Ce que la guerre des pénis paparazzés Orlando Bloom - Justin Bieber dit de notre société (et de nos cerveaux)<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
People
Ce que la guerre des pénis paparazzés Orlando Bloom - Justin Bieber dit de notre société (et de nos cerveaux)
©Capture d'écran twitter

Après l’été des méduses, l’été des pénis

Après le pénis d'Orlando Bloom, interprète célèbre de Legolas et Will Turner dans le Seigneur des Anneaux et Pirates des Caraïbes, c'est celui de Justin Bieber qui enflamme le web. Plusieurs commentateurs people voient d'ailleurs une guerre personnel entre les deux hommes, à base de photo de nue et sur fond de jalousie amoureuse.

Christophe Colera

Christophe Colera

Christophe Colera est sociologue et anthropologue.

Il a écrit La nudité pratiques et significations, éditions du Cygnes 2008 et Les tubes des années 1980 (Cygnes, 2013)

Voir la bio »
Nathalie Nadaud-Albertini

Nathalie Nadaud-Albertini

Nathalie Nadaud-Albertini est docteure en sociologie de l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS) et et actuellement chercheuse invitée permanente au CREM de l'université de Lorraine.

 

Voir la bio »

Atlantico : Trois jours après les photos sulfureuses d'Orlando Bloom en Italie, c'était au tour de Justin Bieber de dévoiler des photos de lui dans le plus simple appareil. Les deux hommes sont en conflit depuis que l'acteur britannique s'est "rapproché" de l'ex-petite amie du chanteur américain. Ces photos, qu'il s'agisse du premier ou du deuxième, ont rapidement fait le tour du web. Comment expliquer que les gens, et pas uniquement ceux qui s'intéressent d'une manière générale aux "people" soient à ce point fasciné par cette compétition entre les deux hommes à travers leurs pénis ? Nos cerveaux reptiliens peuvent-ils y jouer pour quelque chose, ou s'agit-il davantage de voyeurisme ?

Christophe Coléra : Tout d'abord on ne se situe pas dans une compétition en bonne et due forme parce qu'il semble qu'il n'est pas certain qu'Orlando Bloom se soit volontairement exposé au paparazzi et son sexe a été en partie couvert d'un cadre noir. Mais la réaction de Bieber fait penser en effet à une sorte de surenchère, comme lorsque les primates se défient mutuellement en agitant leur sexe. C'est un mécanisme très ancien chez les grands singes, donc chez les hominidés aussi probablement. Nos sociétés à l'heure du triomphe de l'image sur le mot adorent les émotions brutes et ce qui est "nature". L'idée d'un "combat de coq", nudité contre nudité, pénis contre pénis, peut susciter en effet un sorte de défoulement de la psyché, dans l'ordre de la régression infantile ou préhistorique, toujours dans l'esprit de fuir le politiquement correct et les discours trop "policés"... 

Nathalie Nadaud-Albertini : Les gens s’intéressent à cette compétition parce qu’elle transgresse le tabou de la nudité et de fait entre dans le cadre des excès que l’on attend de stars. Je m’explique. Les gens "normaux", "ordinaires" ont du mal à imaginer ce qu’est le quotidien d’une star parce que sa vie leur semble très éloignée de la leur. Finalement, ils se disent que l’existence d’une vedette se déroule en grand, en multipliant tout, y compris les comportements déviants. Ces derniers sont même attendus, parce qu’on considère qu’ils certifient le statut "hors du commun" de la star qui peut se permettre ce qui est interdit au commun des mortels. Les gens aiment voir ces excès s’étaler dans les colonnes des journaux et sur le web parce que, d’un côté, ils apprécient que quelqu’un transgresse les interdits pour eux, et d’un autre, ils regardent ces transgressions comme une expression de décadence qu’ils aiment fustiger ou moquer. Une façon de se dire : "ils ont beau être des stars, ils ne valent pas mieux que nous".

