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Le Coronavirus grippe (aussi) les énergies renouvelables
©ALFREDO ESTRELLA / AFP

Atlantico Green

La crise liée à l'épidémie de Covid-19 a fait s'effondrer les prix des énergies fossiles. Les énergies renouvelables perdent donc de leur attrait :et les investissements pourraient en pâtir.

Michel Derdevet

Michel Derdevet

Michel Derdevet est essayiste, Maître de Conférences à l'IEP de Paris et Professeur au Collège d'Europe de Bruges. Il tient un blog sur le secteur de l'énergie : michelderdevet.com.

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Atlantico : Avec la crise du Covid-19, de nombreux secteurs sont affaiblis. Cela concerne-t-il également le marché des énergies renouvelables ? Constate-t-on une baisse du prix de l’électricité depuis le coronavirus ? 

Michel Derdevet : Depuis la mi-mars, on a en effet constaté une baisse d’environ 15% de la consommation d’électricité, liée pour l’essentiel au ralentissement de l’activité économique, générant un effondrement du prix du mégawattheure disponible sur le marché de gros entre 20 et 30 euros, en retrait de plus de 40% par rapport aux valeurs antérieures à l’épisode sanitaire que nous traversons.

Il est difficile d’anticiper l’impact sur le long terme de cette évolution des prix, car l’électricité ne constitue que 25% de la consommation finale d’énergie en France, et elle interagit avec toutes les autres composantes du secteur énergétique (gaz, pétrole, …).

Ce qui est certain, c’est que nous vivons un moment économique « historique », où tous les prix de l’énergie sont en berne : celui du gaz, aligné sur le pétrole, est en chute libre ; et le prix de la tonne de charbon, malgré une hausse en fin d’année 2019, s’est lui aussi effondré sur le marché européen.

Le monde traverse aujourd’hui un vrai « choc énergétique » global, à l’identique des deux chocs pétroliers du siècle dernier, dont il est aujourd’hui difficile de cerner la sortie.

Si elle se maintenait à moyen terme, la contraction générale des prix de l’énergie pourrait inciter à mettre entre parenthèses le développement des énergies renouvelables, et à baisser drastiquement les investissements dans de nouveaux projets renouvelables. La baisse des recettes des entreprises énergétiques risque de les inciter à reporter, voire annuler certains investissements, notamment dans les renouvelables. La baisse de la demande d’électricité ne justifie pas non plus de nouveaux investissements dans la production.

Mais on peut aussi imaginer, à l’inverse, que la prise de conscience des 3 milliards d’humains qui traversent cette crise sanitaire confinés va produire une réaction écologique majeure, incitant certains acteurs à procéder de manière accélérée à des arbitrages financiers et industriels vers des projets décarbonés soutenables, reléguant définitivement les fossiles à l’économie d’avant-hier.

Avec une crise sanitaire qui perdure et des dépenses imprévues toujours plus nombreuses pour les comptes publics, l’État ne risque-t-il pas de réduire ses subventions octroyées à ce secteur ? Quelles conséquences pour le secteur énergétique ? Et côté consommateur, pourra t-il constater des répercussions dûes -directement ou non- au coronavirus sur sa facture ?

L’Etat devra surtout, à mes yeux, éviter des réponses partielles et séquentielles. La crise que nous traversons supposera, rapidement, des réponses globales et une vision d’ensemble.

Cette vision devra clarifier les contradictions intrinsèques de notre marché, tant français qu’européen, entre constat court-termisme et vision à moyen-long terme. L’électricité est de plus en plus perçue comme un service public stratégique, un bien essentiel, tant pour la sécurité d’approvisionnement de la France, le fonctionnement de nos industries que pour l’alimentation des ménages, ce qui sous-tend des modèles économiques viables, à moyen-long terme.

Et en même temps, depuis presque un quart de siècle, elle est devenue un produit de marché, soumis aux fluctuations et aux échanges, dans l’espace infra-européen.

La question éminemment politique du prix de l’électron, et de sa régulation, sera donc, à l’évidence, au cœur du débat économique post-coronavirus.

Ira-t-on vers plus de responsabilités confiées aux Etats et aux opérateurs ? Ou laissera-t-on, encore et toujours, la « main invisible » du marché faire son œuvre ?

L’accent des politiques publiques sera-t-il mis sur des efforts tarifaires à destination des industriels, pour soutenir la reprise, comme c’est traditionnellement le cas, par exemple, en Allemagne ? Ou le sujet de la précarité de nos concitoyens, et la maîtrise des factures des consommateurs individuels, sera-t-il prioritaire ?

Comment, enfin, permettre aux industries de ce secteur de rester viables, à moyen-long terme, dans un univers de plus en plus incertain où les charges s’accumulent et les recettes fluctuent. Les subventions publiques iront en priorité au sauvetage des opérateurs en difficulté, plutôt qu’à aider de nouveaux opérateurs. Si on privilégie le consommateur en répercutant la baisse du prix de l’énergie, cela peut relancer la demande via un « effet rebond » ou retarder les efforts dans l’efficacité énergétique. Tout le monde devra faire des efforts et l’efficacité énergétique ne sera peut-être plus la priorité. Il faut néanmoins éviter que cette crise ne soit qu’une parenthèse.

On voit se dessiner partout dans le monde plusieurs options. Rien qu’au Canada, deux scénarii ont ainsi vu le jour : l’Ontario vient de décider une baisse immédiate des tarifs de l’électricité, pour réduire les impacts négatifs de la crise du coronavirus; A l’inverse, au Québec, Hydro Québec a obtenu un gel pour cinq ans des tarifs, indexés juste sur l’inflation, ce qui sécurise cette entreprise, modulo un effort de redistribution vers ses clients de 500 millions de $.

De notre côté de l’Atlantique, il faudra veiller, les électrons passant par-dessus les frontières nationales, à privilégier des solutions conçues et partagées avec nos voisins européens.

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