Mme Bureau : comment bien gérer l’atout décolleté sans perdre sa crédibilité<!-- --> | Atlantico.fr
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Une femme doit pouvoir porter un décolleté quand elle a envie d’avoir la gorge libre, sans se poser la question de charmer ou non.
Une femme doit pouvoir porter un décolleté quand elle a envie d’avoir la gorge libre, sans se poser la question de charmer ou non.
©Flickr/Victor1558

Pas toutes des Ségolène

Les consignes strictes sur l'habillement que Ségolène Royale imposerait au personnel de son ministère, selon le magazine Le Point, relancent le débat sur l'usage du décolleté en milieu professionnel.

Sophie  Bramly

Sophie Bramly

Sophie Bramly a été photographe et est maintenant productrice de télévision. Elle est aussi créatrice du site secondsexe.com, un portail dédié au plaisir au féminin. Elle a publié avec le Professeur François Olivennes Tout ce que les femmes ont toujours voulu savoir sur le sexe et enfin osé le demander.

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Atlantico : C'est une information du journal Le Point qui a fait grand bruit. Ségolène Royal aurait, au cours de son installation au ministère de l'l'Écologie, exigé que le personnel féminin s'habille d'une tenue décente, avec "interdiction des décolletés". A quelle logique ce genre de réflexion obéit-il ? 

Sophie Bramly : Lorsque les femmes partent d’elles-mêmes du principe que la façon dont elles sont perçues peut être sujet à controverses, elles se placent d’emblée dans un position infantilisée et infantilisante, qui pour moi est de l’ordre du culturel. Elles acceptent qu’il y ait un censeur, et de fait le placent au-dessus d’elles. Cette place de « victime » est le fruit des aléas de l’histoire, on sait comme le désir sexuel féminin a été source de craintes pour les hommes (jusqu’au XVIIIe siècle, on pensait qu’elles avaient une libido beaucoup plus forte et qu’il fallait contrôler cette gourmandise; puis lorsque la masturbation est devenue répréhensible, on les a excisé psychiquement - le clitoris a même disparu des dictionnaires - et la tendance depuis est de penser que au contraire, elles auraient moins de besoins que les hommes, mais dans les deux cas, c’est le désir de l’homme qui est le référant). Se demander si une tenue va avoir ou  non un effet sur un homme est dans les deux cas de figure se soumettre à son autorité. A contrario, personne ne juge que, par exemple, l’actuelle publicité de Saint-Laurent avec un gros plan sur l’appareil génital masculin bien moulé dans un jean est  inconvenant. Pas plus que les hommes qui se tiennent les jambes écartées dans le métro. L’actuel hashtag des femmes turques pour s’en plaindre ne dit pas « vous nous excitez, rangez ce sexe que nous ne saurions voir », mais « laissez-nous un peu de place pour nous asseoir dans le métro ».

A quelles conditions le décolleté peut-il être un "atout charme", sans qu'il constitue pour autant un handicap en termes de crédibilité ?

Votre « atout charme » me gêne. Une femme doit pouvoir porter un décolleté quand elle a envie d’avoir la gorge libre, sans se poser la question de charmer ou non. Encore une fois, quel homme se dit "je vais mettre un pantalon moulant pour mettre mes attributs en valeur, c’est mieux pour mon boulot ?" Même s’il y a une coquetterie masculine et un besoin de séduire, comme chez les femmes, l’histoire n’indique pas que les hommes s’habillent en cherchant à séduire, mais au contraire en cherchant à prendre du pouvoir. J’en veux pour preuve que tous les vêtements dits ultra-féminins que peuvent porter les femmes de nos jours (robes, bas, corsets, perruques,etc. ) on d’abord été des vêtements d’hommes, qu’ils ont délaissé lorsque les femmes s’en sont emparés. A chaque fois que quelque chose se féminise, les hommes l’abandonnent, comme si le partage les dévirilisait. Bref, ce qui constitue, pour moi, un handicap en terme de crédibilité c’est de se poser la question de l’atout charme …

Quels risques une femme prend-elle en milieu professionnel si elle porte un décolleté très plongeant ? Quelles sont les conséquences pour elle, et celles-ci vous semblent-elles justifiées ?

