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Cinéma des villes 
contre cinéma des champs
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Quand votre coeur fait Boon

Le film de Dany Boon "Rien à déclarer", comme son ainé " Bienvenu chez les ch’tis", surfe sur le clivage de la société française. Un succès modéré à Paris mais important en province malgré la vétusté de certaines salles.

Denis Parent

Denis Parent

Denis Parent est réalisateur, scénariste et journaliste.

Il tient pour Atlantico la rubrique "Les bras m'en tombent" où il raconte sur un ton très personnel l'actualité de notre époque à travers son quotidien. Passionné de cinéma, il a travaillé pour la presse écrite (magazines Première et Studio), pour la radio (France Inter, Fun radio) et pour la télévision (CinéClassics). Auteur à ses heures perdues de bandes dessinées, il a réalisé plusieurs courts métrage de cinéma et un long intitulé "Rien que du bonheur".

(Photo de Valérie Santarelli)

 

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On me dit que le film de Dany Boon Rien à déclarer qui est un grand succès dit « populaire » a marché très fort en province et modérément à Paris. Ce fait est modérément étonnant.

Un statisticien vous dirait que c’est tendanciel dans l’histoire du cinéma français, un analyste politique au contraire que c'eût été intriguant. Même si l’on a une légitime défiance à l’endroit des statisticiens et des analystes politiques, ce film aurait pu être produit au siècle dernier sans que le scénario en soit réellement affecté. De quoi s’agit-il ? De l’affrontement entre deux fonctionnaires dont la francitude de l’un n’a d’égal que la belgitude de l’autre, vu sous l’angle bien sûr de l’imagerie d’Epinal.

Poelvoorde fait le belge avec le talent que l’on sait et Boon fait le beauf avec l’énergie qu’on lui concède. C’est drôle. Aussi drôle que l’était Bienvenu chez les ch’tis. Je le dis sans ironie mais avec le désarroi d’un homme qui est né et a passé six ans dans les jupes de sa grand-mère à Cambrai.

Rien à déclarer bon an, mal an fera dix million d'entrée avec la holà habituelle de la région Nord-Pas-de-Calais, ce qui est un moindre succès comparé au chiffre historique des « Ch’tis » qui culminent à plus de vingt millions. Ce dernier film est devenu devant La grande vadrouille de Gérard Oury le n°1 du cinéma français toutes époques confondues.

France des villes vs France des champs

Laissons le statisticien à ses pensums et revenons à nos douaniers. Il existe un supposé clivage entre la France des villes et la France des champs. La France profonde, d’en-bas, du terroir, comme on voudra, plébiscite depuis toujours un cinéma identitaire, sorte de diaporama qui, de génération en génération s’enquiert de la pérennité des mythes que sont le calendos, le clocher, la 2CV, le bon sens paysan, les honnêtes gens et les canailles, qui vérifie que les gens du nord sont toujours au nord et ceux du sud toujours au soleil.

La morale est toujours que ce pays brinqueballé à hue et à dia par ses régionalismes, ses accents, sa lutte des classes, ses intellos et ses bourrins s’en tire toujours dans une apothéose de bonheur et de tolérance, de mariage sans enterrements et de réconciliation néo-républicaine au moment du générique de fin. A une époque où la perspective d’annexer, en dépit de leur plein gré, nos amis wallons et francophones dénués de tous gouvernements depuis des lustres, n’est pas totalement une vue de l’esprit, ce film plait parce qu’il est gaulois. Et Boon est l’héritier putatif d’un Marseillais, Fernandel, d’un Normand Bourvil, d’un émigré espagnol né à Courbevoie, de Funès, ce dernier ayant beaucoup lui aussi honoré le képi en incarnant pour l’éternité le gendarme à la française. Pour le cinéphile de passage on rappellera ainsi que, déjà, en 1958 sur le front sud, le gendarme Fernandel tentait d’endiguer les manigances contrebandières de l’italien Toto dans le film de Christian-Jaque La loi c’est la loi.

Mais aujourd’hui la France des provinces se voit plus française que la France des villes. Elle regarde le pays quand le citadin regarde le monde. Elle passe encore son certificat d’études quand l’urbain est en master UCLA. C’est Raffarin contre DSK. Le pot de terre contre le pot de fer. Le rat des villes contre le rat des champs. C’est une vieille lune et comme toutes les lunes elle n’est qu’à moitié vraie.

Cinéma de province : le parent pauvre

Pour moi qui vit en province, dans « la plus proche des iles lointaines » comme on appelle plaisamment la Corse quand on ne la traite pas « d’Ile de beauté », le cinéma en salle est un voyage spatio-temporel. Il n’y a plus à Ajaccio que deux salles où les programmations sont aléatoires et systématiquement en VF. Les horaires sont fantaisistes et les projections calamiteuses quand au son, il fait regretter le cinéma muet. C’est le cas dans un grand nombre de villes de moyenne importance.

Même si l’on ne peut désormais (presque) tout voir en DVD, en streaming, en téléchargeant légalement ou pas, tout le monde sait que le cinéma c’est un grand écran, une salle et des dizaines de gens qui lèvent les yeux sur un faisceau de lumière. Or une grande majorité des gens dans ce pays n’ont plus accès à des salles dignes de ce nom. Peu d’offre, plus de choix. Et donc perte d’habitude, de culture et d’exigence.

Ainsi perdure et triomphe un cinéma d’ancienne facture qui relate une France d’avant-hier qui fait semblant d’être aujourd’hui. Je ne dis pas que c’est mal, je pense que c’est insuffisant. Même s’il se trouvera toujours à La Motte-Beuvron des cinéphiles fous pour montrer Tim Burton, Christopher Nolan ou Pedro Almodovar à leurs grands-mères. Alors en attendant l’enseignement du cinéma dans les lycées, ou d’hypothétiques salles modernes,  les gens de province vont continuer de rigoler dans un cinoche comme il leur arrive de guincher au bal.

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