Mais, juste après s’être adonné au plaisir de critiquer les excès des stars, les gens aiment aussi les regarder avec une certaine bienveillance, comme des enfants terribles pour qui on a de l’affection.

Donc, d’un côté, on aime pointer du doigt ces excès, et de l’autre, on aime aussi y voir une fenêtre qui ouvre sur le monde de la vedette et qui permet de la comprendre. Un peu comme si la star devenait plus intelligible parce qu’elle emploie une grammaire d’une commune humanité que tout être humain maîtrise.

Quel est le sens de la nudité aujourd'hui, comment analyser le rapport des sociétés occidentales au nu, dans un monde que l'on dit historiquement impudique ?

Christophe Coléra : C'est un nouveau moyen d'expression, un signe d'authenticité, de liberté, de vérité. D'où l'usage massif qui en a été fait dans diverses manifestations politiques (pacifistes, écolo etc) des années 2000. D'où aussi le regain de succès du naturisme chez les jeunes en ce moment, et la file d'attente devant le restaurant "naturiste" indien de Londres  qui est sur le point semble-t-il d'avoir son pendant à Paris...

Nathalie Nadaud-Albertini : L’exposition de la nudité se situe dans une longue histoire de la transgression d’un rapport honteux au corps. Des tableaux comme l’Olympia de Manet ou L’Origine du Monde de Courbet ont fait scandale parce qu’ils montraient la nudité selon un prisme réaliste à une époque où seuls les nus appartenant à un espace exotique, mythologique, onirique ou à un autre temps étaient autorisés. Il fallait que le nu soit idéalisé. En aucun cas, on ne pouvait représenter la nudité sous un prisme réaliste, comme l’on fait ces deux peintres.

De plus, il fallait représenter les nudités féminines comme ayant été surprises et non pas comme des femmes se montrant volontairement nues en portant directement le regard vers le spectateur, comme le fait l’Olympia de Manet.

Finalement, qu’est-ce que cela nous dit du rapport à la nudité dans nos sociétés occidentales ? Que c’est une question de regard. On acceptait de voir la nudité idéalisée mais pas de la regarder en face. C’est la même chose de nos jours. On a du mal à concevoir que l’être humain est son esprit autant qu’il est son corps. Qu’est-ce qui fait que l’on accepte aujourd’hui de regarder L’Origine du Monde ou Olympia ? Parce qu’on les a transportés dans un nouvel espace idéalisé : l’espace artistique. Je me souviens d’un fait qui le montre très bien. Il y a quelques années, en 2011 si ma mémoire est bonne, un professeur des écoles a mis en ligne sur son Facebook un lien sur un documentaire d’Arte portant sur L’Origine du Monde accompagné d’une photo du tableau. Le robot de Facebook qui scanne automatiquement les images l’a identifié comme de la pornographie et a supprimé le compte. Cela montre bien qu’on accepte de regarder une image de nu uniquement quand on s’y sent autorisé par le prisme artistique.

Des images comme celles de Justin Bieber et d’Orlando Bloom relèvent d’une exposition volontaire de la nudité sans le filtre de l’art qui n’est pas considérée comme totalement acceptable par notre appareillage culturel et moral judéo-chrétien. C’est justement parce qu’on titille une norme qu’il y a un intérêt aussi fort pour ces images et une polémique.

Selon une enquête Google France publiée dans le JDD, les photos d'Orlando Bloom avaient affolées les compteurs. La nudité peut-elle apparaître comme un moyen pour les stars pour être désirable ? Est-ce que cela a toujours été le cas pour les hommes ? 

