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Pire que l’absence de souveraineté numérique, les fragilités digitales françaises révélées par le coronavirus
©LOIC VENANCE / AFP

Nouvelle organisation du travail

Le télétravail imposé par le confinement a mis en évidence les mille et une défaites de compétences chez les salariés, au niveau des structures publiques comme privées.

Frédéric Lefret

Frédéric Lefret

Frédéric Lefret est enseignant de marketing digital politique à l'Efap (L'école des nouveaux métiers de la communication)  et consultant en communication politique.

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Bruno Walther

Bruno Walther

Bruno Walther est un entrepreneur et un spécialiste de l'Internet français. Il est co-fondateur et CEO de Captain Dash. En janvier 2010 il abandonne la présidence d'OgilvyOne pour créer avec Gilles Babinet une start-up, CaptainDash focalisée sur la Big Data et la génération de cockpit marketing à destination des directions marketing. En 2012, il obtient, à New York, avec Gilles Babinet le prix "Global Entrepreneur Public Award" pour le travail qu'ils réalisent avec Captain Dash pour rendre la planête plus intelligente.

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Atlantico.fr : Avec le coronavirus, des milliers de travailleurs français ont dû s'adapter au télétravail. Près de vingt ans après l'avènement du numérique, quelles failles du système français cette nouvelle organisation du travail a-t-elle révélé ? 

Frédéric Lefret : C’est une faille d’abord idéologique avant une faille technique.

On peut catégoriser les salariés en 3 groupes. 

Ceux travaillant dans des entreprises où la nomadité numérique est la règle, chez qui le confinement n’a eu que peu d’impact.

Ceux éloignés des accès numériques de part leur localisation ou le type de travail.

Ceux que je nomme les paradoxes, qui bien qu’ils soient suréquipés au niveau digital dans leur bureaux n’ont pas pu devenir nomade numérique.

En effet, depuis de nombreuses années l’idéologie dominante pour ce dernier groupe repose sur le fait qu’un salarié travaillant à distance, travaille moins, mal et surtout qu’il n’est pas possible de « contrôler » ce qu’il fait.

Concernant la faille technologique, c‘est à dire la non préparation dans l’entreprise au nomadisme avec une absence d’ordinateur portable, des serveurs pas assez puissant pour une connexion externe et une sécurisation des entrées externes pour éviter le piratage.

Enfin, des connexions à domicile ne supportent pas un télétravail important.

Bruno Walther : C’est incroyable que la France ait attendue une crise sanitaire et 2020 pour comprendre que nous pouvions travailler sérieusement et efficacement à distance. Les Français plébiscitent le digital. Ils l’utilisent en permanence. Les succès d’audience des sites comme le bon coin, marmiton le démontre tout les jours. Même dans le domaine de l’intime les Français ont compris que pour trouver un compagnon une App pouvait être plus efficace qu’un bal de village. 

Mais les entreprises françaises, elles, sont très en retard. Elles restent dans le dogme du travail au bureau. C’est comme si elles avaient besoin de contrôler par une forme de présencialisme que les salariés sont bien derrière leur poste de travail. Nous payons là une société de la défiance, du contrôle. Les enterprises investissent dans des locaux, dans des salles réunion mais très peu investissent dans des outils technologiques pour augmenter la productivité numérique de leurs collaborateurs. 

Résultat : les Français ont deux cerveaux digitaux. Le premier, qu’ils utilisent dans leur vie personnelle, est hyper digital, le deuxième, qu’ils utilisent pour bosser est archaïque et peu productif. 

C’est un probable de schéma mental qu’il faut totalement réinventer. Les entreprises doivent comprendre qu’un salarié est payé pour faire un travail et pas pour faire de la présence. 

Comment expliquer un tel un retard ? Est-il spécifique à la France ?

Frédéric Lefret : Ce retard est lié pour beaucoup à une rigidité du travail en France que ce soit juridique ou culturel concernant le télétravail.

Ce n’est pas culturellement accepté par la société et rien n’est organisé comme des centres de télétravail au départ de lignes de transport en commun en grande banlieue ou en milieu rural notamment.

Les pays où les conditions climatiques sont parfois extrêmes on contraint les entreprises à s’adapter.

Même avec de grandes grèves de transports ou d’épisodes de canicule, l’adaptation a été plutôt de suspendre le travail et de reprendre comme avant dès la fin des grèves ou des conditions climatiques.

Bruno Walther : Ce retard s’explique par des freins culturels. C’est le cas des vieux pays latins qui font peu confiances aux individus. Les Espagnols, les Italiens sont encore plus en retard que nous. 

En France nous payons une forme d’analphabétisme numérique qui a plusieurs facteurs.

Premièrement la haute administration et une partie des cadres dirigeants des grandes entreprises françaises n’ont pas compris que nous étions au vingt-et-unième siècle. Ils n’ont pas réellement changé leurs modes de travail. Ils font traverser les océans à des collaborateurs pour pouvoir discuter avec eux en face à face ou passe leurs temps dans des avions, ce qui est non seulement insensé en terme écologique mais absurde en terme d’organisation du travail. Ils imposent aux administrations ou aux entreprises qu’ils dirigent leurs modes d’organisation archaïques. 

Deuxièmement en France nous pensons le travail en terme de présencialisme. C’est un peu comme si je vendais mon temps de cerveau disponible de 9H00 à 18h00 à mon entreprise. On laisse très peu d’autonomie et de capacité d’auto-organisations aux équipes. Il est temps d’en finir avec cette vision archaïque et enfermante du travail. Les entreprises devraient laisser une capacité d’auto organisation à leurs collaborateurs. Ce qui compte à la fin de la journée c’est la qualité du travail pas la quantité d’heures passées derrière un bureau ou en réunion .

Troisièmement nous n’accompagnons pas assez les plus fragiles à apprendre à s’organiser et à utiliser les technologies pour être plus efficace. 

Quel est l'impact économique du manque d'adaptabilité des Français face au télétravail ?

Frédéric Lefret : La perte peut-être facilement évalué. 

Pour toutes les personnes qui pourraient travailler en partie à distance et qui se déplacent longuement pour travailler c’est un nombre d’heures perdues considérable, une empreinte écologique qui pourraient être meilleure, une fatigue moindre des salariés…Bref, tout cela pourrait concourir à une productivité plus forte et une meilleure qualité de vie au travail.

Pour se faire, il faudrait une volonté de rendre le télétravail attractif avec des formations aux outils due télétravail, un aménagement technologique des postes de travail mais aussi une confiance réciproque entre salariés et employeurs sur le travail en distanciation.

Bruno Walther : Il est colossal. Pour la collectivité d’abord avec ces transhumances folles où des dizaines de millions passent des heures dans les transports alors qu’ils pourraient probablement rester chez eux plus souvent. C’est des milliards d’euro d’infrastructures que nous pourrions économiser. Pour les familles où le temps passé dans les transports se fait au détriment du temps passée à l’éducation de ses enfants. Pour les entreprises enfin où il y a là une opportunité massive de compétitivité qui est abandonnée parce qu’on refuse de faire confiance aux salariés. Harvard évalue le potentiel de productivité salariale perdue par les entreprises américaine entre 15 et 20 %. C’est massif. 

Le télé travail est probablement la plus grosse réserve de compétitivité en France. Laissez aux salariés et aux fonctionnaires la liberté de s’organiser en leur fournissant un peu de moyen pour s’équiper d’un espace de travail à domicile efficient et vous boosterez la productivité française.

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