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A quoi ressemblera un monde où Google, Facebook et Amazon décideront de tout ce que nous savons ou consommons sans même que nous en soyons conscients ?
©Reuters

United States of Google

Les moyens dont disposent ces grandes plateformes les incitent à se comporter comme des Etats et à gouverner nos conduites. Le monde qu'elles dessinent montre déjà le bout de son nez et il pourrait bien être en train de tous nous piéger.

Jean-Gabriel Ganascia

Jean-Gabriel Ganascia

Jean-Gabriel Ganascia est professeur à l'université Pierre et Marie Curie (Paris VI) où il enseigne principalement l'informatique, l'intelligence artificielle et les sciences cognitives. Il poursuit des recherches au sein du LIP6, dans le thème APA du pôle IA où il anime l'équipe ACASA .
 

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Christophe Benavent

Christophe Benavent

Professeur à Paris Ouest, Christophe Benavent enseigne la stratégie et le marketing. Il dirige le Master Marketing opérationnel international.

Il est directeur du pôle digital de l'ObSoCo.

Il dirige l'Ecole doctorale Economie, Organisation et Société de Nanterre, ainsi que le Master Management des organisations et des politiques publiques.

 

Le dernier ouvrage de Christophe Benavent, Plateformes - Sites collaboratifs, marketplaces, réseaux sociaux : comment ils influencent nos Choix, est paru en mai  2016 (FYP editions). 

 
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Atlantico: Alors que Google est depuis longtemps déjà une plateforme de contenu d'information, Facebook est désormais un hébergeur d'articles de presse. Quel pouvoir cela leur confère-t-il en matière de contrôle de l'accès à l'information ? 

Jean-Gabriel Ganascia : Les grandes sociétés de l’internet, celles que l’on appelle les GAFA, sigle qui se réfère à Google, Amazon, Facebook et Apple, jouent un rôle de plus en plus grand dans nos vies quotidiennes. Nous nous sentons de plus en plus souvent obligés de passer par elles si nous voulons un téléphone portable, si nous souhaitons chercher une information sur Internet, si vous voulons échanger avec nos amis sur Internet, si nous cherchons à stocker nos données etc. Ces sociétés correspondent à ce que Jaron Lanier, dans son livre Who Owns the Future ? (Qui possède le futur ?), appelle des Siren Servers par allusion aux sirènes d’Ulysse : elles chantent les plaisirs et les facilités de ce qu’elles offrent ; comment leur résister lorsque ce qu’elles proposent est accessible sans effort ? Mais, si elles nous séduisent, c’est pour mieux nous asservir plus tard. Elles anticipent nos désirs à court terme pour nous rendre esclave de leurs services.

Pourtant, elle ne décident pas de tout comme le faisaient les Etats totalitaires dans les années 1930, en cela qu’elles sont éminemment fragiles. En effet, nous pouvons du jour au lendemain, sans avertir personne, décider de changer de moteur de recherche pour formuler nos requêtes, de changer de marque de téléphone,  de changer de réseau social, etc.

Christophe Benavent :  Facebook et Apple censurent déjà la nudité et impose donc une norme qui n'est pas sociale, ni idéologique mais qui impose une valeur sur ce qu'on pense être l'espace social : un espace pudibond. Leur règle, par l'étendue de l'espace social qu'ils couvrent, s'impose sans accord ni discussion. Et modèle ce a quoi nous nous exposons. Ces deux marques pratiquent dès aujourd'hui ce que j'appelle une sorte de "wahhabisme digital". En clair, les moyens dont disposent les plateformes les incitent à se comporter comme des Etats et à gouverner nos conduites.

Depuis plusieurs années déjà, on observe un changement notable dans notre façon de consommer et de nous informer. A l'avenir, quels autres secteurs de notre société pourraient être concernés ?

Jean-Gabriel Ganascia :La GAFA propose de remplir la plupart des fonctions qu’assumaient les Etats, ce que l’on appelait les fonctions régaliennes, à savoir battre monnaie, établir le cadastre, gérer les archives et l’état-civil, instruire la population, dispenser les soins, etc. En effet, prenons une à une chacune de ces fonctions, nous voyons que les services de ces grandes sociétés de l’Internet peuvent aider à les exécuter à moindre coût. Par exemple, avec le bitcoin, nous avons une monnaie, Google Map dresse les plans indépendamment des services nationaux du cadastre, Facebook en connaît souvent plus sur les individus que l’administration des Etats, Amazon stocke sur le Cloud nos archives, Google investit dans la santé des sommes plus considérables que les organismes de recherche nationaux, etc.

