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​Tendre est Neuhoff
©CHARLY TRIBALLEAU / AFP

Atlantico Litterati

Avec « Costa Brava » (roman) et « Les polaroïds » (nouvelles), Eric Neuhoff atteint une sorte de perfection dans l’expression de son imaginaire. Tel son inspirateur, Francis Scott Fitzgerald, Neuhoff s’impose comme l’écrivain de la fêlure et de l’exil de soi.

Annick Geille

Annick Geille

Annick GEILLE est journaliste-écrivain et critique littéraire. Elle a publié onze romans et obtenu entre autres le Prix du Premier Roman et le prix Alfred Née de l’académie française (voir Google). Elle fonda et dirigea vingt années durant divers hebdomadaires et mensuels pour le groupe « Hachette- Filipacchi- Media » - tels Playboy-France, Pariscope et « F Magazine, » - mensuel féministe (racheté au groupe Servan-Schreiber par Daniel Filipacchi) qu’Annick Geille baptisa « Femme » et reformula, aux côtés de Robert Doisneau, qui réalisait toutes les photos d'écrivains. Après avoir travaillé trois ans au Figaro- Littéraire aux côtés d’Angelo Rinaldi, de l’Académie Française, AG dirigea "La Sélection des meilleurs livres de la période" pour le « Magazine des Livres », tout en rédigeant chaque mois pendant dix ans une chronique litt. pour le mensuel "Service Littéraire". Annick Geille remet depuis sept ans à Atlantico une chronique vouée à la littérature et à ceux qui la font : « Atlantico-Litterati ».

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Le narrateur  de « Costa Brava » est un divorcé à mi-parcours.  Son père est mort. Ses enfants ne le comprennent pas. L’amour de sa jeunesse est décevant, mais qui ne l’est, dans le pourrissement des relations ? «  Je renversai la tête en arrière et contemplai la nuit espagnole. Les phares des voitures trouaient l’obscurité, plus haut. Le ciel devenait violet. L’orchestre jouait un slow. Les bruits arrivaient étouffés. Un scooter pétarada. Des petites filles riaient. Je fermai les yeux. Il aurait fallu conserver cet instant pour toujours. », murmure Neuhoff dans « Costa Brava » (Albin Michel). Le divorcé,  dans cette  villa dominant la baie, savoure du Champagne Pol Roger, à moins que ce ne soit un Martini-Dry, ou un Rosé bien frais. « La boisson permet en effet de confondre l’instant présent avec les meilleurs moments du passé, comme s’ils allaient de pair. Elle permet même d’y confondre aussi l’avenir, comme si ces instants merveilleux étaient sur le point de se reproduire » souffle, dans l’éternité de la littérature-, Francis Scott Fitzgerald (« Tendre est la nuit » (Gallimard/Folio/1934)). « Costa Brava » est l’œuvre poignante- et très fitzgéraldienne-d’Eric Neuhoff, au meilleur de sa forme. Sur ce même thème - les corps précaires -, il publie son premier recueil de nouvelles : «  Les polaroïds » (Le Rocher/ 2018). Là encore, les personnages sont « derrière la vitre  opaque de pluie ensoleillée » (Sagan/ « Toxique »). Maud,  la femme aimée, n’est plus dans Maud. Les  êtres, l’amour que nous leur portions, nos liens les plus chers, s’effondrent en miettes. Ne restent que ces photos d’hier, des instantanés qui s’autodétruisent inéluctablement, comme leurs modèles. Il suffit de respirer pour vieillir un peu, donc progresser vers sa fin. Le narrateur de « Costa Brava » éprouve sa solitude intrinsèque. Les protagonistes des « Polaroids » découvrent eux aussi, chacun à sa manière, la loi d’airain de ce présent -passé. « La photographie  reproduit ce qui ne pourra jamais se répéter existentiellement. » (Roland Barthes/« La Chambre claire » Gallimard/1980).  Tous les narrateurs  de Neuhoff sont des hommes seuls, ou qui vont le devenir dans l’heure qui suit. « Les polaroïds »  évoquent le néant qui guette, comme s’anéantissent avec les années  nos traits sur le papier. Les maisons joyeuses des étés d’antan ont une drôle de gueule, avec le temps. « Les polaroïds » sont des« short –stories » publiées dans  plusieurs magazines, et  regroupées aujourd’hui, de sorte  que les deux livres se répondent, à quelques mois d’intervalle. Il faut lire le roman, puis les nouvelles, pour  découvrir, biaisée par une gaieté très « old sport », leur profondeur de champ. Une profondeur qui  éclaire toute l’œuvre rétrospectivement.  Comme  si  l’auteur avait voulu enfoncer le clou. Néo-hussard,  (mouvement issu des « Hussards », qui réunissait hier  Michel Déon- (auquel Neuhoff dédie « Costa Brava »)-, Jacques Chardonne, Antoine Blondin et Jacques Laurent, regroupant aujourd’hui Patrick Besson («  Atlantico » /Juin 2018), Fréderic Beigbeder et Denis Tillinac.), Eric Neuhoff est à la fois insoumis et incompris.

