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Auteur d’une cinquantaine d’ouvrages( romans, récits, nouvelles) et prix Nobel de littérature 2008, Jean-Marie Gustave Le Clézio publie en ce mois de mars 2020 deux « contes » typiquement « Lecléziens » : « Chanson bretonne », suivi de « l’enfant de la guerre » (Gallimard). LE livre du confinement.

Annick Geille

Annick Geille

Annick GEILLE est écrivain, critique littéraire et journaliste. Auteure de onze romans, dont "Un amour de Sagan" -publié jusqu’en Chine- autofiction qui relate  sa vie entre Françoise Sagan et  Bernard Frank, elle publia un essai sur  les métamorphoses des hommes après  le féminisme : « Le Nouvel Homme » (Lattès). Sélectionnée Goncourt et distinguée par le prix du Premier Roman pour « Portrait d’un amour coupable » (Grasset), elle obtint ensuite le "Prix Alfred Née" de l'Académie française pour « Une femme amoureuse » (Grasset/Le Livre de Poche).

Elle fonda et dirigea  vingt années durant divers hebdomadaires et mensuels pour le groupe « Hachette- Filipacchi- Media » - tels le mensuel Playboy-France, l’hebdomadaire Pariscope  et «  F Magazine, »- mensuel féministe racheté au groupe Servan-Schreiber, qu’Annick Geille reformula et dirigea cinq ans, aux côtés  de Robert Doisneau, qui réalisait toutes les photos. Après avoir travaillé trois ans au Figaro- Littéraire aux côtés d’Angelo Rinaldi, de l’Académie Française, elle dirigea "La Sélection des meilleurs livres de la période" pour le « Magazine des Livres », qui devint  Le Salon Littéraire en ligne-, tout en rédigeant chaque mois une critique littéraire pour le mensuel -papier "Service Littéraire".

Annick Geille  remet  depuis quelques années à Atlantico -premier quotidien en ligne de France-une chronique vouée à  la littérature et à ceux qui la font : «  Litterati ».

Voir la bio »

« Je pense qu’ont est très largement conditionné par ce que l’on a vécu dans les premières années de sa vie », dit J.M.G. Le Clézio,  éduqué par sa mère et sa grand-mère lors des années 39-45, dans le Midi de la France. Il « rencontrera » son père- médecin de brousse- en Afrique-,  à huit ans. Les deux récits publiés aujourd’hui sont importants. Outre cette formidable liberté que donne toujours le temps qui passe aux artistes, affirmant chez Le Clézio la splendeur d’une écriture très au- dessus du niveau de la mer, cette liberté contamine la psyché du lecteur. Cette fois,  l’auteur questionne le métissage littéraire qu’il doit à deux régions et/ou cultures qui l’ont fait ce qu’il est. La Bretagne- telle une matrice par temps de paix-,  et le Nice de sa naissance, un Midi sans père . Deux moments littéraires et vitaux essentiels, deux secrets de fabrication de son imaginaire, deux fragments du puzzle LeClézien. L’auteur de « L’Africain »  et du « Chercheur d’Or », établit dans « Chanson bretonne » l’endroit de cet envers qu’est « L’enfant et la guerre » ( trop de mère et de grand- mère, pas assez de père pour effacer  chez l’enfant ultra sensible qu’est tout futur écrivain la terreur  d’une barbarie impensable). D’où ce refuge qu’est l’imagination, et la construction d’un « fort » intérieur, protecteur et porteur de joies par le langage, -les mots -dirait Sartre.  Une « fête du rêve », en quelque sorte. Cette autofiction  qu’est « L’enfant et la guerre » met en scène la violence de l’Histoire face à la fragilité minuscule de l’enfance. J.M.G Le Clézio établit ce que l’expérience du mal provoque dans la psyché de l’artiste futur. «  Si l'enfance ne cesse de revenir dans les récits de l’auteur franco-mauricien, c'est qu’il s’agit toujours de dépossession », note l’exégète.«Etre né dans une guerre, c’est être témoin malgré soi, un témoin inconscient, à la fois proche et lointain, non pas indifférent, mais différent, comme pourrait l’être un oiseau, ou un arbre, précise le narrateur de Le Clézio. «  On était là, on a vécu cela, mais ça n’a pris de sens que par ce qu’on a appris par les autres, plus tard (Trop tard ?) ». Le lecteur note au passage cette expression révélatrice de « témoin malgré soi ». Ce « témoin malgré soi » définit le sentiment  ( camusien) d’étrangeté  qui, né dans l’enfance, animera J.M.G Le Clézio dans toute son œuvre. Une vie derrière la vitre qui advint  dans le fracas des bombes, et la pénombre des caves de Nice - confinement incompréhensible pour un enfant de cinq ans. Les grandes personnes dirigent  en ce Midi que chérissait Matisse, un Sud soi -disant « rieur »devenu l’enfer sans père.  Advient alors, dans la région de Nice, ville natale de l’auteur, les crimes de guerre et autres tueries de masse. La barbarie, ce mystère. « Il  s’agit de reconstituer le puzzle d’une identité multiple et dispersée, afin de trouver la réponse à cette question à l’origine de toutes les aventures, de tous les voyages : qui suis-je ? Ou plutôt : que suis-je ? » (JMG Le Clézio/ entretiens avec Gérard de Cortanze/Le magazine Littéraire/2009). « L’enfant et la guerre » est une  autofiction dont la force et la pudeur nous bouleversent. «  La guerre, c’est gris (…) Nice, la Côte d’Azur, cela enchante les voyageurs,  les artistes, les peintres. Matisse a joué avec toutes les couleurs de la palette de la joie, la mer bleue, les palmiers, les fleurs, les feuilles,  (…) Moi, je ne m’en souviens pas. Nous passions de longs moments à la cave, écoutant la sirène d’alarme,  guettant le grondement des bombes. »

