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Photo d'illustration // Hannibal Lecter.
Photo d'illustration // Hannibal Lecter.
©Briancuban.com

Bonnes feuilles

Une exploration philosophique de la méchanceté à travers le temps. Extrait de "La méchanceté", de Adèle Van Reeth et Michaël Foessel, publié chez Plon (2/2).

Michaël Foessel

Michaël Foessel

Michaël Foessel, ancien élève de l'ENS de Fontenay Saint-Cloud, est maître de conférences de philosophie à l'Université de Bourgogne, à l'Institut catholique de Paris, et commentateur d'Emmanuel Kant et de Paul Ricœur. Il est également conseiller de la direction de la revue Esprit. Depuis la rentrée 2013, il enseigne à l'École polytechnique et remplacera Alain Finkielkraut, atteint par la limite d'âge, à la chaire de philosophie à partir de la rentrée 2014.
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Adèle Van Reeth

Adèle Van Reeth

Philosophe spécialiste de de l'ordinaire et de cinéma, Adèle Van Reeth produit et anime les "Nouveaux chemins de la connaissance", l'émission quotidienne de philosophie de France Culture. Elle est également chroniqueuse pour l'émission "Le Cercle" sur Canal Plus Cinéma.

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ADÈLE VAN REETH – Affirmer que la méchanceté est une forme de maladie, c’est présupposer que l’homme n’en est pas responsable et qu’il peut en guérir. Mais si l’on change d’échelle et que l’on se place dans une dimension plus politique, comment agir face à un méchant ? Faut-il l’exclure au nom de sa dangerosité potentielle (qu’il est très difficile d’évaluer) ou l’inclure dans la société et lui faire une place ? Derrière cette question se profile une réflexion d’ordre éthique : faut-il accepter l’homme dans ses faiblesses et sa médiocrité, et donc tolérer ses actes méchants, ou tenter, au nom du bien commun, de le guérir ?

MICHAËL FŒSSEL – Il est vrai que la méchanceté, si l’on entend par là la tendance humaine à déroger aux lois, est aussi un problème politique. La forme de la méchanceté en politique, c’est ce qu’on appellerait la corruption, c’est-à-dire cette tendance qu’ont les individus, dans des sociétés données, à s’excepter eux-mêmes de la loi tout en profitant d’elle. La méchanceté politique prend le plus souvent la figure de l’exception,puisqu’elle désigne une certaine relation à la loi. Le tyran s’excepte de la loi qu’il institue, le corrompu se juge au-dessus des lois. Une loi produit un certain nombre d’obligations dont, en se soustrayant, on profite au carré. Les autres étant toujours, eux, régis par ces obligations, et moi, m’en extrayant, on pourrait dire : j’utilise la loi au détriment de l’universel qu’elle est censée incarner.

AVR – Pensons par exemple à l’affaire Cahuzac qui, en 2013, avait scandalisé les Français : non seulement un ministre, donc un représentant de l’Etat, s’est situé au-dessus de la loi qu’il se doit de faire respecter, mais en tant que ministre du Budget, il était détenteur de plusieurs comptes secrets à l’étranger.

MF – Un ministre censé lutter contre la corruption et qui utilise le savoir qu’il a des systèmes de contrôle pour les détourner, c’est en effet un cas paradigmatique. Ici se pose le problème du sens des institutions, puisque nous sommes en train de réfléchir à la question de savoir comment répondre, sur un plan politique et social, à la corruption des agents. La réponse massive apportée par la philosophie politique, et d’ailleurs par l’histoire politique elle-même, c’est que plutôt que de miser sur la vertu des agents, ou la vertu spontanée des citoyens, il faut mettre en place des institutions qui régulent les actions des individus. Par méchanceté on entend ici, encore une fois, la corruption qui consiste à s’excepter de la loi qui par ailleurs régit la majorité des comportements. On touche à la dimension institutionnelle du mal et il faut avoir à l’esprit deux choses. D’abord, il existe des institutions qui favorisent la méchanceté, cela s’est vérifié dans les régimes totalitaires. Ensuite, et c’est tout le paradoxe politique, la lutte contre la corruption ne peut être qu’institutionnelle. Il s’agit alors de substituer à la liberté de choix des individus, à leur arbitre et à leur arbitraire, un certain nombre de procédures desquelles ils ne peuvent, en aucun cas, s’abstraire, et qui visent à lutter contre la tendance à subordonner l’intérêt collectif à l’intérêt privé.

C’est là que l’affaire devient intéressante. Comme on l’a déjà vu, le statut que l’on confère aux institutions publiques dépend d’une anthropologie fondamentale. Si l’on veut véritablement penser la politique, les liens de pouvoir, y compris les effets de domination, alors il faut faire l’hypothèse que l’homme est méchant. C’est-à-dire dire qu’on ne peut pas se permettre, lorsqu’on veut penser la politique, de sombrer dans une sorte d’angélisme utopique qui consiste à penser que l’homme serait naturellement bon, alors que nous avons en permanence sous les yeux des preuves du contraire par les luttes de faction, par la corruption des sociétés.

Mais il ne s’agit pas d’une perspective machiavélique, au sens péjoratif du terme. Je parlerais plutôt d’une hypothèse heuristique : il faut poser que l’homme est mauvais si l’on veut comprendre la nécessité des institutions. Parce que, si l’homme est mauvais, il n’est pas spontanément légaliste, ni spontanément obéissant à la loi, et donc en même temps qu’on pense la loi, il faut penser les moyens de l’imposer. La justice, c’est à la fois la balance et le glaive.

Extrait de "La méchanceté", de Adèle Van Reeth et Michaël Foessel, publié chez Plon, 2014. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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