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Pas de respect possible des accords de Paris sans révolutionner la production alimentaire mondiale
©JEAN-FRANCOIS MONIER / AFP

Atlantico Green

L'agriculture et l’industrie agroalimentaire représentent un tiers du total de gaz à effet de serre émis dans le monde. Or, ces secteurs sont souvent un angle mort des débats sur les émissions de gaz à effet de serre.

Arthur Riedacker

Arthur Riedacker

Arthur Riedacker est Président de l'Institut Oikos, une ONG scientifique et technique pour des développements nationaux mondialement soutenables? Il est aussi directeur de recherche honoraire de l'INRA IPCC Co-Nobel prize winner. 

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Atlantico : Selon une étude du journal Science, l’agriculture et l’industrie agroalimentaire représentent un tiers du total de gaz à effet de serre émis dans le monde. Afin de respecter l’accord de Paris sur le climat devons-nous nous pencher plus intensément sur la question de l’empreinte carbone de cette activité ?

Arthur Riedacker : Pour réduire les émissions de GES (gaz à effet de serre) on a préféré jusqu’ici mettre l’accent plutôt sur les secteurs ne concernant pas l’alimentation. Et cela d’autant plus que des réductions significative des intrants, en faisant baisser les rendements auraient augmenté les émissions de GES par unité de produit.

Rappelons que sous le Protocole de Kyoto la France n’avait d’ailleurs qu’à maintenir ses émissions au niveau de 1990. Mais avec l’objectif zéro carbone pour 2050, issu de l’Accord de Paris sur le climat, cela n’est plus possible: il faut maintenant les diviser au moins par 4 ou 5 !

En première approximation on peut retenir que la consommation d’aliments est, avec les comptabilités actuelles, adoptées en 2007 sous le Protocole de Kyoto et toujours en vigueur, responsable d’environ un tiers des émissions totales de GES (rapport spécial du GIEC sur l’utilisation des terres, approuvé en 2019). Mais il faut distinguer les cultures de l’élevage. Selon Poore and Nemecck (2018) l’élevage occupe 83% des surface agricoles du monde, via les herbages et les productions d’aliments du bétail, émet 58% des GES de l’agriculture (principalement du méthane), tout en ne produisant que 18% des calories et 37% des protéines. Comme sous le Protocole de Kyoto la menace climatique paraissait lointaine, les PRG (potentiel de réchauffement global) retenus pour les différents gaz étaient considérés pour un horizon de 100 ans. Mais pour un horizon de 20 ans (la neutralité carbone c’est pour dans 30 ans !), le PRG du méthane est trois fois plus élevé. La contribution de ce gaz aux émissions nationales de GES de la France n’est alors plus de 20%, mais le double. Et dans le secteur agricole, celle du méthane de l’élevage passe de 45 à 129 millions de tonnes d’équivalent CO2 (Riedacker 2020). Il n’y donc aucun doute que pour respecter les Accords de Paris sur le climat il faut se pencher également sur les émissions de l’alimentation, et en particulier réduire celles de l’élevage.

Quels sont les points dans notre production alimentaire qui polluent le plus ? 

Réduire l’élevage de bovins à viande

C’est donc avant tout de la réduction des émissions de méthane provenant de l’élevage dont il faut se préoccuper: il faut en particulier réduire les consommations de viandes de bovins. Comme les bovins laitiers, les bovins à viande consomment de l’herbe qui ne pourrait pas être valorisée autrement. Mais ces derniers la transforment moins efficacement.

Réduire les déforestations dues aux importations de viande ou de soja

Nous avons donc précédemment suggéré que l’on commence par réduire l’élevage de ces bovins dans les pays de l’OCDE, où 30% des calories et plus de 50% des protéines sont d’origine animales, alors que la moitié de ces apports suffirait pour rester en bonne santé et permettrait même de l’améliorer

Cela réduirait aussi les émissions dues aux importations de viande ou de soja dans les pays de l’OCDE, donc les déforestations importées, actuellement non comptabilisées dans celles des pays importateurs.

Sans extensifier l’agriculture dans les pays de l’OCDE

Il faudra aussi éviter d’extensifier l’agriculture dans les pays riches car une agriculture extensives émet plus de GES par unité de produit, par exemple par tonne de céréales. Elle ne pourra donc être ni biologique, ni agroécologique et plus extensive qu’aujourd’hui. Il faudra en effet trouver de terres, sans pour autant déforester, afin d’y produire plus de biomasses et remplacer ainsi encore plus d’énergies fossiles. Sans cette augmentation de production de biomasses non-alimentaires, atteindre la neutralité carbone d’ici 2050 dans tous les secteurs, y compris dans l’alimentation et l’agriculture, nous paraît en effet totalement utopique.