Par contraste,  le récit (autobiographique,lui aussi) intitulé« Chanson bretonne », révèle la tendresse de Le Clézio pour la région de Bénodet, où il passa ses été d’écolier des années 1948 à 1954. « La Bretagne c’était familier. J’ai grandi avec l’idée  que nous  (…)étions des Bretons et qu’aussi loin que nous puissions  remonter, nous étions reliés par ce fil invisible et solide à ce pays ». L’écriture, somptueuse, nous transporte au cœur de l’Armorique, et nous méditons les changements intervenus dans la région : « Si je reviens au village de mon enfance, ce village d’été où je suis allé chaque année, sitôt l’école finie, Sainte- Marine, je ne reconnais aujourd’hui à peu près rien ». «  Dans Chanson Bretonne », la Bretagne  maternelle, aimable donc, revit, trésor volé au temps. Cette « fête du rêve »se perpétue  à l’embouchure de L’Odet, quand  passent les goélands de nos imaginaires.  J. M.G. Le Clézio a l’art, en une ou deux phrases, d’offrir à son lecteur ces tableaux qu’aurait peint Gauguin, sous le charme d’une lumière unique au monde, lorsqu’il délaissa sa banque parisienne, pour créer,  avec d’autres peintres -dont Emile Bernard- « L’école de Pont- Aven «  . «  La modernité a détruit le mode de vie, le décor et la culture ancestraux, et la Bretagne s’est modelée irrémédiablement sur le schéma mondial : routes à grandes circulation, zones industrielles, tourisme de masse, urbanisation incontrôlée ».J.M.G Le Clézio ajoute aussitôt, comme s’il se sentait coupable : «  La nostalgie n’est pas un sentiment  honorable.(..) Elle renvoie au passé, alors que le présent est la seule vérité ». Pas au point de nous faire aimer ces ronds-points qui ont essaimé sur tout le territoire. Ont disparu dans la foulée les maisons basses aux toits d’ardoise, la confiture gélifiée vendue à la louche(pomme, raisins, coing), que l’auteur aimait tant, et tous les Yanick, Soizic, Pierrick et  autres fils et filles de pêcheurs « nés dans la langue bretonne », auxquels l’on interdisait de continuer à « parler ce  patois ». « Les villages, les maisons, les chapelles étaient restés, mais quelque chose semblait avoir disparu à jamais ». Breton ou pas, en tous cas sensible à la beauté, sinon il ne serait pas cet amateur de littérature lecteur d’Atlantico,  le promeneur ne supporte pas plus que le narrateur de Le Clézio la destruction des paysages bretons. Ni ces  kilomètres de champs de maïs, surmontés de lignes haute- tension, ces enseignes, ces quatre voies,  sans oublier les éoliennes à perte de vue, tuant ce qui restait du paysage, et la faune et la flore d’Armorique par la même occasion(//www.atlantico.fr/decryptage/3583142/-les-eoliennes-produisent-elles-une-energie-ecologique--loik-le-floch-prigent).  

Confinés jusqu’au 15 avril  -au moins-,  nous pouvons relire « Le Procès- Verbal »- Renaudot 1963-, «Le Chercheur d’or » (1985) « L’Africain » (2004),ou « Ritournelle de la faim »  (2008), entre autres romans de  J.M.G. Le Clézio ( Folio/Gallimard). Et grâce à   ces deux nouveautés importantes que sont « Chanson bretonne » et « L’enfant et la guerre »,nous  avons  la chance de  découvrir  de nouveaux fragments de l’imaginaire Leclézien. Un itinéraire initiatique. 

Evoquant ses vacances en Bretagne,  puis son expérience  tragique d’enfant privé de figure paternelle et propulsé dans la guerre, Le Clézio mêle une fois de plus l’autobiographie et la fiction, mariant pour les besoins de la narration, le récit  au roman. Révélant des pans de  son enfance peu exprimés jusqu’ici, Le Clézio nous  permet de  découvrir de nouvelles relations entre le vécu de jadis et le devenir artistique du narrateur-conteur. Entre l’empreinte d’hier et sa traduction dans l’écriture d’aujourd’hui. Publié juste avant que les éditeurs ne soient  obligés de modifier leurs programmes, et les libraires, de tirer –hélas- le rideau, ce nouveau livre de Le Clézio enchantera aussi bien les connaisseurs de l’œuvre du Nobel de littérature que les néophytes. Tous  apprécieront ce plaisir de lecture à la hauteur de leurs attentes. « Les vraies îles sous le vent de le Clézio, c'est son enfance », note une lectrice sous le charme. Les lecteurs dotés d’une enfance heureuse auront un faible pour « Chanson bretonne », les autres seront bouleversés par « L’enfant et la guerre ».De toutes façons, «  La vie est un processus de démolition », affirme Francis Scott Fitzgerald. 

« Chanson bretonne » suivi de « L’enfant et la guerre » /J.M.G. Le CLEZIO/ 162 P/16 euros et 50 cents/ Gallimard

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