Insoumis, parce que s’il  réalise tout ce qu’il sied d’entreprendre, il désobéit en même temps qu’il réussit. Par  la littérature, Eric Neuhoff vit son autre vie. La littérature : sa  force, son talon d’Achille. Sa folie. Le cinéma est l’autre versant de cette folie. Le cinéma et la littérature amènent Neuhoff à questionner en douce, au beau milieu du Tout-Paris, la perte, la défaite, l’oubli.

Incompris, parce que du haut de son « Figaro » et de ses trente années chez « Albin Michel », cajolé par le milieu littéraire, Neuhoff  pourrait passer pour un enfant gâté. Or, ses héros sont  la négation du système. « L’envers du paradis », dirait Fitzgerald.  Ils incarnent la fêlure, l’interdit.  Ce sont « Les Insoumis » (Fayard/ 2009). «  Jean-Pierre Rassam (le producteur ovni), Maurice Ronet (comédien très agité qui flamba son destin), Pascal Jardin (mon papa aux mille embardées), Paul Gégauff (scénariste spécialisé dans les excès) et un autre grilleur de feux rouges : l'écrivain Dominique de Roux » (Alexandre Jardin/ »Le Figaro »). « Les insoumis »nous offredes pages éblouissantes. Maurice Ronet, traversant le boulevard Saint-Germain  à midi, par exemple.

Eric Neuhoff (Prix Interallié 1997 avec « La petite Française »,  et Grand Prix du Roman de l’Académie française 2001 avec « Unbien fou »), s’enrichit  de sa maturité. L’expérience aiguise  son imagination. L’homme  qui a vécu prête main -forte  au romancier. « Il fallait être un peu vieux pour ressentir ce sentiment de nostalgie », précise-t-il. Et si l’on retrouve  toujours chez lui cette  petite musique à la Sagan (« nous avions l’air plus vieux ; naturellement, quelque chose s’était perdu en route » (« Costa Brava »), c’est à Fitzgerald que font penser « Costa Brava »et Les polaroïds. On y  découvre -comme chez Fitzgerald-les bords de mer l’été, mais aussi cette tristesse polie (cf. «  never explain never complain), qui parvient à poindre sournoisement. Heureusement,  « on entend au loin les balles de tennis » (« Costa Brava »). La déréliction à l’œuvre  dans « Les polaroïds » éclaire les intentions  de « Costa Brava », roman de la maturité.

Chez Neuhoff,  la forme sert le fond. Style sec, petites phrases qui en disent long. Et le souci du détail, où se niche la littérature. «Sur la table de nuit,   un livre de Jean-Louis Curtis en édition de poche. » Je me souviens des fenêtres de Curtis, rue Vaneau. De cette lumière dans la nuit, tandis qu’il travaillait jusqu’à l’aube. C’était beau. (Jean-Louis Curtis (1917- 1995),  fut lauréat du Prix Prince Pierre de Monaco, comme l’est Eric Neuhoff pour l’ensemble de son œuvre).

Nageant dans le chic, Eric Neuhoff va pouvoir se  réjouir de prendre un peu de bouteille. L’âge des hommes, qui souvent les tourmente,  lui ira comme un gant. Il illumine déjà sa manière.  Non que les œuvres passées ne soient réussies (au contraire, elles furent souvent couronnées), mais l’expérience donne au « ton Neuhoff » son vibrato. « Nos yeux voient l’été et nospensées hantent la tombe » affirmait Thomas de Quincey (« Confession d’un mangeur d’opium anglais »). Cette formule pourrait résumer  la veine d’Eric Neuhoff.  Des fictions en apparence désinvoltes, mais assez sombres, lorsqu’on y regarde  de plus près. Alimentant la flamme du romancier, la gravité fait crépiter les phrases et réchauffe  nos cœurs. En lisant « Costa Brava », puis « Les polaroïds », le lecteur  admire l’auteur qui  sait cultiver ses terres,  tracer ses frontières, imposer  ses couleurs.

