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Le très décevant bilan de la "révolution numérique"
©CHRISTOPHE PETIT TESSON / POOL / AFP

Triste réalité ?

Jobic de Calan et Jérôme Cauchard viennent de publier "Remède contre l'hystérie numérique" chez Robert Laffont. En exclusivité pour Atlantico, ils abordent les questions de la révolution numérique, des grandes entreprises de la Tech et la position de la France dans ce domaine.

Jérôme Cauchard

Jérôme Cauchard

Jérôme Cauchard est dirigeant d'une entreprise de solutions digitales. Il enseigne aussi à l'Institut d'études politiques de Paris. Diplômé de cette école et de la Sorbonne, il a travaillé pendant plus de quinze ans pour TF1, puis Google.

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Jobic  de Calan

Jobic de Calan

Jobic de Calan est consultant en stratégie de communication. Il enseigne aussi à l'Institut d'études politiques de Paris. Diplômé de cette école, de la Sorbonne et de la Columbia Business School, il a vécu dix ans à New York où il travaillait dans les médias et le digital.

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Dans votre livre "Remède contre l'hystérie numérique" publié aux éditions Robert Laffont, vous commencez par une mise en garde concernant une révolution numérique qui ne serait peut-être pas à la hauteur de celle rabâchée à longueur de temps par nos politiques. Pourquoi un tel constat ?

Jérôme Cauchard et Jobic de Calan : Il y a un paradoxe. D'un coté, nous constatons tous que des outils technologiques ont envahi nos existences et de l'autre, le niveau de vie de beaucoup de nos concitoyens évolue très faiblement, voire régressent. Depuis une décennie, le taux de croissance de la productivité est faible, ce qui se traduit par peu de gains réels dans nos vies quotidiennes. La productivité est un indice essentiel car il est synthétique, mêlant à la fois des données quantitatives et qualitatives. Nous risquons d'attendre longtemps le jour où un directeur général déclarera que son entreprise a fait des économies significatives depuis que tous ses salariés utilisent Slack, une application censée améliorer la productivité et qui est valorisée à plus de 7 milliards de dollars. 

L'idée de notre livre est d'aller au-delà du constat et d'expliquer en huit chapitres thématiques pourquoi ce que beaucoup appellent la « révolution digitale » n'est pas le facteur explicatif principal de notre époque, que ce soit sur le plan économique, démocratique ou culturel. Nous assistons avant tout à un déplacement de valeur car une véritable création de cette dernière qui bénéficierait à tous. Si un service comme Spotify est aujourd’hui utilisé par plus de 100 millions de personnes dans le monde, cela ne signifie pas que nous écoutons plus de musique. 

Dès lors quel serait le danger de considérer les grandes entreprises de la tech comme un remède magique aux maux économiques qui rongent notre société ?

Si la rigidité et manque de foi dans l’avenir sont nos maux économiques alors elles représentent en effet des modèles. Mais il serait illusoire, voire dangereux de considérer que ces entreprises puissent apporter un quelconque remède à la faible croissance que nous connaissons. Au mieux, elles prélèvent un impôt sur l’attention et le référencement. Au pire, elles permettent l'émergence de sociétés intermédiaires qui sont des succès de design mais ne produisent rien. Le secteur de l'hôtellerie constitue un exemple frappant de ce déplacement de valeur : les Booking ou AirBnb, ne disposent pas d’actifs immobilier mais “parasitent” les offres existantes grâce la qualité de leurs applications. 

Le modèle que propose ces entreprises brille par son ambiguïté : souvent socialement et intellectuellement avancé, il déploie aussi des trésors d’optimisation fiscale moralement critiquables.  

Partant de l'exemple américain, vous assurez que le traitement du chômage viendra "plus des locomotives françaises que des GAFA"? Là encore le discours semble être à contre-temps dans une France où le gouvernement promeut encore la startup nation ?

A l'exception d'Amazon (qui sera certainement un pourvoyeur significatif d'emplois dans les années à venir), il ne faut pas oublier que ces entreprises numériques sont relativement peu gourmandes en employés, surtout si on les compare à leur valorisation boursière. En France, une société comme Facebook emploie 200 personnes. Et une des seules licornes françaises, BlaBlaCar, compte 500 employés au total. A ce rythme, il faudra plus que les 20 ou 30 licornes que le nouveau secrétaire d'état au numérique appelle de ses vœux d'ici 2025 pour faire baisser le taux de chômage de manière significative. 

Il faut bien sur encourager l'entreprenariat et le financement de jeunes entreprises mais croire que la « start-up nation » va sortir la France de son atonie est un leurre car l'économie numérique demeure trop petite pour créer un véritable effet d'entraînement. Au final, les politiques auront beaucoup parlé et se seront parés des habits de la modernité mais peu d'emplois auront été créés.

Du point de vue démocratique, vous citez l'exemple estonien, mettez en garde contre les dérives de la numérisation à marche forcée et attirez l'attention du lecteur sur la gestion des données personnelles. Mais quelle regard porter aujourd'hui sur l'avenir face à, d'une part, ces interrogations légitimes et de l'autre, le soin apporté à la protection des données personnelles via notamment le RPGD ? Le futur est-il si dystopique ?

L’analyse algorithmique des comportements produit la dystopie, non dans le futur mais aujourd’hui et le RGPD n’y a rien changé. 

Notre propos veut surtout attirer l’attention des lecteurs sur les choix démocratiques qui seront à faire, sans doute à court terme, vis-à-vis de nos données personnelles et qui iront bien au delà du RGPD. Entre une collecte de données par un Etat, pour un usage visant à mieux faire fonctionner la démocratie et un partage de ces données avec des opérateurs privés, que préférons-nous dans le futur? 

Notre nouveau secrétaire d’état chargé du numérique, Cédric O, aura sûrement à coeur de se saisir de ce sujet afin de proposer une réponse adaptant notre démocratie aux pratiques et aux enjeux digitaux.

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