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Parce que c'était une grande romancière ? Non, parce qu'elle était noire...
©MANDEL NGAN / AFP

Hommages à Toni Morrison

La bêtise de la bien-pensance atteint ici ses sommets.

Benoît Rayski

Benoît Rayski

Benoît Rayski est historien, écrivain et journaliste. Il vient de publier Le gauchisme, maladie sénile du communisme avec Atlantico Editions et Eyrolles E-books.

Il est également l'auteur de Là où vont les cigognes (Ramsay), L'affiche rouge (Denoël), ou encore de L'homme que vous aimez haïr (Grasset) qui dénonce l' "anti-sarkozysme primaire" ambiant.

Il a travaillé comme journaliste pour France Soir, L'Événement du jeudi, Le Matin de Paris ou Globe.

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Les hommages pleuvent après la mort de la romancière américaine Toni Morrison. Oui, romancière américaine ! Car étant farouchement hostile à toute distinction de race ou de couleur de peau, je ne peux me résoudre à écrire : "romancière noire américaine". En France, les hommages sont plus nombreux, et plus poétiquement émouvants, qu'ailleurs. Même le chef de l'État y est allé de sa déclaration bouleversée.

Il ne semble pas, sous réserve de recherches plus approfondies, que la reine d'Angleterre, le président allemand, le roi d'Espagne, le roi des Belges ou le chef d'État italien aient éprouvé la nécessité de saluer la mémoire de Toni Morrison.

Mais peut-être fais-je un mauvais procès à Macron ? Nous avons en effet pendant longtemps colonisé une partie de l'Afrique et nous aurions donc une dette à l'égard des Noirs. Sans doute, mais la Grande-Bretagne a colonisé l'autre partie du continent africain. Pourquoi Elizabeth II se tait-elle alors ?

Mais en France la rien-pensance (l'expression est d'Elizabeth Levy) estime que Black is beautiful et que White is ugly. Donc pour se faire bien voir, il convient de saluer la mémoire de la "romancière noire" qui vient de mourir.

En bonne logique, et pour se faire bien voir, Muriel Pénicaud a sacrifié à ce rituel. Avec une phrase qui fait polémique : "Hommage à une très grande dame, écrivaine, poète et militante. Grâce à elle, les noirs ont enfin pu entrer par la grande porte dans la littérature".

Ses propos ont été jugés racistes et offensant. Car ils sous-entendaient qu'avant Toni Morrison les Noirs (contrairement à Madame Pénicaud je l'écris avec un grand "n") n'étaient pas capables d'écrire un livre. La tempête a été telle que la ministre du Travail s'est vue contrainte d'effacer son tweet. Pour ma part, je ne décèle dans sa déclaration aucune trace de racisme. Juste celle, énorme, de la bêtise qui exige pour être bien vue qu'il faille tremper ses doigts dans l'eau bénite de l'antiracisme.

Muriel Pénicaud n'a certainement jamais lu un seul livre de Toni Morrison. Ce n'est pas grave : elle n'est pas la seule. Mais pourquoi n'a-t-elle pas eu la franchise de Fleur Pellerin qui avoua, lorsque Modiano reçut le Nobel de littérature, qu'elle n'avait jamais lu un livre de lui ? Vu ses fonctions, Madame Pénicaud devrait se contenter de lire et de relire sans relâche le code du Travail !

Rappelons aux "morrisonniens" de circonstance quelques noms. James Baldwin et Chester Himes pour les Etats-Unis, Wole Soyinka, prix Nobel de littérature en 1986 (bien avant Toni Morrison) pour le Nigéria. Il écrivait en Anglais pas en yorouba. Aimé Césaire et Léopold Sédar Senghor – membre de l'Académie française – pour la France.

Cela fait donc bien longtemps que les Noirs sont entrés par la grande porte dans l'histoire de la littérature. Mais ceux qui prétendent le découvrir avec Toni Morrison n'ont ni mémoire ni culture. Dans leur frénésie, ils sont parfaitement capables de changer le solfège où une blanche vaut deux noires… Comme j'ai une prédilection particulière pour Chester Himes, un des auteurs les plus jouissifs de la série noire, une citation de lui pour oublier nos crétins hexagonaux. "Tout être humain, quelle que soit sa race, sa nationalité, sa religion, est capable de tout et de n'importe quoi."

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