistance. Totems et tabous de la bien-pensance volent en éclat. Cécile Guilbert refuse d’être « auteure, » et a fortiori « autrice ». Ca va faire mal.

Annick Geille

Annick Geille

Annick GEILLE est journaliste-écrivain et critique littéraire. Elle a publié onze romans et obtenu entre autres le Prix du Premier Roman et le prix Alfred Née de l’académie française (voir Google). Elle fonda et dirigea vingt années durant divers hebdomadaires et mensuels pour le groupe « Hachette- Filipacchi- Media » - tels Playboy-France, Pariscope et « F Magazine, » - mensuel féministe (racheté au groupe Servan-Schreiber par Daniel Filipacchi) qu’Annick Geille baptisa « Femme » et reformula, aux côtés de Robert Doisneau, qui réalisait toutes les photos d'écrivains. Après avoir travaillé trois ans au Figaro- Littéraire aux côtés d’Angelo Rinaldi, de l’Académie Française, AG dirigea "La Sélection des meilleurs livres de la période" pour le « Magazine des Livres », tout en rédigeant chaque mois pendant dix ans une chronique litt. pour le mensuel "Service Littéraire". Annick Geille remet depuis sept ans à Atlantico une chronique vouée à la littérature et à ceux qui la font : « Atlantico-Litterati ».

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« Témoin de septembre 2017 à septembre 2019 d’une foultitude événements liés à des sujets hexagonaux plus ou moins frivoles, il m’aurait fallu être sourde, aveugle et de mauvaise foi pour ne pas comprendre que leur traitement médiatique et social (qui ne font qu’un) était lié à la mutation anthropologique en cours depuis plusieurs années, laquelle n’est jamais plus signifiante que dans le nouveau rapport que l’humanité entretient désormais avec le langage, l’histoire, la mémoire et l’art. C’est pourquoi ces chroniques n’en finissent pas de montrer comment et de prouver pourquoi les apories de l’individualisme de masse débouchent sur toujours plus de grégarisme et de conformisme », précise Cécile Guibert.  Je dégustais « Roue libre » hier, partagée entre la jubilation de lire une femme pensant son époque ( au lieu de l’absorber sur les réseaux et dans la presse) et la tristesse que j’éprouvais de constater à quel point les Françaises, hier les personnes les plus perspicaces de la terre, étaient devenues aveugles et sourdes à ce qui nous distinguait jadis et naguère. L’esprit des femmes de France (dans toutes les strates de la société) a toujours en effet enflammé les imaginaires dans les arts comme dans la vie. J’ai songé aux salons Littéraires que des Françaises avaient animés, et à cette tradition féministe avant l’heure qui caractérise notre civilisation. «  Qu’est ce qu’un Salon littéraire ? Un espace de culture et d’agrément où « le point de cristallisation » est une femme. « (…)Toutes ces variantes de sociétés culturelles trouvèrent leur point de convergence à Paris. C’est à Paris qu’en 1610 apparut le premier salon littéraire d’Europe », dit Verena von der Heyden-Rynsch ( essayiste allemande )dans « Salons européens »/Gallimard/1993 ).Mme de Rambouillet, Mme Récamier, Mme du Deffand ( « La marquise du Deffand (1697-1780) tenait un salon que fréquentaient des savants, des écrivains, de beaux esprits ;Voltaire fut l'un de ses habitués  »). D’autres salonnières invitaient artistes et intellectuels à cultiver cet art si français de la conversation. Et diffusèrent à travers toute l’ Europe « la curiosité intellectuelle, la tolérance et l’ouverture d’esprit ».C’est pour cette raison que le principe féminin gouverne ( plus ou moins, en fonction des spasmes de l’Histoire) l’inconscient collectif national ( cf. « La » République » Française, Jeanne d’Arc, Mme de La Fayette, etc..). Cette tradition a marqué notre histoire, au point que les premiers combats féministes furent moins âpres en France qu’aux Etats-Unis - et dans les pays anglo-saxons- où sévissait- par opposition à la culture des salons Littéraires et de la « galanterie » ( cf. lire à ce sujet « La Galanterie/une mythologie française »/Alain Viala/Point Seuil /2019) » -un puritanisme reléguant le « deuxième sexe »dans le tiroir du bas. « Je trouve piquant que des féministes américaines et autres théoriciennes du genre viennent nous faire la leçon sur la séduction à la française qui en tant qu’élément de l’identité nationale serait un mythe. Outre qu’elles se trompent d’objet, rien de moins conservateur, patriarcal et antidémocrate que le libertinage connivent et égalitaire », note à ce sujet Cécile Guilbert. Aujourd’hui, et par contraste, les militantes de « Nous toutes » veulent en finir « avec les violences sexistes et sexuelles que subissent l’immense majorité des femmes”. La France des Lumières devient la patrie de la domination masculine et du harceleur-violeur, qui parvient à ses fins en « sidérant » sa victime, qui ne sera pas violée stricto-sensu, mais abusée tout de même par son prédateur- car « fascinée » par lui, donc « sous emprise» (sic). Cet obscurantisme délirant sévit sur les réseaux et ailleurs, si bien que «  le porteur de phallus » est coupable quoiqu’il fasse ou dise, et coupable encore s’il ne fait rien car il n’en pense pas moins. « Autant dire que le langage dans sa puissance assertorique, ses nuances et son obscénité, est au cœur de cette affaire dont mon petit doigt me dit (une intuition, en passant) que tous les pataquès actuels au sujet du « consentement » et les débats confus autour de la fameuse «zone grise» pourraient bien provenir d’un affaissement sans précédent des capacités de verbalisation de l’être humain », dit Cécile Guilbert. Du coup, le premier séparatisme dans la France d’aujourd’hui, c’est la théorie du genre et ses dérivés à la tête du client. Après les années soixante-dix- Beauvoir, Gisèle Halimi et Antoinette Fouque, figures historiques du Mouvement de Libération des Femmes- règne dans cette France handicapée faute de langage, le discours victimaire d’un néo -féminisme haineux ( qui a beaucoup à voir avec « l’intersectionnalité » (de l'anglais intersectionality )désignant la situation de personnes subissant simultanément plusieurs formes d’oppressions ; le néo-féminisme assimile souvent la domination masculine à celle du blanc sur toutes sortes de minorités d’une diversité opprimée dans un passé colonialiste plus ou moins récent, si bien que la situation des femmes non blanches s’affirme comme doublement tragique,CQFQ). Ce féminisme radical et sa « sororité » imposée de gré ou de force imposent leurs sentences par la « cancel culture ». (Voir la censure subie en 2019 par Sylviane Agacinski ( cf.sa critique de l'adoption plénière pour les couples homosexuels et son opposition à la  gestation pour autrui ainsi qu'à l'extension de l'assistance médicale à la procréation aux couples de femmes et aux femmes seules). Elisabeth Badinter - femme de lettres et philosophe :(« Le Pouvoir au féminin, Marie-Thérèse d'Autriche (1717-1780), l'impératrice reine », Flammarion) vient d’ailleurs de dénoncer dans le Journal du Dimanche ce « néo-féminisme » à « la pensée binaire ». C’est en tant que féministes universalistes que s’expriment Sylviane Agacinski et Elisabeth Badinter. Quant à Cécile Guilbert, tête de file des intellectuelles résistant aux oukases des modes d’agir et/ou de penser, elle est libre, tendance libre de chez libre : l’ex étudiante de Sciences-Po était libre dans son berceau. Brillante théoricienne de la littérature, l’auteur ( sans le e d’une « novlangue » à la Orwell, donc) définit son travail : « mes textes et articles forment un ensemble en « roue libre ».Rédigés durant quinze ans dans la presse, ils sont réunis en deux volumes sous le titre « Sans entraves et sans temps morts » volume 1(Gallimard/ 2009) ; volume 2(Grasset/ 2015). (…) Il n’y est question que de jouir de la littérature et de ses incarnations, d’exalter la liberté et la singularité, (…)détachées des passions tristes et moutonnières de la société ».

