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Smart-watch : comment les montres connectées peuvent détecter les problèmes cardiaques
©Apple

La Minute Tech

Les avancées technologiques sont telles que demain, d'autres capteurs intégrés ou appariés à la montre pourront "monitorer" tout un tas de constantes biologiques telles que la glycémie ou les gaz du sang dans le cas de pathologies particulières.

Gilles Dounès

Gilles Dounès

Gilles Dounès a été directeur de la rédaction du site MacPlus.net  jusqu’en mars 2015. Il intervient à présent régulièrement sur iWeek, l'émission consacrée à l’écosystème Apple sur OUATCH.tv, la chaîne TV dédiée à la High-Tech et aux loisirs.

Il est le co-auteur, avec Marc Geoffroy, de l'ouvrage iPod Backstage, les coulisses d’un succès mondial, paru en 2005 aux Editions Dunod.

Vous pouvez suivre Gilles Dounès sur Twitter : @gdounes

 

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Atlantico : Jeudi dernier, une étude présentée lors de l'événement Heart Rythm 2017 a révélé que l'application Cardiogram, disponible sur l'Apple Watch, peut détecter les premiers signes de maladies cardiaques, parmi lesquelles la fibrillation atriale. Comment cette application est-elle techniquement capable de cela ? 

Gilles Dounès : Enfonçons le clou puisque les choses ne sont apparemment pas claires pour tout le monde, jusque, et y compris, parmi certains experts français de l'informatique : l'écosystème d'Apple est non seulement organisé autour d'un pôle "software", logiciels et systèmes d'exploitation, en même temps qu'un pôle "hardware", matériel électronique, ce qui faisait sa spécificité depuis sa création, et également autour d'un pôle de "services". Ces services – que ceux-ci soient "gratuits", c'est-à-dire compris dans le prix du produit ou payés par la publicité, ou payants, par abonnement – sont inhérents à Internet. Ils ont été théorisés dès 1995, au moment de l'ouverture au grand public du World Wide Web, auparavant réservé aux universitaires, et Apple a commencé à en tirer les conséquences concrètes à partir de janvier 2000, d'abord avec les iTunes qui sont devenus le service Mac (DotMac) à partir de 2002, puis de façon beaucoup plus éclatante à compter de 2003 avec l'iTunes Music Store, avec le succès que l'on sait.

Le modèle gagnant de l’App Store développé comme la conséquence de la transformation du logiciel interne de l'iPhone en un véritable système d'exploitation, iOS, découle de ce même principe : une intégration très étroite entre le matériel, le logiciel et les contenus, que ceux-ci soient fournis par le constructeur ou les partenaires de son écosystème. Cela a d'abord reposé sur l'iPod, l'iTunes Music Store et les fichiers musicaux (payants) ou les fameux podcasts (gratuits). Le modèle a été, à présent, étendu aux ordinateurs Mac, à l'iPhone, l'iPad, l'Apple Watch ou l'Apple TV pour ce qui concerne Apple, mais ses concurrents (Google, Microsoft, feu Nokia) ont également copié le modèle dans l'urgence, à partir de l'automne 2010.

Très concrètement, voici comment cela fonctionne pour Cardiogram et l'Apple Watch, mais le principe de fonctionnement est le même pour l'ensemble de ce que l'on appelle "électronique à porter sur soi". Le principe du monitoring de l'activité des individus avait même été inauguré par le partenariat Nike + iPod, grâce auquel il était possible de transformer l'iPod en coach vocal pendant la course, puis de débriefer celle-ci et d'effectuer des statistiques grâce aux données collectées par un capteur intégré à la chaussure. Le cable FireWire, puis USB, et l'ordinateur ont tout simplement été remplacés par l'Apple Watch et l'iPhone, et l'Internet filaire par la 3G, puis la 4G dans ce qu'on appelle la "pervasivité des réseaux" : nous sommes à présent connectés en permanence.

On a donc :

des capteurs sur l'envers de l'Apple Watch, qui mesurent l'activité cardiaque en surveillant la fréquence du pouls grâce des photodiodes LED, lesquelles mesurent le flux sanguin.

