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"L'amante anglaise": dans les méandres les plus complexes et les plus sombres de l'âme humaine
C'est l'une des oeuvres les plus célèbres de Marguerite Duras mais c'est aussi, peut-être, la plus profonde. Une raison de plus de découvrir la remarquable version proposée actuellement au Lucernaire par Thierry Harcourt.
Philippe Jousserand pour Culture-Tops
Est chroniqueur pour Culture-Tops.
THEATRE
L’Amante anglaise
De Marguerite Duras
Mise en scène/ Thierry Harcourt
Avec Judith Magre, Jacques Frantz, Jean-Claude Leguay
INFORMATIONS
Théâtre du Lucernaire
53, rue Notre Dame des Champs
75006 Paris
Réservations : 01 45 44 57 34
Du mardi au samedi à 19h
Le dimanche à 15h
L’AUTEUR
Marguerite Donnadieu dite Duras est née en 1914 en Indochine, où elle reste jusqu'à l'âge de dix-huit ans. Elle écrit son premier livre « Les Impudents » en 1943. C'est le début d'une œuvre de fiction importante avec ses romans « Le Marin de Gibraltar », « Moderato cantabile », « Le Ravissement de Lol V. Stein »... Elle publie aussi des témoignages comme « La Douleur ».
Après avoir été scénariste et dialoguiste pour le cinéma (« Hiroshima, mon amour »), elle réalise ses propres films, « Nathalie Granger », « Le Camion ».
Elle se consacre aussi au théâtre, notamment avec les pièces « Des Journées entières dans les arbres », « Le Square » et « La Musica ».
Elle meurt à Paris en mars 1996.
THEME
Une femme, Claire Lannes, a assassiné sa cousine, une sourde-muette, qui vivait chez elle et son mari dans leur pavillon de Viorne. Elle a découpé le cadavre et en a jeté les morceaux du haut d’un pont dans différents trains de marchandises. Arrêtée, elle se trouve dans l’incapacité de justifier son acte. Un interrogateur la met à la question, ainsi que son époux, Pierre.
POINTS FORTS
1) Un vrai fait divers, lu dans un journal, a inspiré ce texte à Marguerite Duras. Elle écrit d’abord une pièce de théâtre à six personnages « Les Viaducs de la Seine-et-Oise », puis un roman « L’Amante anglaise » qu’elle condense pour en tirer au final cette pièce si souvent montée. Duras disait qu’elle avait été très touchée par cette femme de condition modeste qui s’était trouvée, malgré sa bonne volonté, dans l’incapacité intellectuelle de préciser et d’analyser les raisons de son crime.
2) La pièce est articulée en deux parties, deux interrogatoires, d’abord celui du mari, Pierre Lannes, puis celui de Claire, la meurtrière.
Mais qui est cet interrogateur ? A quel corps de métier appartient-il ? Est-il commissaire, juge, journaliste, psychiatre ? La réponse n’est pas donnée. En fait, il y a tout lieu de penser qu’il s’agit simplement de Marguerite Duras. Lorsque la police, la justice, la presse et la médecine n’ont pas réussi à élucider un acte incompréhensible, reste l’artiste - selon elle - pour accéder à cette part du cerveau secrète et mystérieuse, que l’on a vite fait de nommer folie.
3) Au-delà du thriller policier et psychologique (pourquoi Claire Lannes a-t-elle tué sa cousine ?) qui d’ailleurs ne débouche sur aucune réponse tangible, on peut voir dans ce texte une description plus générale des rapports qu’entretient un auteur dramatique avec ses personnages. Ici, la dramaturge Duras se montre tout entière tournée vers eux, elle les questionne, se passionne pour eux et tant qu’elle ne les a pas compris, cernés, elle ne peut se résoudre à les quitter. A la fin de la pièce, Claire Lannes dit : « Si j’avais réussi à vous dire pourquoi j’ai tué cette grosse femme sourde, vous me parleriez encore ? » Et, en toute franchise, l’interrogateur lui répond : « Non, je ne crois pas. »
Ainsi était Marguerite Duras, obstinée, écrivant, réécrivant, ressassant les mêmes histoires, les rédigeant sous différentes formes pour tenter de les résoudre. Le meilleur exemple reste « L’Amant », prix Goncourt 1984, éternel palimpseste qu’elle avait déjà raconté ou évoqué dans son roman « Un barrage contre le Pacifique », dans sa pièce « L’Eden cinéma » et qu’elle reformulera dans « L’Amant de la Chine du Nord ».
4) Pour un metteur en scène, « L’Amante anglaise » est un exercice imposé. Il n’y a pas trente-six solutions pour la monter : il faut suivre les didascalies et surtout choisir de très bons comédiens. Thierry Harcourt a rempli le contrat. Il a réuni Judith Magre, Jacques Frantz et Jean-Claude Leguay, et a su les entourer de bienveillance.
POINTS FAIBLES
Un petit regret, plutôt. Le rôle de l’interrogateur est avant tout une voix. D’ailleurs dans la mise en scène de Claude Régy, la première, Michaël Lonsdale jouait pratiquement tout le rôle de la salle. Jacques Frantz, excellent dans le personnage du mari, aurait sûrement été plus surprenant encore dans celui de l’interrogateur, lui qui prête sa voix magnifique, en les postsynchronisant, à Robert de Niro, Mel Gibson, Nick Nolte et John Goodman, entre autres.
EN DEUX MOTS
Revoilà « L’Amante anglaise », la pièce singulière de Marguerite Duras, régulièrement reprise depuis sa création. Le texte est passionnant, sa forme originale et son suspens haletant. Thierry Harcourt a réuni une distribution trois étoiles et signe une mise en scène au service des mots.
UN EXTRAIT
L’interrogateur : « Je cherche qui est cette femme, Claire Lannes, et pourquoi elle dit avoir commis ce crime. Le reste m’est égal. Elle, elle ne donne aucune raison à ce crime. Alors je cherche pour elle. »
RECOMMANDATION
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