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Crise de l'Europe : le chemin qui permettrait d'en sortir
©Reuters

Le Nettoyeur

A mi-chemin entre les courants fédéralistes et souverainistes, une troisième option pourrait permettre de sortir l'Europe de l'impasse : construire une union principalement économique, avec la libre circulation des biens, des services et des personnes mais sans super-Etat ou super-gouvernement.

Pascal-Emmanuel Gobry

Pascal-Emmanuel Gobry

Pascal-Emmanuel Gobry est journaliste pour Atlantico.

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Est-il enfin possible d'admettre que la construction européenne est en crise ? Est-il enfin possible d'admettre qu'il faut peut-être changer de direction ? Après le référendum de 2005 ; après la crise de l'euro ; après ces élections qui propulsent les partis populistes ?

Le mot approprié pour la situation du projet européen est bien celui de crise. Le terme nous vient d'Aristote, qui le tenait lui-même de son père, médecin. C'est un terme médical : dans la médecine grecque antique, la crise est le moment où les symptômes du patient sont révélés et le médecin doit faire le bon diagnostic et appliquer le bon remède. Après la crise, il n'y a que deux options possibles : soit le patient est guéri, soit il meurt, selon que le médecin aie bien détecté la crise et l'aie bien lue, ou pas. C'est dans ce sens qu'il faut comprendre la crise de la construction européenne : le patient est en danger de mort. Si on ne fait pas le bon diagnostic, le patient mourra.

Quel est ce bon diagnostic ?

Il faut commencer par ce qui devrait être une évidence : il n'est pas possible, dans l'état actuel des choses et dans tout avenir prévisible, d'avoir une Europe fédérale, à moins d'abolir la démocratie en Europe. Europe fédérale, ou Europe démocratique, il faut choisir. Parce que les peuples européens rejettent une Europe fédérale. Ils ne l'ont pas seulement fait savoir par de nombreux scrutins. Ils l'ont fait savoir par leur comportement pendant la crise.

La crise économique de l'Europe est une crise de l'euro, mais c'est une crise parce que les européens se sentent citoyens de leur nation d'abord et européens ensuite. L'euro est une monnaie pour des peuples qui ont des niveaux de productivité très différents. Une monnaie unique pour des niveaux de productivité différents créent des dislocations économiques, puisque pour certains la monnaie sera soit trop forte, soit trop faible. La réponse est soit d'abandonner la monnaie unique, soit de mettre en place une redistribution des plus productifs vers les moins productifs. Dans les unions monétaires dont les membres se sentent liés par une citoyenneté commune, cette redistribution va de soi : aux Etats-Unis, l'état de New York est bien plus productif que l'état du Mississippi, mais ça ne met pas en jeu l'éxistence ou même la solidité du dollar, parce que l'Etat fédéral organise la redistribution entre les états. Et si, ce qui est normal dans toute union politique, il y a des débats autour du niveau de cette redistribution, personne ne remet en cause sa légitimité.

La crise de l'euro nous a donné précisément l'image inverse. Le peuple allemand, pourtant le plus fédéraliste des peuples européens, ne veut pas redistribuer ses ressources durement gagnées pour compenser les grecs et autres peuples moins productifs. Le contraste avec la réunification allemande est frappant : l'Allemagne de l'Ouest a accepté de s'appauvrir massivement et de ralentir la croissance du pays pendant 10 ans pour payer l'intégration des Allemands de l'Est. Pourquoi ? Les allemands de l'Ouest et de l'Est se ressentent membres de la même nation. Ce n'est pas le cas - c'est le moins qu'on puisse dire - des allemands et des grecs.

S'il y avait eu une volonté populaire d'union fédérale européenne, il n'y aurait jamais eu de crise de l'euro - point. C'est en ce sens que, au-delà des questions techniques de traités ou d'économie monétaire, la crise de l'euro est une crise de la construction européenne.

Pourtant, comme le fou du proverbe qui fait sans arrêt la même chose en attendant à chaque fois une conséquence différente, nos élites n'ont pas fait le diagnostic de la crise. La réponse à chaque rejet de l'Europe est toujours plus d'Europe. Etant donné qu'il est évident que s'il n'y avait pas de rejet de l'Europe la réponse serait aussi plus d'Europe, on voit l'aspect pathologique de la fixation idéologique : quelque soit la question, la réponse est toujours la même. John Maynard Keynes, à qui on reprochait après la crise de 1929 d'avoir changé ses théories, répondit “Quand la situation change, je change mon point de vue - pourquoi, vous vous faites quoi?”

Lorsque j'écris qu'il faut choisir entre une Europe fédérale et une Europe démocratique, parfois je me dis que les élites européennes sont d'accord avec moi et fait leur choix : les “avancées” sont faites en dépit des choix démocratiques des peuples, depuis les référendums de 2005 suivi par le Traité de Lisbonne, puis l'union bancaire, et maintenant ces élections parlementaires dont, chacun sait, les résultats ne seront pas suivis de changement de politique. Il y a chez certains européïstes un utopisme qui fait penser au marxisme : la dialectique historique rend inévitable notre nouveau paradis des peuples ; chaque crise est une opportunité "d'accroître les contradictions" ; et si des gens résistent à la grande marche vers l'avenir, ma foi, on ne fait jamais d'omelette sans casser des oeufs.

Aujourd'hui, la question de l'Europe fédérale n'est plus une question théorique de point de vue idéologique, c'est une question de fait. Les européens ne veulent pas d'Europe fédérale. Point. Les faits, disait Lénine, sont têtus.

Alors, que faire ? En France, notre débat ne semble contenir que deux options : l'option fédéraliste des partis de gouvernement, et l'option que l'on pourrait appeler socialo-souverainiste des autres partis, c'est-à-dire une Europe dont la fonction principale, avec ou sans euro, avec plus ou moins de compétences pour Bruxelles, serait de mettre en place un protectionnisme économique. Le problème de cette option est qu'elle serait désastreuse économiquement.

Il y a pourtant une troisième option, qui me semble être la seule vraiment viable, compatible avec la démocratie et l'économie, celle que j'appellerai l'option britannique : faire de l'Union européenne une union principalement économique, avec la libre circulation des biens, des services et des personnes, mais sans super-Etat ou super-gouvernement.

Pour les souverainistes, cette vision atteindrait leur objectif principal, qui est le maintien de la souveraineté nationale. Pour ceux qui caressent encore le rêve fédéraliste, ils pourraient voir cette vision comme une concession à la réalité, une courte pause dans la grande marche inévitable de l'histoire qui permet à tout le monde de respirer.

Et pour les européens, ils auraient enfin une Europe qui répond à leurs attentes, qui leur donne plus de prospérité tout en respectant leur identité.

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