Les données brutes sont analysées, intégrées et mises à disposition des développeurs de l'application par le biais des API de HealhKit ou de ResearchKit, un ensemble d'interfaces de programmation disponibles dans l'ensemble des kits de développement logiciel mis à la disposition des développeurs par Apple, et spécialement dédiés à la santé et à la recherche médicale. Ces API sont disponibles pour l'ensemble des plates-formes de développement de l'écosystème de la marque à la pomme, au niveau du système d'exploitation : l'ensemble des appareils peuvent donc interagir entre eux de façon totalement transparente.

– Les développeurs de Cardiogram ont utilisé ces API pour recueillir des informations mises à disposition par un panel de volontaires (plus de 6 000 personnes, 139 millions de mesures du rythme cardiaque et 6 338 électrocardiogrammes mobiles). Ces données ont ensuite été analysées par un réseau d'intelligence artificielle de type neuronal, réseau validé ensuite auprès d'un échantillon de 51 patients, avant et après défibrillation : le résultat donné par l'algorithme a été correct à 97 %.

Selon les résultats de l'étude, l'algorithme mis en place a permis de détecter des signes de fibrillation atriale dans 97% des cas, un résultat jamais atteint auparavant par aucun algorithme. Quelles perspectives peuvent offrir l'Apple Watch et les autres montres connectées dans la prévention de maladies ?

Une telle annonce doit réellement être prise au sérieux, pour ce qu'elle est : un coup de tonnerre dans un ciel apparemment sans nuage, mais alors que des "prévisionnistes" tels que Jean-Michel Billaut en matière de ce que l'on appelle la e-Santé multiplient les avertissements depuis maintenant plusieurs années ; il faut également saluer le travail de Jean Pisani-Ferry au Commissariat général à la stratégie et à la prospective, et de Fleur Pellerin et de Axelle Lemaire au Secrétariat d’Etat à l’Economie Numérique, mais cela dépasse largement le domaine de la santé connectée. 

En effet, il ne faut se laisser hypnotiser par l'appareil électronique (le Smartphone, la montre, le téléviseur et demain l'assistant personnel de salon) : l’essentiel de la valeur ajoutée – que ce soit pour l'industriel en termes de monnaies sonnantes et trébuchantes ou pour le client final en termes de service rendu – repose dans le logiciel, que ce soit en termes d'interface dans l'appareil lui-même ou en termes d'efficacité du service par l'exploitation et la transformation des données recueillies. Celles-ci s'effectuent dans le fameux "Cloud" dans lequel est transféré l'essentiel de la capacité de calcul. Le changement radical, dont cette annonce est un avertissement, est en effet à l'échelle d'une révolution industrielle, à ceci près que cette révolution ne repose pas sur la découverte d'une nouvelle source d'énergie comme la révolution industrielle qui l'a précédée, ou sur l'exploitation de nouvelles ressources.

Tout au contraire, la révolution industrielle, qui se déroule sous nos yeux, repose pour l'essentiel sur les économies d'énergie et de matières premières, avec l'invention de procédés plus propres et plus efficaces pour produire celles-ci, et le remplacement progressif de l'exploitation minière du charbon, du minerai de fer ou du pétrole par le recyclage pour ce qui est du substrat électronique. Mais peut-être surtout, cette révolution passe par la valorisation de ce qui était considéré, voici 5 ans à peine, comme sinon des déchets, du moins comme du "bruit numérique", c’est-à-dire l'ensemble des données numériques que nous produisons jour après jour. C'est ce "data mining", la possibilité de prospecter et de valoriser de véritables gisements de données personnelles, qu'elles soient médicales ou autres, qui est en passe de devenir un véritable enjeu de souveraineté nationale, et on espère continentale, à l'échelle de l’Union européenne.97% de pertinence dans le diagnostic, c’est largement au-delà de ce que l’on est raisonnablement en droit d’attendre de l’interne qui vous examine aux urgences, mais de toutes les professions qui reposent à la fois sur des compétences théoriques longuement et chèrement acquises, de l’expérience mais également de l’intuition : la plupart des professions intellectuelles à haute valeur ajoutée peuvent, à présent, être impactées par les nouveaux modèles d’intelligence artificielle, bâtis sur la simulation de réseaux neuronaux.