Christophe Coléra : La nudité masculine était traditionnellement perçue comme une menace (la nudité du guerrier notamment), et les femmes romaines devaient baisser pudiquement les yeux devant les statues de Priape. Au XXe siècle Freud affirmait que tous les organes génitaux étaient laids, et il semble que ce soit surtout la pornographie qui à partir des années 1990 ait vraiment valorisé la nudité du pénis de gros calibre(au point que le rallongement du pénis soit devenu une spécialité de la chirurgie esthétique). Il restait une ambiguïté sur le degré de réceptivité des  femmes, qui, il est vrai consomment de plus en plus de films X. Au début des années 2000, aussi bien ma propre étude sur les publicités avec des hommes nus que celle de Beth Eck de James Madison university (USA) montraient une certaine froideur des femmes devant la nudité masculine. Selon la sociologue californienne Georgia Platts qui a soumis à des femmes cette année les mêmes photos que Beth Eck, les lignes bougent un peu, mais l'enthousiasme féminin pour les corps masculins nus reste moins intense que celui des hommes pour les fesses des filles.Et une petite video d'un certain Davey Wavey qui a été notamment commentée par le Huffington Post  montre que les femmes saturent vite devant des photos de sexes en érection. L'homme se rend probablement de plus en plus désirable par son pénis comme par la nudité de ses fesses et de ses pectoraux, mais l'esprit féminin semblait tarder à l'avouer. Les statistiques de Google paraissent révéler le "non-dit" du désir féminin à ce sujet, mais le chiffre élevé est peut-être dû au carré noir qui cachait le sexe. Un petit effet de curiosité ludique aurait stimulé le clic de la gent féminine hétéro (et peut être de beaucoup d'hommes aussi) sans qu'il s'agisse d'un véritable désir de type masturbatoire. En tout cas, voilà qui est embarrassant pour les féministes. Comme l'a noté une journaliste britannique dans The Independentles femmes sont censées traiter les hommes comme elles voudraient qu'on les traite. C'est au nom de cette parfaite symétrie théorique qu'elles revendiquent le droit de marcher torse nu dans la rue sans être regardées avec insistance. Or si elles multiplient les pics pour voir le pénis d'une star nue, elles ne peuvent plus ensuite condamner le voyeurisme symétriques des hommes hétéros à l'égard des femmes...

Nathalie Nadaud-Albertini : C’est avant tout une façon de faire le buzz. On sait qu’à chaque fois qu’une star se montre nue, la toile s’enflamme. Vedettes et peoples en jouent abondamment. A titre d’exemple, souvenez-vous de Kim Kardashian et sa bouteille de champagne en couverture de Paper en novembre 2014. Les images ont été très commentées et très relayées, y compris par des parodies. Leur résonance dans l'espace public a été forte. 

La période actuelle est particulièrement propice pour ce genre de buzz. C’est l’été, le temps de la plage, de la détente, des sujets légers. C’est donc bien pensé en terme de communication de de se livrer à la "guerre des sexes" en ce moment. Les gens ont plus le temps de se livrer à des spéculations et des polémiques sur le sujet. Etre stars, c’est aussi savoir faire parler de soi au moment opportun.

Mais, vous avez raison, ces clichés amènent aussi à se poser la question du rapport au corps masculin. La notion de beau en matière de nudité masculine est relativement récente. Longtemps, on a considéré que seule la nudité féminine pouvait être regardée comme un objet de désir. On disait volontiers qu’un homme nu n’était pas beau, voire qu’il était ridicule. Si on prend Le Déjeuner sur l’herbe, un autre tableau de Manet, on voit que c’est la femme au premier plan qui est nue, pas les hommes. Aujourd’hui, le regard a changé. On accepte de placer le corps masculin dans l’espace public et de le voir comme quelque chose de beau, de désirable. Dans le cas d’Orlando Bloom et de Justin Bieber, on expose aux regards des corps masculins qui correspondent aux normes de la beauté contemporaines (jeunes et musclés).

Dans ce changement, certains verront une avancée, soit en termes de libération du rapport honteux au corps, soit en termes d’avancées féministes. D’autres y verront un triomphe de l’exhibitionnisme et du voyeurisme qui conquiert toujours plus d’espace. Au choix. La question renverra chacun à ses propres catégories de pensée. 

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !