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Dématérialisation du monde : pourquoi la révolution numérique n'est pas verte
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Atlantico Green

En dépit de son caractère dématérialisé, le numérique constitue une source de pollution du fait essentiellement du processus de fabrication des produits, mais également de leur recyclage en fin de vie. La multiplication des terminaux connectés participent largement aussi à ce phénomène.

Frédéric Bordage

Frédéric Bordage

Avec plus de 20 ans d’expérience, Frédéric Bordage est reconnu comme l'un des précurseurs et meilleurs experts Green IT et numérique responsable en Europe. En plus de ses missions de conseil auprès de grandes organisations, il intervient en expertise auprès de différentes institutions françaises pour les aider à définir des bonnes pratiques sectorielles et adapter les normes liées au Green IT et au numérique responsable. Il s’intéresse particulièrement aux moyens pour lutter contre l’obsolescence programmée, notamment via l’écoconception des services numériques, et au numérique comme un outil pour évoluer plus vite et plus efficacement vers des modèles – économiques, sociaux, etc. – durables.

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Atlantico : Quelles sont les sources de pollution numérique ?

Frédéric Bordage : La fabrication des appareils électroniques concentre les impacts environnementaux. Il y a également des impacts lorsque l’équipement n’est pas (bien) recyclé en fin de vie. Or, selon Interpol, 70 % des déchets électroniques font l’objet d’un trafic illégal. Les impacts associés à la fabrication et à la fin de vie sont nombreux : épuisement de ressources naturelles non renouvelables (énergie, minerais, etc.), dérèglement climatique, écotoxicité (pollutions diverses de l'eau, du sol et de l'air qui détériorent les écosystèmes) ; et bien sûr des impacts sur la santé humaine : nous mangeons littéralement nos ordinateurs (surtout les métaux lourds qu’ils contiennent et qui remontent la chaîne alimentaire).

Il n’y a donc pas d’impact lors de l’utilisation de nos appareils électroniques ?

Si. Mais ils sont bien moins importants que lors de la fabrication. Lors de l'utilisation, en France, il s'agit surtout de l'eau douce consommée pour refroidir les réacteurs des centrales nucléaires et transformée en vapeur d'eau, qui est un gaz à effet de serre 20 fois plus puissant que le CO2. En revanche, contrairement aux idées reçues, on dépense souvent moins d’énergie lors de l’utilisation que lors de la fabrication (énergie grise).

Qu’est-ce qui pèse le plus lourd entre nos usages numériques au bureau et à la maison ? 

Pour l’instant, l’impact est plus fort au bureau. Si on s'intéresse aux impacts d'un salarié d'une entreprise, c'est la fabrication des équipements qui constitue le problème de fond, même si d’autres types d’impacts peuvent prédominer dans certains cas (centre de données, impressions, etc.). 

Cependant, l’impact de nos usages connectés dépassera rapidement celui de notre vie professionnelle. Contrairement aux idées reçues, les centres de données ne représentent pas la principale source d'impact. C’est la multiplication des terminaux connectés qui est la plus grosse source d’impacts. En 20 ans, on est passé d’un seul ordinateur par foyer à un ordinateur ou plus par personne, un smartphone, puis des tablettes, des montres, etc. Il faut s’attendre à un gigantesque effet rebond (paradoxe de Jevons) avec les objets connectés qui se multiplient à toute vitesse. D’un point de vue environnemental, l’Internet des objets (IoT) risque d’être catastrophique.

Comment diminuer cette pollution ?

Il faut utiliser le moins possible d'équipements (réduire leur nombre), et le plus longtemps possible (allonger leur durée de vie). C'est la règle fondamentale du numérique responsable. Pour allonger la durée de vie des équipements, il faut travailler à plusieurs niveaux : allonger la durée de garantie légale, mieux concevoir les équipements pour, notamment, favoriser leur réparation et  leur réemploi, etc. Des associations comme HOP (Halte à l'Obsolescence Programmée : www.halteobsolescence.org) et des ONG comme les Amis de la Terre (www.amisdelaterre.org/obsolescence.html) travaillent sur ces sujets.

