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"Le tiers temps" de Maylis Besserie : les derniers mois de Samuel Beckett (Prix Goncourt du Premier roman 2020)
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Atlanti Culture

Maylis Besserie a publié "Le tiers temps". "Ce premier roman dévoile un Beckett surprenant, attendant la fin (un comble), devenu pour ainsi dire l’un de ses propres personnages".

Véronique Roland pour Culture-Tops

Véronique Roland pour Culture-Tops

Véronique Roland est chroniqueuse pour Culture-Tops.

Culture-Tops est un site de chroniques couvrant l'ensemble de l'activité culturelle (théâtre, One Man Shows, opéras, ballets, spectacles divers, cinéma, expos, livres, etc.).

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"Le tiers temps" de Maylis Besserie

Gallimard, 192 p, 18 €

RECOMMANDATION
Bon


THEME
Samuel Beckett, génie de la littérature, travailleur inlassable et épuisé, attend avec dérision, lucidité et mélancolie sa propre « fin de partie » dans une maison de retraite du XIVe arrondissement parisien, Le tiers temps…

Maylis Besserie prend le pari d’entrer dans la tête de Samuel Beckett et de lui faire tenir le journal intime (fictif) de ses derniers mois. Une entreprise hautement ambitieuse compte tenu de la notoriété et de la complexité de cet Irlandais, francophile, érudit, à l’itinéraire personnel et littéraire singulier. 

Construit en trois parties, l’ouvrage alterne le journal de l’écrivain et les compte-rendus du personnel soignant employé au Tiers temps puis à l’hôpital Sainte-Anne où il mourra en décembre 1989. Entrent ainsi en collision d’un côté la riche perception de l’homme par lui-même, nourrie de l’observation de son environnement immédiat, de toutes ses sensations, de ses souvenirs, de son ironie et de son travail ; de l’autre, l’évaluation médicale, factuelle, qui frappe par sa capacité à ramener un génie au niveau de ses constantes physiques et d’une vie matérielle où les choix se réduisent à « compote ou yaourt, aujourd’hui, monsieur Beckett ? »… 

POINTS FORTS
● Dans ce journal fictif, l’auteure ne s’essaie pas à un « à la manière de », objectif impossible qu’elle aurait forcément manqué. Elle choisit de brosser l’auto-portrait du grand Sam qui regarde avec causticité et désolation son corps le lâcher progressivement, et attend la fin en se rappelant les moments, les lieux et les êtres qui ont aiguillé sa vie : on voit ainsi apparaître l’enfant qu’il fut, ses parents – sa mère, surtout --, l’Irlande, la France, sa rencontre déterminante avec James Joyce, qu’il admirera pour toujours, son idylle avec la fille de ce dernier. Et puis, Suzanne, amie de Normale sup qui deviendra sa femme et son soutien, et lui trouvera un éditeur qu’on ne présente plus, Jérôme Lindon. La maison d’Ussy-sur-Marne, son refuge...

● Quelques personnages et des œuvres de Beckett reviennent frapper à la porte. Godot passe la tête, l’évocation confuse de photos (quand la mort est proche) rappelle les photos de famille de  Solo, et la longue réminiscence de Film – court métrage en noir et blanc où Buster Keaton tient le rôle clé-- accompagne les dernières heures d’un Beckett plongé dans le coma profond de la sédation. Ces dernières pages sont, selon moi, les plus réussies. Comme une ultime mise en scène, sans le son, du texte théâtral  La dernière bande. 

Le livre de Maylis Besserie se termine sur un cri que Beckett, au seuil du néant sur son lit d’hôpital, tente en vain de pousser pour avertir les vivants « des dangers de l’obscurité », pour « sonner l’alarme » de la mort prochaine. Superbe.

POINTS FAIBLES
● C’est un peu long et la démarche de faire parler une célébrité n’est pas vraiment originale. 

● Les intimes de Beckett trouveront qu’il y a un certain contre-sens à prêter l’écriture d’un journal à un homme qui pensait que le langage est, au contraire, impuissant à rendre compte de soi.

● Enfin, sans faire de Beckett une figure intouchable et sacrée, on est tout de même un peu gêné de ne jamais savoir quels sont les éléments fictifs et quels sont ceux qui ne le sont pas. Comme si une espèce d’imposteur, très renseigné mais imposteur tout de même, parlait à la place de Beckett.

EN DEUX MOTS
Un livre un peu long mais bien écrit, qui mêle des éléments biographiques à des faits imaginaires pour raconter les derniers mois de Samuel Beckett à la résidence où il a réellement fini sa vie, avant de mourir à Sainte-Anne. Si on connaît Beckett, on n’apprendra rien mais on le retrouvera sous un autre jour, peut-être avec plaisir, et on appréciera l’écriture de Maylis Besserie. Si on ne le connaît pas, on se laissera émouvoir par la figure tragique, souvent drôle mais jamais ridicule ni pitoyable, d’un vieux monsieur pas comme les autres, désormais seul, face à lui-même, miné par la maladie et confronté à la générosité infantilisante – et même humiliante bien que nécessaire-- de l’accompagnement médical. 

UN EXTRAIT
L’infirmière Nadja se promène sur la bande de gazon avec moi (…). Je la sens, quand elle prend mon bras, comme à un vieux mari. Je la sens, lorsqu’elle effleure ma vieille charpente pour l’aider à se mouvoir (…). Que se dit-elle, quand elle prend mon bras inerte et que je la regarde derrière mes grosses lunettes de hibou ? Je ne sais pas. Elle fait son travail. Elle est gentille. Si je l’ennuie, elle ne me le fait pas sentir. Moi, je sens de loin ses cheveux. Je ne m’approche pas – honte de ce qu’elle pourrait sentir. Je laisse pendre mon bras en espérant qu’elle le prenne. Ca n’arrive pas tous les jours.

L'AUTEUR
Maylis Besserie est née à Bordeaux et a trente-huit ans. Diplômée de Sciences Po, elle a enseigné le documentaire audio avant de rejoindre France Culture comme productrice. L’Académie Goncourt lui a décerné le prix du Premier roman 2020 en mai.

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