Dans la tête de Morten Storm, djihadiste danois et agent double : quand un biker délinquant rencontre Mahomet <!-- --> | Atlantico.fr
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Morten Storm
Morten Storm
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Bonnes feuilles

Délinquant durant son adolescence, le Danois se convertit à l'âge de 21 ans. Tombant dans l'islam radical, il s'engage ensuite aux côtés d'Al-Qaïda au Yémen. Mais déçu, il devient alors agent double pour trois agences dont la CIA. Après cet incroyable parcours, il a décidé d'écrire un livre intitulé "Agent au coeur d'Al-Qaïda" en collaboration avec deux reporters de guerre de CNN, Paul Cruickshank et Tim Lister. (1/2)

Morten Storm

Morten Storm

Délinquant durant sa jeunesse, il se convertit à 21 ans à l'islam puis fuit le Danemark quelques années plus tard pour aller au Yémen. Un temps djihadiste dans les rangs d'Al-Qaïda, il devient ensuite agent double pour la CIA. Alors que sa vie d'espion a pris fin il y a quelques mois, il vient d'écrire "Agent au coeur d'Al-Qaïda" en collaboration de 2 reporters de guerre de CNN, Paul Cruickshank et Tim Lister.
 

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Par un matin inhabituellement ensoleillé, quelques semaines après mon anniversaire, j’allai faire un tour à  la bibliothèque municipale. Je me sentais vidé et j’avais besoin de me retrouver avec moi-même, dans un sanctuaire. La  bibliothèque, un bâtiment bas de béton et de tôle, était près du bord de mer. Ce matin-là, elle offrait un refuge chaleureux, à l’abri de la brise tranchante qui s’infiltrait dans le moindre recoin de Korsør. Je contemplais un bon moment la multitude de vaguelettes et le gigantesque pont du Grand Belt. J’errais parmi les rayonnages, sans faire attention au brouhaha de la section enfants. Je ne m’éloignais jamais des rayons histoire et religions, sujets qui m’avaient toujours fasciné en dépit de ma scolarité catastrophique.

Je n’avais pas la fibre religieuse : j’avais même été renvoyé des cours de catéchisme. Le prêtre avait dit à ma mère que je faisais beaucoup trop de bêtises, même aux yeux de Dieu. En revanche, je croyais en une vie après la mort. J’avais une vague notion de ce qu’était l’islam, par le biais de mes amis d’origine étrangère – palestinienne, iranienne et turque – et j’avais toujours envié la force de leurs familles, leur point d’honneur à partager les dîners au grand complet, les liens qui unissaient chacun de leurs membres malgré la pauvreté et le racisme. Peut-être est-ce pour cela que je m’assis dans un coin avec un livre sur la vie du prophète Mahomet. En l’espace de quelques minutes, j’étais si absorbé par l’histoire que le monde autour de moi s’évapora. L’ouvrage exposait les principes de l’islam et la biographie de son fondateur dans un style simple et attrayant. Le père de Mahomet était mort avant sa naissance. Lorsque sa mère, Amina, avait vu son fils pour la première fois, elle avait entendu une voix : « Le meilleur des hommes est né, appelle-le donc Mahomet. » Elle l’avait envoyé dans le désert afin qu’il apprenne à  ne dépendre que de lui-même, ainsi qu’à maîtriser l’arabe tel qu’il était parlé par les Bédouins.

