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"L’Ukraine, une histoire entre deux destins" de Pierre Lorrain : au-delà de l'élection présidentielle, une mise en perspective remarquable
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Charles Chatelin pour Culture-Tops

Charles Chatelin pour Culture-Tops

Charles Chatelin est chroniqueur pour le site Culture-Tops.
 
Culture-Tops est un site de chroniques couvrant l'ensemble de l'activité culturelle (théâtre, One Man Shows, opéras, ballets, spectacles divers, cinéma, expos, livres, etc.).
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LIVRE

L’Ukraine, une histoire entre deux destins

De Pierre Lorrain

Ed. Bartillat

672 pages.

RECOMMANDATION 

           EXCELLENT 

THÈME

Y-a-t-il une malédiction à vivre au centre de l’Europe ? À lire l’impressionnant essai de Pierre Lorrain sur l’histoire, où plutôt le destin ukrainien, on serait tenté de le croire. Sur cette terre fertile qui est aussi un couloir d’invasions, se sont croisés, battus, mêlés, toute sorte de peuples depuis les origines. Rome, puis la chrétienté y ont mis un peu d’unité ; la Russie y est née, à Kiev ; les empires se la sont partagée ; la grande émancipation des peuples européens au XIXe siècle y a fait naître un rêve nationaliste ; la révolution bolchévique et la Seconde Guerre mondiale l’ont ravagée encore et encore. Et depuis 1991, l’Ukraine est indépendante, pour le meilleur et pour le pire…

POINTS FORTS

N’hésitez pas devant ce pavé de presque 700 pages ! Vous en sortirez éclairés sur les raisons de la crise ukrainienne qui empoisonne depuis un moment les relations entre la Russie et l’Occident. Qu’est-ce que l’Ukraine ? Une double aspiration à l’indépendance. C’est d’abord une idée née dans l’empire austro-hongrois, en Galicie – Vienne autorise une large autonomie dans ses provinces qui favorise la montée des nationalismes locaux. Ensuite, il y a l’Ukraine tsariste ou bouillonne un mouvement national qui va être alimenté par des intellectuels galiciens, ce qui n’empêche pas les habitants de se considérer pour beaucoup comme des Russes, ou plus exactement des “Petits-Russiens”.

Cette Ukraine russe sera brièvement indépendante de 1917 à 1921, tandis que la Galicie se retrouve polonaise en 1919 avant d’être incorporée à l’Ukraine soviétique à la faveur du pacte Hitler-Staline en 1939. En 1944-1945, des territoires “ukrainiens” en Hongrie et Tchécoslovaquie – la Bucovine du Nord et la Transcarpatie – sont également annexés à la faveur de leur libération par l’Armée rouge. L’Ukraine trouve ainsi les frontières qui seront les siennes au moment l’éclatement de l’URSS.

L’auteur fait une analyse très fine de la mainmise bolchevique sur les provinces ukrainiennes, de la famine effroyable que Staline orchestra au début des années 1930, puis de l’invasion nazie que beaucoup de nationalistes ukrainiens, surtout dans l’ex-Galicie, ont vu comme une libération de l’enfer soviétique. Les conséquences se mesurent encore aujourd’hui, et c’est le mérite du livre de les mettre en perspective.

POINTS FAIBLES

Des lecteurs tiqueront peut-être : le livre n’est pas antirusse, contrairement à l’habitude sur ce sujet bridé par le politiquement correct. Pierre Lorrain est l’opposé d’un poutinolâtre, mais il souligne qu’au-delà du jeu des puissances – Berlin, Moscou, Washington – les objectifs des parties ukrainiennes ne sont pas de même nature. Les “Galiciens” appellent de leurs vœux une Ukraine entièrement occidentalisée, tandis que les “Petits-Russiens” se battent pour conserver leur spécificité culturelle sans pour autant vouloir russifier leurs adversaires.

EN DEUX MOTS

Pour nous Français, il y a quelque chose d’étonnant dans cette histoire : l’influence du modèle jacobin dans la réflexion politique du nationalisme ukrainien. Il s’agit de créer les conditions d’un État unitaire et centralisé, une nation, une langue, une administration. L’instrument de notre Révolution, ce fut “la Patrie en danger” : la construction nationale passait par la mobilisation contre les particularismes locaux, accusés d’être les agents des monarchies européennes. On peut se poser la question : le Donbass est-il la Vendée de l’Ukraine ?

UN EXTRAIT

« Ainsi, des deux destins qui se présentent à l’Ukraine, aujourd’hui, l’un conduit vers une union à l’amiable où les différences entre les populations seraient sanctuarisées par des statuts d’autonomie, comme dans de nombreux grands pays européens. L’autre mène à une désunion de longue durée où l’État central unitaire se verrait obligé de répondre régulièrement par la force aux flambées de contestation qui ne manqueraient pas de perdurer. » (Page 608.)

L’AUTEUR

Essayiste et journaliste, Pierre Lorrain est un des meilleurs spécialistes français de l’ancienne Union soviétique et des États issus de son éclatement. Traducteur des mémoires de Michail Gorbatchev, il est l’auteur, entre autres, d’une biographie de l’actuel maître du Kremlin (la Mystérieuse ascension de Vladimir Poutine, Le Rocher, 2000), d’une histoire de la Russie (Moscou et la naissance d'une nation, Bartillat, 2010) et d’une enquête fouillée sur l’assassinat de Nicolas II (la Fin tragique des Romanov, Bartillat, 2018 pour la dernière édition).

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