Mais le principal levier reste l’écoconception des logiciels, à la fois pour réduire le nombre d’équipements et allonger leur durée de vie. En effet, vous ne remplacez pas votre ordinateur parce qu'il ne fonctionne plus, mais parce qu'il rame à cause de logiciels toujours plus gras / obèses. Il faut donc faire faire un régime aux logiciels, sites Web et autres services en ligne. Cette démarche de frugalité / sobriété ne vise pas les développeurs, mais les personnes qui conçoivent les logiciels et autres sites Web. C’est un point clé. Car si vous agissez au niveau du code, vous ne supprimez pas le gras. Vous créez juste du gras bio. Or, ce qu’il faut, c’est enlever le gras.

Grâce à l’écoconception logicielle, il est possible de diviser par plus de 100 la pollution associée à un site Web (LinkedIn = 112 fois moins de serveurs, Deutch Bahn = 708 fois moins de bandes passantes, etc.) pour un même service rendu. C’est évidemment très intéressant aussi d’un point de vue économique.

Finalement, ce système tout électronique pollue-t-il plus que notre système papier ?

On ne peut pas opposer ou comparer le papier et les octets. Ces deux supports ont des impacts différents et pas au même moment du cycle de vie. La fabrication de la pâte à papier consomme par exemple beaucoup d'eau, induit des pollutions chimiques, et contribue, dans certains cas, à détruire les forêts primaires (réserves inestimables de biodiversité). Pour le numérique, l'épuisement de ressources non renouvelables (minerais notamment) est un impact plus important et les pollutions chimiques ne sont pas les mêmes. Si bien que la comparaison et l'opposition n'ont pas de sens.

La révolution numérique portait la promesse écologique de la dématérialisation. Etait-ce une erreur ?

Je ne sais pas qui faisait cette promesse, mais c’était un mensonge et / ou du greenwashing. La dématérialisation n’a jamais réduit la consommation de papier. Au contraire, à l’échelle mondiale et sur un siècle, plus on dématérialise (radio, télévision, micro-informatique, internet, etc.) et plus on consomme de papier. Pour une raison très simple : un document numérique est bien plus facile à dupliquer et imprimer qu’un document papier. C’est ce qu’on appelle un effet rebond. On reçoit et envoie par exemple bien plus de courriels (100 par jour en moyenne) que de courriers papiers avant l’apparition de l’Internet.

En revanche, la dématérialisation radicale – qui consiste à transformer un document papier en une donnée structurée manipulée par un logiciel / service en ligne – peut réduire significativement les impacts environnementaux. C’est par exemple le cas des factures réellement dématérialisées (EDI) dont l’impact environnemental est bien moindre que celui des factures papier et numériques (PDF).

Dans la mesure où nous sommes de plus en plus connectés, peut-on dire que nous sommes donc de plus en plus pollueurs ? 

En terme d’impacts directs, oui, c’est mécanique. Mais en bilan global, pas forcément. Nous devons réapprendre à vivre ensemble, (re)mutualiser l’économie et mieux gérer les processus (par exception). Si le numérique y contribue, son empreinte globale peut être positive. Il y a une énorme différence entre regarder une vidéo débile en 4G et utiliser un site de covoiturage pour remplir sa voiture. On peut aussi sauver des vies grâce à un simple SMS ou des yeux grâce à un simple smartphone.

Au final, notre empreinte numérique peut être positive ou négative. C'est à chacun d'entre nous de le décider, chaque jour.  Mais dans tous les cas, il faut arrêter de se prosterner devant le "dieu technologie" en attendant des miracles. Pour réduire les impacts des livres, mieux vaut construire des bibliothèques que des smartphones.

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