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"Les fourberies de Scapin" - In saecula saeculorum: Molière
©Allociné

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Molière est la grande vedette de cette rentrée théâtrale. L'occasion de découvrir, entre autres, à la Comédie française, un très jeune et formidable Scapin: Benjamin Lavernhe.

Danielle Mathieu-Bouillon pour Culture-Tops

Danielle Mathieu-Bouillon pour Culture-Tops

Danielle Mathieu-Bouillon est chroniqueuse pour Culture-Tops.

Culture-Tops est un site de chroniques couvrant l'ensemble de l'activité culturelle (théâtre, One Man Shows, opéras, ballets, spectacles divers, cinéma, expos, livres, etc.).
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THEATRE

LES FOURBERIES DE SCAPIN

de Molière

Mise en scène: Denis Podalydès

Avec Benjamin Lavernhe, Didier Sandre, Bakary Sangaré, Gilles David, Adeline d’Hermy

Pauline Clément, Julien Frison, Gaël Kamilindi, Maika Louakarim, Aude Rouanet

Durée 1h45                                                                                                         

INFORMATIONS

Comédie-Française

Jusqu' au 11 février, en alternance

Réservation : 01 44 58 15 15 

www.comedie-francaise.fr

RECOMMANDATION 

EXCELLENT

THEME 

Dans la ville de Naples, profitant du voyage de leurs pères respectifs, Octave a épousé Hyacinte et Léandre est tombé amoureux fou de Zerbinette. Mais leurs pères Géronte et Argante reviennent, bien décidés à leur orchestrer les mariages qu’ils ont concoctés pour eux. Scapin, le valet de Léandre, à la fois audacieux et ingénieux, va mettre ses talents innombrables au service des jeunes gens pour soutirer de l’argent aux pères et arranger pour le mieux cette querelle de générations, souvent présente chez Molière, qui renoue ici avec la tradition italienne, où la farce se mêle à la comédie.

POINTS FORTS

1 - Denis Podalydès est un homme de théâtre avéré ; il met en scène la pièce avec fougue et maestria. Molière a créé le rôle, mais celui-ci est exténuant, en raison de ses multiples morceaux de bravoure. En grand directeur d’acteur, Podalydès  choisit un Scapin jeune et ardent, qu’il lance dans un déferlement de malices, d’ingéniosités, de cascades, de chansons, voire de tyrolienne, pour le plus grand bonheur du public. Le rôle exige du souffle ; Benjamin Lavernhe s’y révèle éblouissant.

2 - Didier Sandre incarne Géronte avec ce pouvoir qu’ont les très grands acteurs à composer un personnage totalement différent de ce qu’ils sont. Il s’est grimé pour enlaidir son visage, a modifié sa voix, caricaturé sa silhouette pour devenir cet avaricieux agressif et assez abominable, voulu par Denis Podalydès. 

La scène du « Que diable allait-il faire dans cette galère ? » atteint des sommets dignes d’un morceau d’anthologie. Entre la malice fourbe mais sans faille de Scapin et la violence de plus en plus accentuée de Géronte, qui s’en prend à tout ce qui l’entoure, un comique dévastateur emporte les rires du public comme une houle de mer déchaînée. Tous deux, deviennent par leur talent, les triomphateurs de cette comédie débridée, d’une drôlerie irrépressible qui atteint ici des sommets.

3- Autour d’eux, une distribution solide :  On peut citer : Gilles David en Argante, Bakary Sangaré en Sylvestre, Gaël Kamilindi en Léandre et une Adeline d’Hermy, dont le rire sidère tant Géronte et dont on sent qu’elle n’est pas insensible au charme un peu dévastateur de Scapin. Est-ce là ce qui fait de Julien Frison, un Octave un peu terne ? Peut-être ?

4 - Il semble que le rôle de Scapin a particulièrement fasciné ce grand admirateur de Molière qu’est Denis Podalydès. Il en montre, tout en respectant parfaitement le texte, l’infinie complexité, faite à la fois de charme et de cynisme, de grande intelligence, mais aussi pourvu d’un regard désabusé sur la condition humaine et ses multiples injustices. Molière, en 1671, date de la création de la pièce, doit jouer dans la salle du Palais Royal, encore en travaux. Mais il est, en contrepartie, libéré du carcan des spectacles de cour. Il renoue ici, avec sa liberté d’expression et dévoile, par la bouche de Scapin, des vérités dont Beaumarchais reprendra certains échos avec son Figaro.

