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Le chauffage dans beaucoup de maisons en France et en Europe dépend du gaz.
Le chauffage dans beaucoup de maisons en France et en Europe dépend du gaz.
©Damien MEYER / AFP

Atlantico Green

Le chauffage domestique représente une part assez importante des émissions de gaz à effet de serre dans la plupart des pays européens.

Damien Ernst

Damien Ernst

Damien Ernst est professeur titulaire à l'Université de Liège et à Télécom Paris. Il dirige des recherches dédiées aux réseaux électriques intelligents. Il intervient régulièrement dans les médias sur les sujets liés à l'énergie.

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Atlantico : Le chauffage domestique représente une part assez importante des émissions de gaz à effet de serre dans la plupart des pays européens. Quels sont les principaux enseignements des données du GIEC sur la part du chauffage domestique dans les émissions de carbone, notamment pour les pays européens et pour la France ?

Damien Ernst : Il y a trois catégories de pays européens concernant le critère du chauffage domestique et son impact sur l’empreinte carbone. Il y a tout d’abord les pays du Sud où il fait un peu plus chaud et donc la charge chauffage est un peu moins importante. La seconde catégorie concerne les pays d’Europe de l’Ouest comme la France, l’Allemagne, les Pays-Bas pour lesquels le chauffage représente 10 à 12 % des émissions de gaz à effet de serre. La troisième catégorie concerne les pays nordiques qui ont beaucoup d'électricité hydraulique décarbonnée et beaucoup de bois. Les pays nordiques ont seulement 3 à 4 % d’émissions de CO2 qui viennent de la charge chauffage. Cela est bien entendu lié au fait qu'ils  utilisent massivement du bois et de l'électricité pour se chauffer. En France, la charge chauffage représente 10 à 12 % de nos émissions de CO2.

Quels seraient les moyens et les solutions pour décarboner le chauffage ?

Il y a deux grandes catégories de solutions. La première vise à transformer l'enveloppe thermique des bâtiments, à isoler les logements. Pour un même niveau de température à l'intérieur du bâtiment, vous avez besoin de moins de chauffage, grâce à l’isolation. Mais cette technique n’est pas une solution miracle. Au bout d’un certain temps, le niveau de consommation redevient élevé. Cela permet d’évoluer dans une maison mieux chauffée. La technique de l'isolation qui est présentée comme une technique magique n'est pas extrêmement efficace pour décarboner la charge chauffage à cause de cet effet de rebond au niveau de la consommation.

Les autres solutions alternatives nécessitent d’avoir un apport en chaleur qui est décarboné. Cela peut passer par le fait de changer les chaudières au gaz, au fioul ou au charbon par un chauffage électrique direct, pour autant que l'électricité soit décarbonée, ce qui est quand même en grande partie le cas en France grâce à la flotte nucléaire. Ou bien, une solution encore meilleure consiste à installer des pompes à chaleur. Ces pompes à chaleur sont des chauffages électriques mais, contrairement au chauffage électrique direct, pour une calorie électrique, la pompe à chaleur va générer 3 à 4 calories thermiques. Cela s’apparente donc à un chauffage électrique direct mais avec une puissance d'amplification.

Sans décarbonation du chauffage, est-il vraiment impossible de décarboner l'économie ?

Il est possible de décarboner tous les autres postes sans décarboner le chauffage. S’il est possible d’arriver à bien décarboner le mix électrique, il n’est pas si difficile de décarboner la charge chauffage. Il suffit d'installer des pompes à chaleur ou des radiateurs électriques qui ne coûtent pas très chers.

Si des efforts sont menés pour décarboner tout le reste de l'économie, le mix électrique aura été décarboné. Il sera alors possible d’installer des chauffages électriques pour être en mesure de décarboner la filière chauffage.

Dans les chiffres du GIEC sur l’impact de la charge chauffage sur l’environnement, n'y aurait-il pas une omission d’une partie du problème ? Il y a en Europe du Nord beaucoup de consommation et d’utilisation du chauffage au bois. Est-ce que cette omission ne représente pas une forme d'hypocrisie des pays du Nord ?

Il y a une forme d’hypocrisie. Pour une forêt de 100 hectares avec des arbres de grande taille, si la décision est prise de les abattre pour les brûler afin de les utiliser pour le chauffage, cela va émettre du CO2 et du soufre dans l'atmosphère. Le bois brûlé, le bois de chauffage est assez polluant.

Cela va donc émettre du CO2 dans l'atmosphère. Mais pour que ce CO2 soit recapté par cette forêt de 100 hectares, il va falloir attendre 30 à 40 ans. Donc c'est une légende de dire qu’abattre un arbre et le brûler pour le chauffage serait neutre en carbone. Pendant 30 à 40 ans, le carbone qui sera relâché dans l'atmosphère en brûlant l'arbre ne pourra pas être absorbé.

Il va falloir attendre des décennies pour qu’un autre arbre pousse à cet endroit-là et absorbe finalement cette quantité de carbone équivalente. Cela constitue un vrai problème. Cela n'est pas aussi neutre en carbone.

Est-ce que la crise énergétique et ses conséquences doivent nous faire repenser notre rapport au chauffage et à son impact sur la planète ?

Le chauffage dans beaucoup de maisons en France et en Europe dépend du gaz. Le fait que le gaz soit énormément utilisé pour le chauffage doit faire réfléchir sur la grande dépendance au gaz pour la charge de chauffage. Cela peut être extrêmement dangereux lorsque l’on sait que de moins en moins de gaz est généré en Europe. Le contexte des tensions géopolitiques entre les pays, entre l'Europe et d'autres blocs de plus en plus forts, suscite également l’inquiétude sur la réalité de la crise énergétique. Il y a donc une grande volonté dans certains pays, notamment en Allemagne et en Angleterre, de « tuer » en quelque sorte le chauffage au gaz et de choisir à la place un chauffage basé sur de l'électricité et principalement des pompes à chaleur.

Cette dépense et cette part du chauffage domestique sur les émissions de CO2 sont-elles vraiment une menace concrète pour le réchauffement climatique ? Est-ce que faire des efforts dans ce cadre-là pourrait avoir un effet boule de neige et inciter à faire plus d'efforts sur le chauffage, mais aussi ailleurs ?

Il ne faut pas avoir une vision trop simpliste. Le chauffage représente 10 % des émissions de gaz à effet de serre en France. Je ne pense pas que si on arrive à le faire passer à 0 %, on aura gagné la bataille contre le réchauffement climatique qui est beaucoup plus complexe et qui va surtout se jouer dans des pays comme l'Inde et la Chine. Ce sont eux qui sont maintenant responsables de la majorité des émissions de gaz à effet de serre. L'Europe devient un petit Poucet sur les émissions de CO2 par rapport à ces pays, aux BRICS.

L'Europe ne doit plus trop se flageller maintenant. Elle doit surtout penser au bien-être de sa population et ne plus l'exposer à des prix de l'énergie complètement inabordables.

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