Dans le cas qui nous préoccupe, les capteurs infrarouges de l'Apple Watch mesurent en l'occurrence le flux sanguin pour surveiller le rythme cardiaque, mais d'autres capteurs intégrés ou appariés à la montre ou au smartphone pourront demain "monitorer" tout un tas de constantes biologiques telles que la glycémie, les gaz du sang dans le cas de pathologies particulières, voire administrer automatiquement une dose de norépinéphrine dans le cas d'allergies sévères avérées. Le procédé n'est pas nouveau : il est même familier aux différentes agences spatiales depuis les années 1950, avec l'envoi d'êtres vivants dans l'espace. On peut même imaginer la détection de l'odeur sécrétée par certaines tumeurs, et à laquelle certains chiens peuvent être sensibles, le taux d'alcoolémie dans la transpiration ou appliquer ce modèle à d'autres secteurs que la santé, comme par exemple connecter directement des détecteurs obligatoires de fumée avec la caserne de pompiers la plus proche.

De telles applications sont-elles véritablement fiables ? Quel(s) risques peuvent-elles présenter en matière d'utilisation des données ainsi récoltées ?

Pour efficaces qu'elles soient — tout dépend de la rigueur avec laquelle ces algorithmes sont construits — ces applications n'en posent pas moins à nouveau, avec une acuité toute particulière, le débat sur la confidentialité des données. La question est de savoir qui sera le destinataire de ces données et de ces alertes. L'utilisateur ? Le centre de secours ? Le praticien… Ou la banque ou la compagnie d'assurances ? Qu'est-ce qui assure que celle-ci n'en profitera pas pour facturer indûment de soi-disant risques supplémentaires ? Quels sont les géants de demain qui seront à même de collecter, puis d'exploiter ce minerai du XXIe siècle ? Pour quel modèle économique, et donc quelle confidentialité ?

La clé de voûte du système est bien le SDK mis à disposition par l'éditeur du système d'exploitation – l'OS – avec les API qu'il met à disposition des éditeurs comme nous l'avons vu plus haut. Avec un système d'exploitation basé sur la gratuité et la publicité, comme Android, ce sont les données personnelles générées par l'utilisateur qui servent à rémunérer l'éditeur de l'OS et celui de l'application, à travers la publicité "optimisée" grâce à ces fameuses données personnelles. Pour triviale qu'elle soit, l'expression "quand c'est gratuit, c'est l'utilisateur qui est le produit" garde toute sa pertinence. Et l'on voit bien comment ce modèle est en conflit avec la confidentialité qui est l’usage en matière de renseignements médicaux : dans quelle mesure est-il compatible avec la notion même de secret médical ? Il est également posé la question de la sécurité de l'OS lui-même, comme on a pu le voir tout récemment avec l'épisode du "rançogiciel" qui a concerné cette fois les ordinateurs sous Windows, y compris parmi les hôpitaux britanniques. À l'abri de quelle législation ces données seront-elles hébergées ?

Qu'on le veuille ou non, en l’absence d’un "OS souverain", la réponse à ces questions ne pourra passer que par une réglementation à l'échelle communautaire, ne serait-ce que pour conserver à ces données un effet de "masse critique" et de variabilité inter-individuelle suffisant pour que les modèles théoriques issus de leur exploitation restent suffisamment pertinents. Verra-t-on demain la naissance d'une Communauté européenne des Données, avec la nécessité faite aux poids lourds du secteur d'héberger sur le sol de l’Union les données personnelles de ses citoyens ? La firme à la pomme a, en tout état de cause, pris les devants en annonçant pour 2017 la construction de deux centres de données en Irlande et au Danemark, pour un total 2,7 milliards d'euros.

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