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Face à la crise énergétique, la possibilité de débrider les réacteurs nucléaires pourrait-elle être une solution viable ?
Face à la crise énergétique, la possibilité de débrider les réacteurs nucléaires pourrait-elle être une solution viable ?
©PHILIPPE DESMAZES / AFP

Atlantico Green

L’« uprate » de réacteurs nucléaires pourrait permettre de produire davantage d’électricité en renouvelant les installations.

Buche Buche561

Buche Buche561

Buchebuche561 est ingénieur en génie atomique, vulgarisateur, membre du collectif No Fake Science et de l’association citoyenne Les Voix du nucléaire.

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Atlantico : Face à la crise énergétique, certains évoquent la possibilité de débrider les réacteurs nucléaires. De quoi s'agit-il ?

Buchebuche561 : Cette opération, appelée « uprate », doit permettre d’augmenter la puissance initiale délivrée par un réacteur grâce à des modifications techniques. L’installation est divisée en deux avec une chaudière nucléaire (le primaire) et une turbine à vapeur (le secondaire). Il est tout d’abord possible d’améliorer le rendement secondaire. La turbine à vapeur est conventionnelle. Ce type d’équipement est similaire à ceux qui sont utilisés sur n’importe quelle centrale thermique, qu’elles soient à charbon, à gaz ou nucléaire. Grâce à des améliorations de rendements des différents éléments du secondaire, il est possible d’avoir une augmentation du rendement global. Pour la même énergie fournie au primaire, vous pouvez avoir plus d’énergie délivrée par le secondaire. Il est possible de récupérer plus d’énergie car l’installation est mieux optimisée. Il n’y a donc pas de spécificité nucléaire pour cette étape. Il est important d’optimiser de plus en plus le système, mais pour chaque pourcentage de rendement gagné, cela devient de plus en plus compliqué pour gagner le suivant. Des réglages plus fins sont nécessaires. EDF, par exemple, a lancé ce genre de programme. Plusieurs projets visent à augmenter le rendement des installations en secondaire. EDF a déjà obtenu et cherche encore ainsi à mettre plus de mégawattheures sur le réseau. Cela va permettre d’avoir plus d’argent dans les caisses tout en offrant offrir un meilleur service.

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Qu'est-ce que pourrait vraiment faire ce débridage ? Selon le compte Twitter « Karl Novatore », tenu par un anonyme qui travaillerait dans la filière, la France pourrait augmenter de 6,1 GW la puissance installée de son parc nucléaire, sans construire de nouveaux réacteurs…

Le fait de débrider les réacteurs nucléaires va apporter plus d’énergie électrique. L’analyse de Karl Novatore est basée sur ce qu’il se passe à l’international, en particulier aux Etats-Unis. Selon lui, des augmentations de puissance au primaire (sur le réacteur nucléaire) ont été faites partout dans le monde. Mais en France, ce processus n’a jamais été déployé. Et ce constat est correct. Le parc nucléaire américain a connu des augmentations de puissance, des upgrades, de manière très régulière. Quasiment tous les réacteurs ont bénéficié d’une augmentation de puissance depuis leur construction. En France, une partie de l’énergie du parc (a minima les 900MW et les 1300MW) est directement issue des technologies américaines. Comment se fait-il donc que les Américains arrivent à réaliser des augmentations de puissance et pas les Français ? C’est cette question qui est posée.

Quelles sont les contraintes et difficultés techniques notamment pour relever ce défi ?

Ces contraintes et ces difficultés sont loin d’être négligeables. EDF a déjà travaillé la question au travers d’un projet d’augmentation de puissance : AP1300. Une augmentation de puissance qui concernait les réacteurs de 1300MW à l’époque. Ces études datent des années 2010. EDF n’a pas complètement ignoré cette stratégie mais un arbitrage a certainement eu lieu. Au moment de la décision, d’autres projets ont certainement été privilégiés par EDF afin de mettre leurs ressources à un autre endroit. La prolongation du parc, tout comme la VD3-1300, la VD4-900, le grand carénage et le post-Fukushima sont autant de projets contemporains de ces études. Cela représente des heures d’ingénierie en grand nombre, des investissements colossaux et des modifications d’installations majeures. EDF a peut-être estimé qu’il serait délicat de pouvoir tout mener de front. L’augmentation de puissance n’a pas été menée à son terme.

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Dans quelle mesure débrider les réacteurs pourrait-il permettre de résoudre ou non nos problèmes actuels dans le cadre de la crise énergétique ?

Pour augmenter la puissance du réacteur, il faut pratiquement tout repenser en termes de sûreté au primaire. Il est possible de, par exemple, créer une nouvelle gestion combustible, un nouveau type de cœur qui soit un peu plus puissant. Il est possible de toucher à l’enrichissement pour avoir un peu plus de puissance. Cette étape va avoir pour conséquence de modifier les conditions de fonctionnement et donc de sûreté. Il sera nécessaire de refaire une démonstration de sûreté complète si cette augmentation ne rentre pas dans les marges de l’ancienne démonstration. Comme le réacteur sera plus puissant, il est nécessaire de savoir, par exemple, si toutes les protections sont bien calibrées et qu’elles ne sont pas sous-dimensionnées par rapport à cette augmentation de puissance. Cela aurait certainement des implications sur le système de gestion de puissance, les grappes de contrôles. Revoir tout ou partie de ce système n’est pas chose aisée. Aucune centrale nucléaire ne dispose un seul et unique bouton permettant d’enclencher l’option du débridage. Il faut en réalité modifier l’installation de manière assez conséquente pour le primaire afin de pouvoir faire passer ce genre de modifications. Ces investissements ne seraient pas négligeables. Le projet d’augmentation de puissance 1300 était d’actualité début des années 2010 et l’ASN parle de son application potentielle vers 2017. Cela aurait donc mis au moins sept ans avant l’implantation. Cela traduit que ce n’est pas si simple pour l’installation, pour l’ingénierie, sur les projets, pour l’instruction avec l’ASN. C’est la raison pour laquelle cela ne peut pas être utilisé du jour au lendemain. Un projet d’augmentation de plusieurs % de puissance pourrait nécessiter un délai de plusieurs années, techniquement mais aussi légalement puisque la puissance maximale installée en France est aujourd’hui plafonnée, par la loi.

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