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Pourquoi ne dit-on pas tout aux enfants ? Le premier long-métrage de Jézabel Marquès, Sol, avec Chantal Lauby
©DR / Studiocanal / Iliade Films

L'histoire d'une mère

On avait prévenu la réalisatrice qu'un premier film était comme se promener nue dans tout Paris. Même pas peur ! L'histoire d'une mère « chiante » dont le quotidien est bouleversé par une pétillante grand-mère.

Marie Martin

Marie Martin

Marie Martin n'est pas un pseudonyme. Passée par des études de lettres puis de droit, elle travaille aujourd'hui dans le milieu de l'informatique et du droit fiscal. 

En parallèle, elle devient auteur, la passion des mots et de leurs images ayant toujours fait partie de sa vie.

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Les lumières se rallument et la salle retentit d'applaudissements. Une partie de l'équipe du film vient sur scène: la réalisatrice, Jézabel Marques, pour qui c'est le premier long-métrage, Camille Chamoux, qui joue Éva, la mère, Chantal Lauby, qui joue Sol (diminutif de Solange) la grand-mère et Giovanni Pucci, le petit garçon, véritable lumière de ce film.

Les applaudissements durent si longtemps que certains se lèvent. Giovanni Pucci, du haut de ses 8 ans, ne semble pas impressionné de monter sur scène. C'est d'ailleurs lui qui posera la seule question lors de cette avant-première. « Moi, j'ai une question. Pourquoi est-ce qu’Éva est aussi chiante (sic !) ? ». Vu la gêne sur scène, cette question ne semblait pas préparée et venait du cœur.

Rire général dans la salle et sur la scène. Gêne aussi, car Giovanni Pucci a touché le cœur du film selon lui : pourquoi la maman est-elle aussi embêtante, exigeante et pourtant absente avec lui. Sur scène, réponses un peu hasardeuses. Jézabel Marques tente un : « Ce personnage, c'est un peu moi ». Mais on ne donne pas de réelle réponse à cet enfant.

Y a-t-il une pudeur à dire aux enfants que la vie est difficile ? Ou bien qu'elle peut rendre psychorigide après un événement traumatisant qui nous laisse seul ?

Le personnage de la mère aurait très bien pu être celui d'un père. Un père se retrouvant seul, endeuillé de la femme qu'il aimait, qui portait son enfant mais qui n'est jamais devenue mère. Cet homme qui doit subvenir seul aux besoins et à l'éducation de son enfant. Gérer le travail, le budget, les courses, les devoirs.

Sol est l'histoire d'un enfant dont la mère a perdu son mari alors qu'elle était enceinte. Sa grand-mère, qui s'était brouillée avec son fils, n'a jamais connu son petit-fils. Elle décide un jour de revenir en France, de quitter son Buenos Aires où elle vit sa vie de femme libre, artiste, chanteuse et danseuse de tango, pour se confronter à ce qu'elle a laissé derrière elle.

Elle se présente à sa belle-fille comme étant quelqu'un qui veut louer l'appartement en face de chez elle, sans lui avouer qu'elle est la mère de son mari décédé.

Pour le petit garçon, la rencontre avec cette femme libre, artiste, fantastiquement interprétée par Chantal Lauby, est une véritable découverte. La vie peut être joyeuse, libre, légère.

Nous aurions pu répondre à Giovanni Pucci, le petit garçon, qu'il incarnait la moitié de l'autre qui manque tellement à sa mère. Tellement qu'elle lui refuse de jouer de la guitare, de peur d'être hantée par des souvenirs où son mari en jouait.

Pas d'autre question posée dans la salle. Mais tout le monde se demande si cette histoire est personnelle à la réalisatrice. Car elle laisse un indice : « Éva, c'est un peu moi ». Je veux alors savoir si cette histoire de deuil lui est arrivée. Elle me dit que non, me présente son mari, me dit qu'elle a un fils, certes, mais que son film est romancé.

Je sens de la pudeur. Car elle dit, et le film le fait ressentir, que c'est une histoire personnelle. Je trouve un petit détail dans mes recherches. La chanson sur laquelle s'ouvre le film était la préférée de sa grand-mère : Fumando Espero, de Sarita Montiel (version de 1957). Le tango, très présent dans le film, fait écho par sa beauté, sa sensualité et sa gravité, à la vie de Sol. Une danse de canailles et une musique aussi riche et grave que la vie.

Ce film, touchant, émouvant et drôle à la fois, nous rappelle que les parents sont tenus à une certaine pudeur face à leur enfant. Comment dire la vérité ? Les parents la romance pour qu'elle fasse moi mal. Et si les parents la cache, ils frustrent, mettent en colère leur enfant, sentant qu'on lui ment.

Finalement, ce film représente une certaine solitude dans laquelle le deuil d'un être aimé peut nous plonger. Le deuil nous fait déborder de contraintes qu'on s'impose, et qu'on impose aux autres, pour retrouver un contrôle alors que tout nous a échappé en une fraction de seconde. Si Éva est « chiante », c'est pour toutes ces raisons. Aussi ce film nous rappelle-t-il à quel point il est facile de se retrouver profondément seul, sans lien, après des événements cruels. Le lien qui s'évapore si rapidement dans une société individualiste.

Nous pourrions résumer le film ainsi, selon les propres mots de la réalisatrice : « Il n'est jamais trop tard pour réparer, transmettre quelque chose, pour donner de l'amour et être en paix avec soi-même ». Je vous conseille d'aller voir ce film superbement réussi, du début à la fin. Mention d'honneur à Chantal Lauby qui joue avec justesse un rôle dramatique, tout en gardant son humour naturel, découvert lors des jeunes années Canal +.

Sol, le premier film de Jézabel Marquès, au cinéma en France dès le 8 janvier 2020. 

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