La première fois que je vis Eric Neuhoff, il avançait vers moi,  aidé par une béquille.  Le beau jeunot  en situation de handicap posa un livre sur mon bureau. « La panoplie littéraire »,  de Bernard Frank. Julliard. « Soit vous l’avez lu et serez  bien heureuse d’en avoir un second exemplaire, car ce livre est introuvable. Soit vous ne l’avez pas lu, et allez beaucoup l’ aimer. »

Eric Neuhoff ne croyait pas si bien dire. Depuis  cette rencontre des Champs-Elysées, les béquilles - Dieu merci- ont disparu (un accident), mais l’intrépidité et l’élégance intellectuelles d’Eric Neuhoff, écrivain, critique au « Figaro » et  au « Masque et la Plume », ont prospéré.Avec une apparente légèreté, permettant une lecture au premier degré. On a beau « entendre les balles de tennis », ce n’est pas gai.

La rentrée d’hiver bat son plein. 493 romans dont 336 fictions françaises sont publiés entre janvier et février  (cf. Livres-Hebdo). Avant de faire le tri, et parce qu’il n’y a pas que Michel Houellebecq dans la vie -même  s’il l’a toujours lu avec plaisir-  l ‘amateur songe à ces  romans qu’il a aimés. Il n’y a pas de date de péremption pour les bons livres. Eric Neuhoff prépare certainement son prochain chapitre. « Se sentir solitaire, tant d’esprit que de corps, incline vers la solitude, et la solitude elle-même incline à plus de solitude encore ",  affirmait Francis Scott Fitzgerald dans « Tendre est la nuit ».

Seriez-vous -comme le fut Sagan-, l’écrivain de la séparation  (d’avec soi-même et les autres) ?

J’aime bien l’idée que les personnages aient perdu quelque chose ou, en tout cas, aient cette impression. Séparation, je ne sais pas, mais sentiment de perte, oui. Souvenez-vous du début de « La ferme africaine ».  L’imparfait est le temps du romanesque (c’est pour ça, entre autres, que je n’aimais pas le Nouveau roman, qui est toujours au présent). Que serait Gatsby si Daisy ne l’avait pas quitté ? Quant à Sagan, on n’a pas fait mieux dans le domaine. Elle reste un modèle pour tous ceux qui rêvent de se mettre à écrire sans sombrer -au secours !-dans l’autofiction.

Vos narrateurs  voudraient s’abstraire  d’une durée qui n’épargne personne : quoi qu’on fasse, tout s’efface ?

Avec l’âge, on s’aperçoit que la paresse est une tragédie. Il aurait fallu tout noter. Le passé disparaît. On croit s’en souvenir, on n’en garde que des bribes. Si l’on regarde, on s’aperçoit que la France a changé, que la province n’existe plus, que les amis (pas tous, quand même) vous ont trahi, qu’on n’a pas été à la hauteur de ses rêves de jeunesse, qu’il y a eu des accidents, des divorces, des maladies. Mais bon, il ne faut pas en faire un drame. Il suffit de transformer ça en livres, de préférence plutôt gais.

Les femmes sont belles, désirables. Mais « l’amour est une fiction ». Rien ne subsiste du passé. Sauf ces écrivains et cinéastes que vous  chérissez. Ils deviennent vos personnages?

Je crois qu’il est bon de rendre des gages, de citer les ainés qui vous ont fait grandir, qui vous entretiennent dans une adolescence qui ne veut pas finir. Alors, oui, la littérature, le cinéma rendent la vie plus riche. Ils ne permettent pas de la comprendre, heureusement.  Grâce à eux, elle est plus agréable. D’ailleurs, je ne conçois pas la littérature autrement que comme un plaisir. Comme disait Jacques Laurent à une romancière qui se plaignait de la page blanche : « Si vous n’êtes pas faite pour ça, n’en dégoûtez pas les autres ». Des noms, des noms !

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