Penser par soi-même et non faire sienne la doxa parce que c’est l’impératif catégorique du moment, tel est l’objectif de Cécile Guilbert, qui combat entre autres poncifs « l’avancée liberticide du« nouveau monde »sur l’ancien, avec son mépris du droit à la libre expression » . Guilbert s’insurge en particulier contre ce qu’elle appelle« une réduction massive de l’esprit critique au profit d’incessants jugements de moralité sur fond de transparence revendiquée « . L’essayiste et romancière ( « Le Musée National »/Gallimard ; « Les Républicains »/Grasset), entre autres, attaque bille en tête les clichés basés sur une inculture crasse et une sottise facilement démontable. Dans « Roue libre », nous dit-elle, « il est question de viralité, de virtualité, de littérature au temps du Covid aussi bien que de la restriction des libertés publiques et de la pulsion de mort qui hantent le « catastrophisme » ambiant ». Le tatouage a le don de l’agacer (sous prétexte de se distinguer des autres, cette mode ne fait qu’afficher un nouveau conformisme). Cécile Guilbert s’en prend aussi et surtout à tout ce qui dans « l’événementiel - culturel «  ( sic) attaque l’art, au prétexte de le servir.«  Seule l’approbation a droit de cité dans cette inlassable zone d’activité frénétique qu’est aujourd’hui «la culture», cette industrie appliquée aux beaux-arts. Or regarder, c’est toujours penser, ce qui est très différent du simple fait de voir. D’où mon interrogation sur la prolifération contemporaine croissante d’« installations », de « dis- positifs », d’« événements » culturels « . Rien de plus beau que le silence des tableaux », confirme Pascal Quignard dans « L’homme aux 3 lettres ( Grasset) 

« Roue Libre » ? La preuve qu’une intellectuelle française peut détruire la bien –pensance actuelle en montrant le chemin d’une autre voie sans se laisser intimider par la censure.« Le hic, c’est qu’à travers la tabula rasa et la bêtise à front de bœuf s’exprime une nouvelle société universelle qui se croit libre ». Cette « bêtise » sévit partout et tout le temps. Guilbert lui répond. «  Non à l’épuration de Picasso (sadique conjugal), Faulkner (négrier larvé), Nabokov (pédophile obsédé), Hemingway (gros macho sexiste), Joyce (misogyne obscène), etc. Et non au nouvel Infâme qu’il convient d’écraser comme Voltaire jadis ».Quant à la moralisation de la société française, elle évolue chaque jour davantage vers un totalitarisme qui menace l’idée même de la République. «  La discorde est le plus grand mal du genre humain et la tolérance son seul remède », conclut d’ailleurs Voltaire.

Roue Libre par Cécile Guilbert/Flammarion/ 264 pages/19 euros

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