L’Union Européenne dans le projet de sa nouvelle PAC n’a cependant pas encore pris les virages qui devraient s’imposer .

Existe-t-il des solutions simples et efficaces qui nous permettraient de faire baisser les émissions de CO2 de l’agriculture et l’industrie alimentaire ?

Pour répondre à cette question il faut prendre en considération l’évolution mondiale des besoins alimentaires d’ici 2050. A régimes alimentaires identiques à 2003 et compte tenu de la croissance démographique, celles-ci augmenteront de 36%: de 147% en Afrique subsaharienne, de 70% dans la région Moyen Orient et Afrique du Nord et de 40% en Asie hors Chine.

Cofinancer les intrants en Afrique subsaharienne pour éviter les déforestations

Le moyen le plus simple serait de cofinancer les intrants avec les Pays de l’Afrique subsaharienne où les apports sont actuellement très bas et nettement insuffisants pour assurer la durabilité de l’agriculture. Si on ne le fait pas cela augmentera inévitablement les déforestations. A raison de 300 t de CO2 émise par hectare défriché, alors que les émissions de GES résultant d’apports d’engrais à des champs bien productifs sont cent fois moins élevé, le calcul ne laisse aucun doute: il faut mettre fin aux agricultures peu productives par hectare en y apportant plus d’engrais.

Fig. 1 Comparaisons, pour une production totale de céréale identique, des impacts territoriaux et sur la production de bois, de l’agriculture raisonnée et de l’agriculture à bas niveaux d’intrants par hectare.

Fig. 2 Consommations moyennes d’engrais en kg par ha de terre arable, en 2013, dans différents pays. (Source : Diarra et Riedacker (2017), d’après données de la Banque mondiale)

Aller vers des régimes plus végétariens dans les pays riches

Il faut aussi aller vers des régimes plus végétariens dans les pays riches. Manger plus de légumes et de produits non raffinés et moins de sucre, et diviser par deux les consommations de viande, réduit par exemple les empreintes territoriales de 23% et carbones de 37% des régimes dans les pays riches, tout en améliorant la santé.

De tels efforts ne peuvent en revanche par être demandés aux Indiens qui n’émettent en moyenne actuellement que de l’ordre de 2 tonnes de CO2 équivalent par personne: 3 à 7 fois moins que dans les pays riches. Et qui consomment déjà quatre à cinq fois moins de protéines animales. La natalité y a en outre déjà été fortement réduite : la fécondité, de 6 enfants par femme en 1960, y est passée à 2,2 en 2018. Malgré cela sa population, augmentera encore d’environ 250 millions de personnes d’ici 2050. Et comme on ne peut y réduire davantage les empreintes carbone de l’alimentation par personne, celles ci augmenteront encore inéluctablement de près de 20%.

Pour conclure, voici un résumé en français d'un chapitre de l'ouvrage "Trends in Technology for Agriculture, Food, Environment and Health" :

« Un Cadre d’Analyse Complémentaire pour atteindre la Sécurité Alimentaire en 2030 et une Neutralité Carbone en 2050: approche préliminaire pour les productions végétales et la gestion du bétail dans différentes régions du monde »

Les ODD (Objectifs de Développement Durable) des Nations Unies de 2015 proposent d’éradiquer la faim d’ici 2030. Et en ratifiant l’Accord de Paris sur le Climat de 2015 les pays membres des Nations Unies ont aussi décidé d’atteindre la Neutralité Carbone d’ici 2050 afin de stabiliser le climat et de maintenir la température moyenne du globe en dessous de +2°C ,et même, si possible, en dessous +1,5 °C par rapport à l’époque préindustrielle. Plusieurs Parlements de Pays Européens ont à cette fin adopté des lois visant d’atteindre la neutralité carbone en 2050. Le nouveau « Green deal » de la Commission de l’Union Européenne a le même objectif. Et le premier point à l’agenda de la rencontre Europe-Afrique prévue en Octobre 2020 est « de maximiser les bénéfices d’une transition verte, et de minimiser les menaces environnementales, conformément à l’Accord de Paris »

Cela supposerait d’abaisser les émissions moyennes par personne, actuellement en moyenne de 5 tCO2e (en tonne de CO2 equivalent) à 2 tCO2e d’ici 2050, c’est à dire de réduire les émissions mondiales de 60%, celles de l’Union européenne de 75%, celles de l’Amérique du Nord de 87% et de stabiliser les émissions de l’Inde et de l’Afrique. Mais dans le même temps la production alimentaire doit continuer à augmenter, puisque entre 1990 (date repère retenue sous la Convention Climat) et 2050, la population augmentera de 4 milliards de personnes.

