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"Le nouvel âge des pères" : en quoi ça consiste, un homme ?
©Reuters

Bonnes feuilles

Ecrit à quatre mains par la philosophe Chantal Delsol et le professeur en philosophie Martin Steffens, ce livre explore la crise actuelle de l'identité et de la différence des sexes. Extraits de "Le nouvel âge des pères" aux éditions du Cerf 2/2

Martin Steffens

Martin Steffens

Martin Steffens, professeur de philosophie, enseigne en classes préparatoires à Metz. Il est l'auteur d'ouvrages portant sur Nietzsche, L. Bloy, S. Weil et L. Chestov.

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Tu seras un homme, mon fils ! »

Le poème de Kipling – très beau, au demeurant – s’en est allé. Reste, pour quelques-uns, son envoi : pour le fils, devenir un homme.

Mais sait-on ce que ce fils doit devenir pour être un homme ? En quoi ça consiste, un homme ?

Je voudrais poser franchement la question en ces temps de bouleversements où tout, jusqu’à la différence des sexes, semble se brouiller. En ces temps, aussi, de la démission des pères et de la formidable régression (spirituelle, anthropologique, morale) à laquelle les jeunes hommes, et surtout eux, sont quotidiennement invités. En ces temps, enfin, où les femmes ont accès à la liberté, afin que cet accès soit vécu, de part et d’autre, non comme un rapt mais comme une chance partagée.

En quoi ça consiste, un homme ?

Un homme, d’abord, ça consiste. Être un homme, c’est être un homme : c’est gagner en consistance ce que l’on perd en indétermination.

C’est, peu à peu, devenir réel : davantage capable d’opposer une certaine force au cours dissolvant des choses. Être un homme, c’est donc d’abord cesser d’être autre chose qu’un homme : une ombre qui passe, une feuille morte qui va et qui vient, un être sans consistance.

Un homme, ça doit consister. Le drame le plus grand, pour les femmes et les hommes, serait que l’homme, parce que la femme se lève, ou bien s’arc-boute sur son passé de dominants, ou bien se délite, s’absolve, s’abdique comme homme. Parce que la femme se lève, l’homme nourrit la tentation de se morfondre, tentation de l’immaturité et des mille lâchetés – au lieu d’étreindre cette femme, comme pour lui souhaiter la bienvenue dans ce monde de la liberté. Or pour une telle étreinte, il doit lui- même être debout : il y a là une urgence dont notre civilisation doit prendre la mesure.

Ainsi, avant de se demander à quoi un homme doit donner sa parole, son courage ou sa force, il faut poser comme première condition qu’un homme doit avoir une parole, du courage et de la force – jusqu’à « cette forme si rare de la force » dont parle Céline : « Celle qui est pitoyable [au sens de charitable] aux hommes. » Avant de se demander si un homme est bon citoyen, sujet de droit conscient que sa liberté s’arrête où commence celle des autres sujets- de- droits, il faudra lui souhaiter d’être vraiment un homme.

Qu’un homme renonce à l’affirmation brutale de sa puissance : oui. Qu’il donne son énergie à de nobles causes : évidemment. Mais il doit, pour cela, se posséder comme homme. Si l’on ne possède que pour donner, on ne peut toutefois donner que ce que l’on a. Le prérequis est donc que l’homme, en ces temps douloureux où tonne quelque chose comme une guerre des sexes, n’ait pas honte de sa masculinité.

Oserai- je dire « de sa virilité » ? Car au fond la virilité, au sens précis où l’on entendrait par elle la vertu propre aux hommes, c’est cela : une

vigueur inemployée, un surcroît de vie qui inspirent confiance. Elle est, pour emprunter à Aristote, une « puissance » qui ne sait encore ce dont elle est l’« acte », mais qui se sent assez prête, assez assurée, pour se promettre à plus qu’elle même. La virilité est une assise qu’on devine solide sans l’avoir encore éprouvée. Subjectivement, être viril, c’est sentir qu’on est quelque chose, et non pas plutôt rien : c’est le sentiment intérieur de sa propre consistance. Extérieurement, c’est percevoir ce que pourrait un être, s’il le voulait : c’est savoir intuitivement qu’on peut compter sur lui. La virilité n’est donc pas ce qui « en impose », mais ce sur quoi l’on sent qu’on peut reposer. Et si les femmes, en tant qu’elles sont libérées, sont aussi plus immédiatement exposées aux combats du monde, nous avons aujourd’hui besoin d’une vertu qui, telle la virilité, donne confiance.

On dirait de l’homme viril, comme on le disait jadis de Dieu, qu’il pourvoira : qu’il sera à la hauteur. À la hauteur de quoi ? On ne sait pas encore : du hasard et des circonstances, de tout ce qui fait de l’avenir quelque chose qui n’est pas encore écrit et qui, pour cette raison, requiert qu’on en prenne le risque. La virilité se reconnaît à ceci qu’elle donne, à qui la possède ou à qui l’identifie chez l’autre, le goût de l’avenir, le sens du projet : du saut (pro- jet) dans le vide.

Extraits de "Le nouvel âge des pères" de Chantal Delsol et Martin Steffens, aux éditions du Cerf, 2015

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