5 – Les costumes sont très beaux, dans des couleurs subtiles, riches, joyeuses et ensoleillées, typiques de Christian Lacroix qui les signe.

POINTS FAIBLES

1 –Le metteur en scène a voulu placer l’aventure dans des fonds de cales du port de Naples, ce qui assombrit l’ensemble et laisse une aire de jeu plus limitée et parfois mal accessible. Ceci explique aussi les palissades, les échelles et autres tours et escaliers. Un tel dispositif était-il nécessaire ? On peut s’interroger. Eric Ruf, Administrateur Général de la Comédie française et, en l'occurrence, scénographe, y apporte néanmoins le talent de sa palette avec de belles toiles de fonds maritimes. Cela posé, le lourd dispositif, (une grue et un palan) pour le moins surprenant a priori, utilisé pour orchestrer la célèbre scène du sac, semble énorme ; il réussit pourtant son effet, en transportant quasiment le public à Guignol. N’est-il pas vrai, que la scène du sac fut souvent discutée, même par Boileau, l’un des plus fidèles amis de Molière ? Mais il nous faut reconnaître que le résultat est efficace et que la salle croule de rire.

EN DEUX MOTS 

C’est une indéniable réussite. Denis Podalydès a gagné son pari et révèle un jeune acteur qui fait merveille en Scapin.  Il nous présente Molière dans la densité de sa pensée, avec une énergie endiablée, un brio, qui emporte tout sur son passage. 

Ces Fourberies de Scapin démontrent bien, en ce début de saison théâtrale, que Sacha Guitry avait raison lorsqu’on lui posait la question : « Quoi de neuf ? », de répondre : « Molière ! ». Signalons ici que, rive gauche, sur le modeste plateau du Poche Montparnasse, Stéphanie Tesson a monté un Amphitryon exemplaire. Sans oublier, évidemment, le tandem Fau-Bouquet dans Tartuffe.

UN EXTRAIT 

Scapin : « A vous dire la vérité, il y a peu de choses qui me soient impossibles quand je veux m’en mêler. J’ai sans doute reçu du Ciel un génie assez beau pour toutes les fabriques de ces gentillesses d’esprit, de ces galanteries ingénieuses à qui le vulgaire ignorant donne le nom de fourberies ; et je puis dire, sans vanité, qu’on n’a guère vu d’homme qui fût plus habile ouvrier de ressort et d’intrigues, qui ait acquis plus de gloire que moi dans ce noble métier : mais, ma foi ! Le mérite est trop maltraité aujourd’hui, et j’ai renoncé à toutes choses depuis certain chagrin d’une affaire qui m’arriva. »

Octave : « Comment ? Quelle affaire, Scapin ? »

Scapin : « Une aventure où je me brouillai avec la justice. »

Octave : « La justice ? »

Scapin : « Oui, nous eûmes un petit démêlé ensemble. »

Octave : « Toi et la justice ? »

Scapin : « Oui. Elle en usa fort mal avec moi, et je me dépitai de telle sorte contre l’ingratitude du siècle, que je résolus de ne plus rien faire. »

L’AUTEUR 

Jean-Baptiste Poquelin, dit Molière est né à Paris en 1622. Il est en quelque sorte l’emblème du Théâtre français, puisque la Comédie française fondée par Louis XIV en 1680  est souvent appelée la « maison de Molière ». 

Ce même Molière, à l’instant de la création des « Fourberies de Scapin » retrouve, on l’a vu, une forme de liberté par rapport aux spectacles de cour dont il est l’un des grands organisateurs; mais il ne connaît pas avec cette pièce le succès qu’il espérait. 

Deux ans plus tard, le 17 février 1673, il meurt à l’issue de la troisième représentation du « Malade Imaginaire ». 

On dit que lorsque le roi, plusieurs années après, interrogea Boileau pour savoir qui, selon lui, était le plus grand auteur de théâtre de son règne, ce dernier répondit : Molière.

Comment ne pas conclure en citant Alfred de Musset évoquant Molière :

« …Quel grand et vrai savoir des choses de ce monde,

Quelle mâle gaieté si triste et si profonde

Que, lorsqu’on vient d’en rire, on devrait en pleurer ! » (La soirée perdue)

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