Aucun pays ne peut à lui seul relever ce double défi: atteindre la neutralité carbone d’ici 2050 et éradiquer la faim. Voici un défi sans précédent : sous le Protocole de Kyoto les pays industrialisés devaient seulement réduire leurs émissions de 5 % entre 1990 et 2012. En outre l’article 3.1 de la Convention climat impose d’atteindre cet objectif en partageant équitablement ce fardeau, donc de tenir compte, par exemple, des différences de revenus, du PIB moyen par personne dans les différents pays.

Pour permettre à tout le monde, et plus particulièrement aux décideurs, aux parlementaires et aux organismes d’aide, d’avoir une vue plus globale et de mieux comprendre ce qui devrait être fait maintenant, il est proposé un Cadre d’Analyse Complémentaire (CAC), complémentaire aux inventaires actuels des émissions de GES (gaz à effet de serre) par pays sous le format UNFCCC, c’est à dire des Nations Unies. Il faudrait, entre autres, qu’y figurent les empreintes territoriales, énergétiques et carbones, basées non pas sur les inventaires actuels par pays de l’ONU, mais en tenant aussi compte des émissions des produits importés et exportés. Les émissions par habitant des pays de l’OCDE augmentent alors. En France de 6,6 tCO2e (avec les inventaires UNFCCC actuels ignorant le commerce international) elles passeraient à 10.9 tCO2e. Alors qu’elles diminueraient pour les pays grands exportateurs nets.

L’Agriculture mérite ici une attention particulière. Elle est essentielle pour la production et la sécurité alimentaire et a une grande empreinte territoriale. Sous la comptabilité actuelle des N.U. elle émet seulement 10 à 12% des émissions brutes de GES d’origine humaine. Mais lorsque l’on tient compte des déforestations et des conversions des prairies en terres cultivables, celles-ci s’élèvent à environ 24 % des émissions mondiales. Comme la population mondiale continue de croître, les empreintes “territoriales par personne » devront diminuer et les «efficacités territoriales » (c’est à dire les productions totales annuelles par unité de surface) devront être maximisées, partout dans le monde, car nous n’avons qu’une planète. “L’utilisation des terres” est généralement ignorée par les spécialistes des énergies fossiles. Mais en les ignorant cela conduit, y compris de nos jours, très souvent, à des recommandations erronées.

De telles informations, importantes pour l’agriculture et la sécurité alimentaire (notamment l’évolution de la demande alimentaire, les écarts entre les rendements actuels et potentiels des cultures, les évolutions requises dans le niveau et la qualité des intrants, les niveaux actuels et futurs des empreintes territoriales, énergétiques et carbone, brutes et nettes, les émissions des ruminants, les actions pour limiter les impacts potentiels sur les rendements des changements climatiques, les contraintes économiques, etc.) devraient être plus largement disponibles et être inclues par exemple dans les communications nationales des engagements des pays, les NDCs, (les contributions nationales déterminées par les pays pour le climat communiquées à la Convention Climat des N.U).

Cela aiderait les citoyens, les décideurs nationaux et internationaux, ainsi que les donateurs à ajuster leurs politiques et mesures pour aller vers des développements plus inclusifs et des codéveloppements plus équitables. .
Une utilisation préliminaire du CAC est proposée pour la sécurité alimentaire et l’élevage. Le processus de discussions de Koronivia, instauré sous la Convention Climat, piloté par la FAO, de même que le partenariat pour les NDCs ont en effet demandé d’examiner en 2020 ces deux questions très difficiles. Nous proposons donc de distinguer six catégories principales de régions: (1) les zones arides où l’élevage est essentiel et incontournable ; (2) les régions avec un pourcentage élevé de personnes sous alimentées ; (3) les régions où l’élevage est essentiel pour satisfaire les besoins quotidiens des petits exploitants agricoles ; (4) les régions de montagnes ; (5) les pays relativement riches, avec de fortes empreintes carbone par personne, où l’élevage des ruminants et la consommation de viande devraient diminuer pour réduire les émissions de méthane et les empreintes territoriales des élevages, afin de pouvoir y produire plus de biomasses non-alimentaires pour remplacer davantage de combustibles fossiles ; (6) les autres régions avec des revenus moyens par habitant, avec actuellement cependant d’assez grandes empreintes carbone, par exemple à cause de niveaux de déforestations élevés.

Dans beaucoup de pays en développement cela demanderait d’augmenter beaucoup la quantité et la qualité des intrants des cultures et d’améliorer la gestion des troupeaux de ruminants. Les décideurs et les donateurs ont malheureusement jusqu’ici négligé ces questions. L’IFSDAA (International Foundation for Sustainable Development in Asia and Africa) et l’Institut Oïkos proposent d’unir leurs efforts avec d’autres dans ce processus.

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