Amina était morte quand Mahomet avait 7 ans, et il avait été élevé par son grand-père, puis par son oncle. Ce qui m’attira aussitôt dans sa vie fut sa dignité et sa simplicité. Dans sa jeunesse, Mahomet était surnommé Al-Sâdiq (l’Honnête) et Al-Amin (le Juste). Il avait accordé sa liberté à un esclave qui lui avait été offert et l’avait adopté comme son propre fils. J’appris que Mahomet avait été un riche marchand, voyageant dans toute l’Arabie, jusqu’en Syrie. Mais c’était également un homme profondément pieux, qui, dès ses 30 ans, prit l’habitude d’aller méditer dans une grotte du mont Hira, près de La Mecque. Ce fut dans cette grotte que l’archange Gabriel lui apparut et lui dit qu’il était le messager de Dieu3 . « Récite au nom de ton Seigneur qui a créé !/ Il a créé l’homme d’un caillot de sang4 . » Tandis que le soleil déclinait dans le ciel scandinave, j’étais plongé dans des événements qui remontaient au VIIe siècle.

J’imaginais Mahomet en train de se réfugier dans sa grotte, pourchassé par ses ennemis, les Quraychites de La Mecque. On raconte que, par un miracle divin, une araignée avait recouvert de sa toile l’entrée de la grotte et qu’un oiseau avait pondu tout près : les lieux avaient paru abandonnés et n’avaient pas été fouillés. Cet épisode est évoqué dans le Coran : « Lorsque les Incrédules l’expulsèrent, il n’avait pas plus d’un compagnon ; ils étaient deux dans la caverne et il dit à son compagnon : “N’aie nulle crainte, Allah est avec nous5 !” » Je ne remarquai pas le soir tomber. L’histoire de Mahomet était celle d’un homme qui, contre toute attente, avait réussi à propager l’islam face à l’adversité. Celle d’un homme – épaulé par un petit groupe de fidèles – qui était prêt à lutter pour ce en quoi il croyait. Pour reprendre les mots du Coran : « Autorisation de se battre est donnée à ceux qui ont été attaqués, ceux qui ont été lésés injustement – Dieu est puissant à les secourir – et à ceux qui ont été injustement chassés de chez eux pour avoir simplement dit : “Notre Seigneur est Dieu6 .” »

Le fait de se battre pour une cause me plaisait : cela impliquait solidarité et loyauté. Je me figurais la migration de La Mecque à Médine, les batailles livrées en plein désert par Mahomet et ses quelques centaines de fidèles, et son retour triomphal dans la ville sacrée, où il fit preuve de clémence envers les Quraychites en dépit de leurs nombreuses tentatives pour empêcher cette nouvelle religion. Je me trouvais plus de points communs avec Mahomet, qui avait mené des luttes d’homme, qu’avec une vague déité à barbe blanche. En tant que messager d’Allah, son personnage me semblait historiquement plus vraisemblable que celui de Jésus. Il m’était toujours paru ridicule que Dieu ait un fils. J’étais également frappé par le fait que les paroles de Mahomet concernaient chaque aspect de la vie, du mariage aux conflits en passant par les obligations. Les bonnes intentions étaient reconnues et récompensées. Le livre que je lisais citait le Prophète : « Assurément, Allah ne regarde ni vos corps ni vos richesses. Il ne regarde que vos cœurs et vos actes. » C’était là la promesse miséricordieuse et compatissante d’une absolution totale des péchés. Le chemin qui menait à une vie plus harmonieuse.

L’islam pouvait m’aider à contrôler mes instincts et acquérir une certaine maîtrise de moi-même. Je lisais encore lorsqu’un bibliothécaire vint m’informer qu’ils allaient bientôt fermer. J’étais resté assis dans ce coin six heures durant, à  dévorer quelque trois cents pages narrant la vie du Prophète. Dans la rue pavée, le vent glacé me coupa littéralement le souffle. Tout près, la lumière d’un phare tournait sur elle-même. Après tout ce temps passé dans le désert d’Arabie, précipité de révélation divine en révélation divine, je me trouvais quelque peu désorienté, de retour dans cet hiver scandinave. Mais mon esprit et mon âme étaient encore à mille lieues.

Extrait de  "Agent au coeur d'Al-Qaïda", écrit par Morten Storm en collaboration avec Paul Cruickshank et Tim Lister, publié aux éditions Cherche-Midi, 2015.

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