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Une nouvelle chaîne publique d’info : mais  pourquoi donc réinventer la roue ?
©Reuters

Du neuf à la télé

Depuis la création d’Envoyé spécial, il y a un quart de siècle, la créativité s’est essoufflée. Pour s’informer, les citoyens se détournent de la télévision, lui préférant de plus en plus Internet et les réseaux sociaux.

Joëlle Garriaud-Maylam

Joëlle Garriaud-Maylam

Sénatrice des Français établis hors de France, Joëlle Garriaud-Maylam est également secrétaire de la Commission des Affaires étrangères et de la Défense et vice-présidente de la Délégation aux Droits des Femmes et à l'égalité des chances entre femmes et hommes.

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Une nouvelle chaîne pour "préserver la liberté de penser", face à d’autres qui "manipuleraient l'opinion publique"… De qui sont ces propos ? Un membre des Anonymous ? Un conspirationniste ? Non, ils auraient été prononcés par la Présidente de France Télévisions  elle-même ! Si tel est le cas, la critique sous-jacente de Delphine Ermotte pour ses propres chaînes est sans appel. Dès lors, l’urgence ne serait-elle pas de faire en sorte que les chaînes existantes de service public remplissent mieux leur mission, plutôt que de créer un énième canal ?

Le diagnostic de départ est juste : oui, l’audiovisuel public français est à la traîne en termes de mode de diffusion d’informations et de pertinence du contenu éditorial. Il y a aujourd’hui peu de différences entre le journal télévisé des chaînes publiques et celui de leurs homologues privés. Quant aux émissions publiques traitant de l’actualité, elles peinent elles aussi à imprimer leur marque. Depuis la création d’Envoyé spécial, il y a un quart de siècle, la créativité s’est essoufflée. Le mimétisme avec les chaînes privées domine jusque dans la mise en spectacle et la pipolisation de l’information, là où la profondeur d’analyse, le décryptage et la pédagogie devraient être la règle. Pour s’informer, les citoyens se détournent de la télévision, lui préférant de plus en plus Internet et les réseaux sociaux.

Une fois ce diagnostic posé, les préconisations divergent. La création d’une nouvelle chaîne publique d’information apparaît comme une fuite en avant, une volonté de faire table rase de l’existant pour tenter de faire exister "autre chose". Mais faire fonctionner un média a des implications budgétaires fortes. Rapporteur budgétaire pour l’audiovisuel extérieur au sein de la commission des affaires étrangères et de la Défense au Sénat, j’observe depuis plusieurs années les difficultés de France 24 et TV5 Monde à se développer, voire même à joindre les deux bouts. Les contraintes financières et la diminution des recettes publicitaires, partagées entre un nombre croissant d’acteurs constituent un considérable frein à leur développement. Tout un potentiel d’influence internationale est ainsi gâché. Une chaîne dotée d’un budget famélique ne fera jamais de miracle. A objectifs ambitieux il faut des moyens à la hauteur.

Si nous devons débloquer des fonds pour améliorer l’accès de nos concitoyens à des informations de qualité, la priorité doit-elle être de créer un nouveau véhicule ou d’utiliser les chaînes existantes en musclant et modernisant leurs modes de communication sur la forme comme sur le fond ? Delphine Ernotte estime qu’une chaîne publique est nécessaire face à BFM TV, iTélé et LCI. Peut-être. Mais plusieurs chaînes d’information françaises publiques ou quasi-publiques existent déjà : TV5 Monde, Arte, LCP, Public Sénat… et surtout France 24, chaîne d’information en continu, qui a du mal à se développer faute d’un budget suffisant, et ce alors même qu’une télévision russe en français - RT - déjà conventionnée par le CSA,  devrait commencer sa diffusion en France en  mai ou juin prochain, la concurrençant ainsi directement.

Une de mes missions les plus importantes en tant que parlementaire est de veiller à la bonne utilisation de l’argent public. J’estime donc qu’il serait plus utile de mieux investir dans des médias qui, outre la qualité unanimement reconnue de leurs productions, ont une dimension internationale qui fait trop souvent défaut au paysage audiovisuel français  plutôt que de créer quasiment ex-nihilo, une nouvelle chaîne qui  ne ferait que les concurrencer en divisant un peu plus les ressources et en obérant donc leur avenir.

Positionner une nouvelle chaîne d’information en rivale des chaînes d’information continue privées me semble aussi une erreur stratégique. Pour concurrencer des chaînes privées, le service public doit miser sur l’intelligence, la curiosité et le désir d’apprendre des téléspectateurs, pas s’aligner par le bas en enchainant ad nauseam des lambeaux d’information prédigérés  et en nourrissant certaines tendances au voyeurisme. Les difficultés rencontrées par LCI démontrent que ce n’est pas la multiplication des chaînes qu’il faut rechercher, mais plutôt une vraie montée en gamme. Une meilleure ouverture sur le monde, indispensable à l’heure où le nombrilisme hexagonal  s’exacerbe, pourrait également y contribuer.

Plutôt que de se positionner sur un créneau déjà occupé par France 24, travaillons plutôt à renforcer les synergies entre notre audiovisuel extérieur et la télévision publique hexagonale, et donnons les moyens à France 24 d’une véritable diffusion sur l’ensemble notre territoire, si possible aussi en anglais et en arabe, via la TNT gratuite. Cela aurait non seulement le mérite d’ouvrir nos compatriotes à l’international, en leur offrant des angles de décryptage originaux, cela permettrait aussi de renforcer la dynamique de notre audiovisuel extérieur, outil essentiel de rayonnement mais qui peine dans un environnement mondial  de plus en plus concurrentiel. Cela diversifierait enfin l’offre d’information en langue arabe aujourd’hui monopolisée par des chaînes étrangères aux messages incontrôlables et parfois ambigus.

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