Christophe Benavent : Tous les domaines d'activité sont concernés : la santé, l'emploi, l'alimentation, l'éducation, les transports, nos finances. La logique des plateformes est que pour maximiser la valeur elles doivent influencer nos conduites. Un exemple simple est celui du covoiturage, l'expansion du leader du marché dépend à la fois du fait d'avoir beaucoup de conducteurs et de celui d'avoir de bons conducteur. En étant capable d'inciter ses membres à rouler cool, il s'assure de l'intérêt des passagers. Cette incitation risque de faire de cette marque un acteur plus influant que la sécurité routière !

En quoi les évolutions suscitées par ces entreprises vont-elles nous être utiles ? Quels seront les bénéfices pour notre mode de vie ?

Jean-Gabriel Ganascia : Ces entreprises nous proposent les services dont nous avons besoin à moindre coût, ou en tout cas, pour un coût plus faible que d’autres nous le proposaient auparavant. Il apparaît donc extrêmement difficile de résister à leurs avances. En cela elles nous sont très utiles. Mais, ce qu’elles nous offrent possède en réalité un coût invisible. Nous sommes piégés. Avec le temps, il devient plus difficile de nous dégager. De plus, elles ne permettent pas à des sociétés de plus faible envergure, par exemple aux sociétés nationales ou européennes de subsister. Songeons, par exemple, qu’Androïd va bientôt proposer des décodeurs domestiques. Nous n’aurons alors plus besoin de passer par les opérateurs téléphoniques. D’un côté, nous serons satisfaits, car cela se fera à moindre coût. D’un autre côté, nous risquons d’être totalement asservi par quelques grandes sociétés de dimension mondiale qui nous proposerons tous les services, le téléphone, l’internet, les moteurs de recherche etc., sans vraiment d’alternative.

Le volume des données personnelles détenues par ces entreprises augmente sans cesse. De plus en plus de voix s'élèvent dans le monde pour dénoncer une menace sur la vie privée et sur les libertés publiques. 

Jean-Gabriel Ganascia :La clef de voute de l’édifice de l’économie contemporaine repose sur l’exploitation de grandes masses de données, les Big Data. En effet, c’est cela qui permet d’anticiper les désirs individuels et de proposer, à chacun, ce qui lui plaît. Nous vivons dans une économie de l’abondance. Nous sommes perdus dans l’océan des sollicitations. Nous faisons face à ce que certains appellent une crise du choix. Ces sociétés ayant à leur disposition toutes les informations sur nos choix passés (avec nos achats sur internet), sur nos mouvements (avec les traces laissées par nos téléphones portables), sur nos interrogations (avec nos requêtes sur les moteurs de recherche), sur nos amis (avec nos profils sur les réseaux sociaux) en déduisent énormément de choses sur nous et utilisent ces choses pour nous séduire. Cela constitue indubitablement une menace pour notre vie privée qui n’est plus et ne peut plus être respectée, en dépit des apparentes précautions que nous prenons. Ceci étant, les risques ne sont pas là où beaucoup le voient. Ces sociétés ne sont pas des Etats totalitaires, même si elles peuvent répondre aux injonctions des Etats, pour des raisons de sécurité publique. Elles ne souhaitent pas nous imposer un mode de vie uniforme. En revanche, elles risquent de dominer le monde et de supprimer les rôles des Etats-nations tels qu’ils existent en Europe. Il y a indubitablement un risque politique, mais pour le comprendre il ne faut pas garder les yeux dans le rétroviseur, et craindre le monde d’Orwell, de Staline ou de Mussolini. C’est une société bien différente qui se dessine. Le risque, c’est d’être réduit à l’état de consommateur et de ne plus être des citoyens. Nous devons regarder devant nous pour le voir et comprendre ce qui se profile !

Christophe Benavent : Votre remarque revêt deux aspects. Le premier est de savoir si le fait de posséder beaucoup de données sur les personnes permet de mieux les contrôler. Sans doute, mais pour le faire il faut des théories du comportement humain. Et ces entreprises ne les ont pas. La science sociale est fragile et enregistrer les données ne suffit pas à connaître. Les GAFA sont aveuglés. Ils ont toutes les données mais ne connaissent rien.

Le deuxième aspect est de savoir si ces entreprises veulent nous contrôler. Et clairement elles s'en moquent, nous pouvons être tout ce que nous voulons, c'est notre affaire. Ce qui leur importe c'est que nos conduites créent de la valeur. Facebook se moque de nos opinions, ce qui compte c'est que nous partagions le contenu des marques qui payent Facebook, tant que nous le faisions sans nudité...Quant au risque de dénonciation il est déjà existant et de droit. Ces plateformes peuvent facilement être des auxiliaires de police en plus de la police qu'elles imposent.

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