Pour moi, cela dépend de son état d’esprit. Si une femme craint le regard des hommes, il vaut mieux éviter le décolleté.

Si elle se sent puissante, si elle vit sa sexualité comme une force, elle pourra porter le décolleté qu’elle veut sans conséquence, parce qu’elle dégagera de l'autorité, et que ne faisant pas cas de sa tenue, elle renvoie les autres dans leurs atermoiements, cela devient leur problème et pas le sien. Le problème de la répression en général, c’est qu’il est l’effet de la frustration. Si un individu (peu importe son sexe) juge une femme sur son décolleté et non pas sur sa capacité de travail, c’est qu’il est déficient, et cristallise son besoin sur elle en la dénigrant. Mais ce que cela veut surtout dire, c’est qu’il y a en lui une forme de frustration sexuelle qui s’exprime par la critique. Les hommes et les femmes qui se sentent épanouis sexuellement n’ont jamais besoin de juger la charge érotique ou les pratiques sexuelles des autres. Dans ce cas, je conseillerais à une femme d’être attentive à la frustration de son supérieur hiérarchique avec empathie, je pense que c’est un bon moyen de transformer le rapport.

Peut-on dire qu'en milieu professionnel l'habillement féminin est hautement stratégique ? Quels messages celui-ci (et notamment la forme du décolleté) sert-il à faire passer ?

Oui. Ayant dit tout ce que j’ai dit précédemment, je ne vois pas de paradoxe à dire ici que les femmes savent très bien jouer de leur garde-robe en fonction de leurs besoins professionnels pour prendre le pouvoir ou au contraire jouer à la soumise. D’un inconvénient il faut savoir toujours faire un avantage et les femmes le savent très bien je pense, enfilant ici un pantalon et là une robe avec un décolleté plongeant au gré des situations. Il me semblent que les messages dépendent de l’intention et que le vêtement ne fait qu’accompagner. Une femme peut par exemple utiliser le décolleté pour distraire un homme pendant une négociation (concentré sur le galbe des seins, il relâche son attention professionnelle) et une autre l’utiliser pour maquiller un manque par exemple. On en revient à ce que je disais plus haut, avec un même vêtement elle peut choisir d’être prédateur ou d’être proie, mais dans le cadre professionnel, vouloir sciemment être proie est une autre façon de prendre le pouvoir …

Cette polémique est-elle révélatrice des contraintes sociétales qui pèsent sur l'habillement des femmes ? Qu'est-ce qui vaut aux hommes de ne pas être concernés ?

Oui, bien sûr, c’est révélateur. La femme est tout le temps jugée par rapport à l’homme, puisque c’est lui le référant. Je dirais deux choses, la première c’est que les femmes s’en sont toujours sorties par la ruse. En France elles ont par exemple inventé « les salons » et les bonnes manières, ce qui leur a permis, par exemple, de faire la pluie et le beau temps à la cour. Aujourd’hui encore, je pense qu’elles utilisent encore le handicap d’être jugées sur leurs apparences pour en faire des atouts, en tout cas quand elles sont ambitieuses et ont envies de se battre pour se faire une place dans la société, ou dans leur espace professionnel. La seconde c’est que les hommes aussi sont concernés par les contraintes sociétales que posent le vêtement, mais cela se joue sur le terrain du pouvoir. Un homme en jogging ne dégage pas la même puissance qu’un homme qui porte un costume de luxe, par exemple. Un homme sait tout à fait que s’il veut grimper dans l’entreprise, il y a des tenues vestimentaires qui sont plus favorables que d’autres. Un vêtement mou, par exemple, ne l’aide pas à mettre en valeur son dynamisme. Sa chance par rapport aux femmes, c’est que ce sujet n’est pas discuté, disséqué sur la place publique. Tout au plus les magazines haut de gamme pour hommes livrent-ils quelques astuces, sans porter de jugement …

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