Course au futur supersonique : mais où est passée la France ?

Atlantico : Existe-il, aujourd'hui encore, des projets sur l'aviation supersonique en France ?

Michel Thorigny : La recherche n'est jamais totalement éteinte, que ce soit au Japon ou en France. Et de temps en temps, certains font parler d'eux grâce à une trouvaille sur le sujet, car quand on cherche comme ça, on trouve forcément. Surtout si des financements sont obtenus. En tout état de cause, il y une veine qui peut être exploitée, et donc de la recherche.

Quels sont les problèmes liés à un tel projet ?

Pour les Américains, cela fait partie de leurs programmes de développement et d'études. Ils travaillent sur des problèmes qui s'appliquent autant aux Etats-Unis qu'à la France pour l'aviation supersonique, des freins qui entaillent l'optimisme lié à un projet du genre. On peut prendre l'exemple de la consommation. Aujourd'hui, on veut un avion qui consomme peu à basse vitesse et peu à haute vitesse. Le Concorde était un avion dont la consommation de carburant était optimale à haute altitude et à haute vitesse, mais dès l'instant où il était en phase de décollage ou d'atterrissage, il augmentait très largement sa consommation. Voilà déjà un premier frein.

Viens ensuite le problème de l'environnement. En effet, on ne connaît pas les normes environnementales qui seront imposées dans 10 ans et dans la mesure où il faut au moins dix ans pour la fabrication d'un avion, peut-être même plus dans le cas d'un supersonique, les chercheurs sont face à un cahier des charges inconnu.

Il y a également le problème du "bang" supersonique, à savoir que le passage du mur du son est un phénomène dynamique, et qu'une onde de choc se projette sur le sol et peut avoir des conséquences relativement dangereuses. Je pense aux carreaux cassés sur toute une zone lorsqu'un avion passe le mur du son. On n'a pas encore réussi à maîtriser ou minoriser ce phénomène, et c'est précisément le but des recherches en cours aux Etats-Unis. De plus, le "bang" supersonique est encore plus problématique aujourd'hui pour la France car, à l'époque du Concorde, l'avion avait été conçu pour relier l'Ancien et le Nouveau Monde. Il passait donc au-dessus de l'Atlantique et ne dérangeait personne à part les bateaux ou les poissons. Aujourd'hui, en revanche, avec les évolutions commerciales et la mondialisation, les relations et les échanges se font surtout vers l'Asie. Or, si on ne peut pas passer le mur du son au-dessus du continent sans risque de conséquences dangereuses, alors un avion supersonique est totalement inexploitable. Voilà donc quelques éléments qui font qu'il n'y a pas d'euphorie sur l'avenir d'un tel projet.

La France a-t-elle un budget à accorder à l'aviation supersonique ?

Certes, il y a le problème économique aussi. Déjà sur l'investissement, où on n'est pas prêts à faire les efforts qu'ont demandé le Concorde, qui en a demandé autant que pour les missions lunaires. La preuve, c'est que ceux qui ont fait l'un n'ont pas fait l'autre, je pense aux Russes qui ont échoué dans leurs projets d'avion supersonique. Cela demande donc un énorme investissement pour des résultats de marché totalement incertains, vu qu'il faudrait arriver à un prix du billet à 20% au-dessus de celui de la classe affaire normale. Cela fait donc une équation très incertaine à résoudre.

On a récemment vu des images de véhicules supersoniques conceptuels chez Airbus, cela indique-t-il des projets rémanents sur le sujet ?

Inévitablement. Des entreprises comme Airbus ou Boeing sont constamment dans la recherche. En effet, qui peut le plus peut le moins, donc la recherche est toujours, par définition, très pointue. Sachant que plus on vise loin, plus on ramasse d'informations immédiatement applicables. Il y a donc bien des recherches qui ont été faites pour beaucoup de choses, y compris la technologie pour un éventuel successeur au Concorde. Recherches qui ont dès aujourd'hui des applications dans l'aviation civile, ne serait-ce qu'au niveau des réacteurs dont on a baissé drastiquement la consommation, de l'aérodynamique des fuselages, etc. Tout cela, ce sont des petits ajouts et petites corrections  qui se font au fur et à mesure. Après, dire qu'on fait de la recherche spécifiquement dans le but d'un avion commercial supersonique, non. Il n'y a pas d'ambitions industrielles à ce genre de recherches.

Tout cela est-il donc réalisé dans un but de concurrence entre les entreprises ?

Oui et non, c'est en effet pour être sans cesse à la pointe de l'avancée technologique. Mais pour l'instant, quand on regarde les dessins d'Airbus d'avions supersoniques éventuels, on comprend qu'il s'agit juste de recherches et pas d'une réelle course au supersonique. Il s'agit aussi de pousser les limites atteintes, car on sait qu'aujourd'hui la forme des avions est arrivée à un maximum de performances. C’est-à-dire que si on décide de faire des avions plus gros pour emmener plus de passagers, on se rend compte qu'il ne suffit plus de mettre un fuselage et des ailes. C'est pour cela que les sociétés commencent à réfléchir à de nouveaux designs, aux ailes volantes par exemple. Il y a donc des analyses, des tests en souffleries, et c'est ce qui permet de progresser.

Cependant, il n'y a aujourd'hui aucune ambition politique, aucune condition technique et financière, ni même commerciale pour que ce type de type de projet soit concrétisé. Actuellement il s'agit surtout d'envoyer un maximum de personnes, pour le moins cher possible, le plus loin possible.

Aucun avion supersonique commercial n'est-il donc envisagé sur l'horizon français ?

Si un projet d'avion supersonique devait évoluer aujourd'hui, l'option éventuelle serait un avion qu'on pourrait comparer aux jets que l'on trouve au Bourget, comme le Falcon. Des avions qui pourraient emporter entre 10 et 18 passagers, qui n'iraient pas à Mach 2 (deux fois la vitesse du son), qui se contenteraient probablement de faire du Mach 1,5 ou 1,7, et qui seraient destinés à des gens qui ont évidemment un très fort pouvoir d'achat, je vous laisse imaginer lesquels. Il faudrait par la suite s'assurer d'en construire suffisamment pour que cela soit rentable.

Les Américains travaillent également sur un projet de ce type qui s'appelle Aérion, mais cet avion hypothétique serait toujours soumis aux problèmes qui touchent le supersonique. Cela fait des années qu'on en voit des images, cela ne veut pas pour autant dire que le projet est concret.

Au final, on peut dire que rien n'est infaisable, et que ces recherches servent tous les jours à améliorer la sécurité des avions, à améliorer leur consommation, et à améliorer le confort des passagers. Donc, en restant dans cet esprit du supersonique, en visant très haut, on peut arriver très loin.