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Le marketing a-t-il déjà tué la créativité des jeux vidéos ?
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Game not over

Créateur historique de jeux vidéo, Philippe Ulrich revient sur la sortie cette semaine de Star Wars The Old Republic et l'évolution des jeux depuis les années 1980. Entre excitation pour les possibilités offertes par les nouvelles technologies et regret de voir les créateurs disparaître au profit du marketing...

Philippe Ulrich

Philippe Ulrich

Philippe Ulrich est l'un des personnages historiques du jeu vidéo en France.

Il a participé notamment à la création des sociétés de développement de jeux vidéo Ere Informatique et Cryo Interactive. On lui doit ainsi des jeux tels que Crafton & Xunk, L'Arche du Capitain Blood ou Dune.

Désormais reconverti dans la musique, il fut notamment le producteur du disque Chambre avec vue d'Henri Salvador.

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Atlantico : Le jeu Star Wars The Old Republic est sorti cette semaine. Son budget est estimé entre 90 et 180 millions de dollars. Pour être rentable il devra compter 500 000 joueurs, voire un million. De tels enjeux inhibent-ils la créativité des concepteurs de jeux ou la stimulent elle ?

Philippe Ulrich : Cela dépend quel projet on développe. Quand c’est le projet d’un jeu comme Star Wars c’est gigantesque : il faut respecter la licence, les ayants-droit, les égos de chacun… En outre il y a un enjeu considérable – et donc une énorme pression sur les équipes - parce qu’il faut que le jeu soit rentable.

Ici, nous sommes dans le dématérialisé à 100%, puisque nous sommes sur Internet, dans le dématérialisé à 100%. C’est plus intéressant. On se trouve à la croisée du monde des réseaux sociaux et les jeux un peu plus anciens sur télé ou DVD. Le principe est un système d’abonnement.

Il s’agit d’un nouveau modèle de business : en fonction des désidératas des joueurs, on fera évoluer le jeu très rapidement pour arriver à la masse critique de joueurs satisfaits.  

Ce sont donc les joueurs qui décident de la créativité du jeu ?

Exactement ; c’est le marketing moderne. On demande au joueur ou est-ce qu’il veut aller et on l’y amène. Alors qu’autrefois, il y avait un type assez génial qui disait : « je vais vous amener dans un endroit où vous n’aurez jamais imaginé aller, et que vous allez adorer. »

Je ne vais pas critiquer Star Wars parce que c’est un univers que j’adore, il est génial, mais ce que l’on peut regretter c’est que dans toutes ces monstrueuses productions, on ne donne pas les clés à un petit génie. Heureusement, il reste encore quelques « grands noms » comme Eric Chahi ou Michel Ancel. En fait, il n’y a pas de reconnaissance juridique d’un auteur de jeu vidéo parce que l’on considère que c’est une œuvre collective. C’est un peu problématique.  

On peut faire une analogie entre votre propos et l’univers du cinéma où les « faiseurs » d’Hollywood cohabitent avec les « auteurs » européens…

Disons qu’on rêve tous d’une nouvelle vague de jeunes créateurs qui arrivent avec des jeux révolutionnaires. C’est venu par exemple de la Suède avec Minecraft, un jeu original, mais avec des graphiques anciens, lancé il y a deux ans. Tout le monde a applaudi des deux mains parce que c’était extraordinaire de voir quelqu’un développer un jeu sur Internet et que quelque temps après, il y ait plus de joueurs dans son jeu que d’habitants en Suède…

En parallèle, des sociétés comme Zynga développent des jeux sur Facebook, avec des micro paiements. Seuls 5 à 10% des joueurs paient, mais quand vous en avez des dizaines de millions mensuels, les revenus sont extraordinaires. Il ne faut alors pas s’étonner de voir Zynga valorisé en bourse à 20 milliards de dollars !

Aujourd’hui, les jeux sur Facebook représentent 30% du marché des jeux vidéo.

Les jeux vidéo d’aujourd’hui, à cause des sommes importantes engagées, ne sont-ils pas moins divers que par le passé, dans les années 1980, par exemple ?

C’est exact. On fait des copié-collés de jeux dont on connait le potentiel commercial. Mais un phénomène nouveau arrive : plein de petites équipes, ou de petites sociétés, émergent ces derniers temps. C'est révolutionnaire. Cela fait longtemps que j’attendais cela. C’est le retour des petits jeux basés sur les tests de collisions. Je pense par exemple, à des jeux comme Angry Birds. Ce phénomène correspond à une sorte de nostalgie pour les jeux anciens.

Dans l’univers des jeux vidéo, on subit les choses. C’st la technologie qui décide : Apple a été surpris par le succès des iphones ou ipads en matière de jeux vidéo. Ce n’était pas prévu pour ça, à l’origine. Même chose pour Facebook : ce réseau social offre d’énormes possibilités pour les jeux.

Finalement, les grosses licences de jeux vidéo cohabitent avec les petits jeux créatifs. J’avoue que je reste dubitatif vis-à-vis de la création et de la créativité dans les jeux d’aujourd’hui. Pourquoi ? Sans doute parce que je viens d’une époque – les années 1980 – où l’on inventait en permanence. Je voudrais rentrer davantage dans des expériences ludiques plus fortes. Il y a trop de marketing dans les jeux vidéo d’aujourd’hui. Il faudrait que des créateurs qui s’embarquent dans ce média formidable.

Vous savez, nous, les créateurs de jeux vidéo, nous avons connu des moments difficiles. Je me souviens quand un jour Toscan du Plantier m’avait tapé sur l’épaule en me disant « Monsieur, vous faites partie des fossoyeurs du cinéma ». Il disait cela méchamment. Au final, le cinéma se porte toujours bien.

Autrefois, il y avait des geeks un peu fous qui construisaient des machines incroyables. J’en ai connu, on les embauchait immédiatement. Mais désormais tout le monde est devenu geek, donc plus personne n’est geek ! Les geeks sont désormais en costard-cravates. C’est dommage. On a moins de folie dans les jeux vidéo. J’attends une révolution.

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