Esclavage et passé colonial : la mémoire qui intéressait de moins en moins les Français<!-- --> | Atlantico.fr
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Mémorial de l'abolition de l'esclavage, à Nantes.
Mémorial de l'abolition de l'esclavage, à Nantes.
©Reuters

Créanciers et débiteurs de l'Histoire

Alors que François Hollande inaugurait dimanche à Pointe-à-Pitre le nouvel édifice, le Mémorial ACTe, consacré à l'esclavage, la question de la repentance et de la réparation de la part de l'Etat français se pose encore pour certains militants de l'Histoire. Retour sur l'évolution de l'opinion française face aux enjeux mémoriaux que sont notamment l'esclavage et la colonisation.

Antoine Jardin

Antoine Jardin

Antoine Jardin est chercheur associé au Centre d'études européennes de Sciences Po. Jeune docteur, il a soutenu sa thèse intitulée "Voter dans les quartiers populaires : dynamiques électorales comparées des agglomérations de Paris, Madrid et Birmingham" le 5 décembre 2014.

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Atlantico : Dans une note exclusive de l'IFOP publiée par Atlantico, pendant les cinq premières années de la guerre, de 1955 à 1959, il apparaît que les Français interrogés à l'époque étaient particulièrement incertains et divisés sur le cas de l'Algérie. Les Français sont 39% à souhaiter que François Hollande, en déplacement en Algérie, s'excuse du passé colonialiste de la France, tandis que 35% s'y opposent formellement, selon un sondage CSA de décembre 2012 pour BFMTV. Comment comprendre ces deux tendances, ces deux chiffres, particulièrement proches ? Cette question est-elle toujours aussi "clivante" ?

Antoine Jardin :Le rapport à l'Algérie est quelque chose qui a longtemps divisé les Français. La présence d'un sentiment sur la question coloniale est encore là chez de nombreuses personnes qui ont pu connapitre cette époque. Moins pour les plus jeunes, où les prises de position sont plus rares. L'autre élément, c'est que le jugement sur la colonisation aujourd'hui passe aussi par le jugement que l'on a sur l'immigration, et notamment ceux issues des anciennes colonies. C'est une manière tout à fait nouvelle de regarder l'histoire de la colonisation.

Note exclusive IFOP pour Atlantico

Près de deux Français sur trois (64%) souhaitent que les programmes scolaires reconnaissent le rôle "positif" de la colonisation française, selon un sondage CSA publié vendredi 2 décembre 2005 par Le Figaro. Ce chiffre traduit-il une difficulté à effectuer un travail de mémoire de la part des Français sur ce sujet ou la volonté d'insister sur certains "bénéfices", qu'aurait apporté la colonisation française ?

Cette enquête est assez ancienne et a été réalisée à l'époque d'une controverse. Il est donc difficile d'en tirer des conclusions fiables. Beaucoup de personnes comprenaient d'ailleurs assez mal les termes de cette étude. Dans la réalité, la majorité des Français a un regard très critique sur la colonisation, ce qui ne veut pas dire qu'ils sont d'accord pour verser des réparations. 

Sondage exclusif CSA / Le Figaro, 2005

Plus les personnes interrogées sont proche de la gauche politiquement, plus ils se positionnent en faveur d'excuses à l'égard des Algériens (67% de "oui" au Front de Gauche, et 54% au PS). Au contraire à l'UMP et au FN, les sympathisants sont majoritairement hostiles (54% et 62% respectivement). Quelle est l'évolution de la droite et la gauche française à l'égard de la colonisation ?

C'est une histoire complexe et la gauche a longtemps été divisée sur cette question. Ce n'est que dans les dernières années de la colonisation que la gauche a été unanimement contre. Et au fur et à mesure que la France a connu une immigration post-coloniale, donc de personnes qui ont vécu la colonisation mais en étant du côté des colonisés, une histoire particulière s'est développée au sein de cette population, qui s'est transmise, et il y a donc une évolution naturelle du nombre de personnes qui peuvent émettre aujourd'hui une opinion très négative. A droite, on voit aussi une évolution, notamment au Front national où, sous notammment l'impulsion de Florian Philippot, il y a une revendication "gaulliste" et donc une posture plus nuancée sur la question coloniale.

Il semble que les jeunes se sentent peu concernés par le sujet, puisque 47% des 25-34 ans se disent sans opinion contre 9% chez les retraités. Le passé colonial de la France en Algérie désintéresse-t-il les jeunes Français, y a-t-il une perte d'intérêt au fil du temps ?

Les plus âgés ont vécu cette période et il s'agissait d'une vraie question au cours de leur jeunesse. Les plus jeunes non et n'ont pas suivi d'études leur permettant d'en comprendre les enjeux. leur opinion est donc plus friable, et surtout plus susceptible d'évoluer selon le contexte politique et le discours des dirigeants.

Quel est le rapport des Français aux autres pays anciennement colonisés (en mettant donc de côté le cas de l'Algérie) ?

On a très peu de données pour le dire. L'histoire de l'Algérie a tendance à investir toutes les questions que l'on peut poser sur la colonisation, montrant en cela des lacunes dans l'enseignement de l'Histoire en France. On oublie souvent la colonisation française à Haïti et surtout toute l'histoire coloniale en Asie, qui est pourtant très importante.

En visite à Haïti mardi, François Hollande a été accueilli par des manifestants demandant "réparation" à la France suite à la somme versée par Haïti pour son indépendance. Comment ceux se positionnant en "créanciers" de la France sont-ils perçus par les Français ?

Le cas d'Haïti est particulier : le mouvement de décolonisation y est ancien et Haïti a été contraint de payer une somme d'argent à la France pour se voir reconnaître comme un pays indépendant, et c'est le remboursement de cette somme qui est aujourd'hui demandé. Du moins par une partie de l'opinion, car le gouvernement haïtien n'est plus sur cette position, officiellement. L'idée d'une réparation dans l'opinion publique française passe de toute façon très difficilement, sauf chez les électeurs les plus à gauche, notamment car l'histoire coloniale et mal connue et que la tendance est de penser que le passé appartient au passé. C'est d'ailleurs la position adoptée par le président François Hollande. 

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