"Je me retournerai souvent" de Michel Lambert : le peintre des replis de l’âme à l'écriture cristalline<!-- --> | Atlantico.fr
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Michel Lambert je me retournerai souvent
Michel Lambert je me retournerai souvent
©DR

Culture

Alice Ruffi revient sur le recueil de nouvelles de Michel Lambert, "Je me retournerai souvent", publié aux éditions Pierre-Guillaume de Roux. Cet ouvrage fait partie de la sélection du prix Renaudot 2020.

Alice Ruffi

Alice Ruffi

Alice Ruffi, issue d’une famille d’amateurs d’art, est une lectrice passionnée de tous ces auteurs « irréguliers » d’hier et d’aujourd’hui, dont l’écriture nous éclaire et nous transforme.

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Passons passons puisque tout passe / Je me retournerai souvent / Les souvenirs sont cors de chasse / Dont meurt le bruit parmi le vent. Ces vers d’Apollinaire issus d’Alcools forment l’épigraphe choisie par Michel Lambert en ouverture de son nouveau recueil de nouvelles. Huit histoires réunies sous le signe de la mélancolie où l’éternel et douloureux « trop tard ! », se fait écho de l’une à l’autre.

Auteur d’une dizaine de recueils de nouvelles mais également de cinq romans, Michel Lambert privilégie le texte court où il excelle dans l’art de l’ellipse, et où les silences s’immisçant dans des dialogues volontairement ramassés, en disent aussi long. Avec maestria, il transporte le lecteur au coeur de l’action. Car ce n’est pas tant l’intrigue qui l’intéresse mais le mal de vivre incurable dont sont atteints ses personnages et qu’un évènement isolé de leur vie permet de révéler. Des êtres qui se retrouvent soudainement dépossédés d’eux-mêmes, accablés de regrets, de culpabilité lorsque le passé qui leur « collait à la cervelle comme un vieux sparadrap », refait surface leur faisant prendre conscience de leurs désillusions et de leur solitude abyssale : « Mais ce chemin-là, comme tous les autres, était un leurre. Un cul-de-sac » ; « Il allait mourir tous les jours, tout le temps, n’avait plus aucun répit » ; « Transformiste de l’âme capable de changer de sentiment comme on change de chemise »;  « Devant chaque jour dégradé, j’ai l’impression de saluer une défaite personnelle ». Dans son Etude sur le temps humain, Georges Poulet explique qu’un passé révolu réapparaissant, peut procurer une sensation de perte renouvelée car « se souvenir, alors, ce n’est plus abolir l’intervalle, unir le présent à l’existence retrouvée ; c’est, au contraire, prendre la conscience la plus aiguë de cet intervalle. » Le souvenir marque la distance irrémédiable avec ce qui ne peut plus être.

Or ces portraits sans fard, d’une lucidité parfois insoutenable, n’ont pas les traits du désespoir, ni de la tristesse, mais ceux protéiformes de la mélancolie. Cet état instable de l’âme qui a tant fait couler d’encre depuis l’Antiquité et qui, nous le rappelle Yves Hersant dans son anthologie consacrée à l’histoire de la mélancolie, « nomme tour à tour un sentiment vague et rêveur, un malaise existentiel, ou une folie des plus redoutables ». Idées fixes, désirs irrépressibles, dérision, agressivité ou repli sur soi, enthousiasme ou accablement, s’emparent à la fois de ces personnages dont les errances de l’âmes sont exacerbées par les souffrances d’un corps fléchissant sous le lourd poids de l’angoisse et de la peur.

Mais tout n’est peut-être pas perdu. D’une nouvelle à une autre, le ciel est omniprésent. Cette voûte céleste réunissant tous les hommes qui, le temps d’un regard, semblent l’implorer pour se rassurer. Pourtant aucun ciel n’est pareil à un autre : « d’un bleu délavé, légèrement ombré »; « noir, encombré de nuages qui roulaient à toute allure »; « bleu, et jaune là-bas, presque orange et blanc aux confins, strié de filaments roses »; autant de nuances de la mélancolie que la présence du ciel incarne dans son éternelle tension entre lumière et obscurité.

Avec un mélange subtil de gravité et de légèreté, Michel Lambert se fait ainsi le peintre des replis inquiétants de l’âme qu’il met en scène dans une oeuvre atemporelle, portée par une écriture cristalline à la musique feutrée. S’il rehausse à l’aide d’une « touche de désastre » fitzgeraldienne les fêlures de ses personnages, c’est pour mieux éclairer leur souffrance, et lui trouver un sens. Bien que les récits restent en suspens ne nous livrant ni leur vérité, ni leur avenir, une rédemption demeure possible.

Et dans ce corps unique que composent l’ensemble des écrits de Michel Lambert, parsemé de noms d’écrivains ou de peintres, s’esquisse en filigrane le portrait même de l’auteur. Ce tempérament mélancolique de l’enfant de Saturne si bien décrit par les Wittkower, où résident les sources mystérieuses de la force créatrice.

Michel Lambert, Je me retournerai souvent, éditions Pierre-Guillaume de Roux, 208 p., 18€

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