Ces droits des populations largement ignorés par le Congrès mondial de la nature au nom d'un environnement idéalisé<!-- --> | Atlantico.fr
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Des membres des ONG "Notre affaire à tous" et Pollinis prennent la parole lors d'une conférence de presse à l'UICN à Marseille, le 9 septembre 2021.
Des membres des ONG "Notre affaire à tous" et Pollinis prennent la parole lors d'une conférence de presse à l'UICN à Marseille, le 9 septembre 2021.
©Christophe SIMON / AFP

Atlantico Green

Ce congrès des Nations-Unies s’est en outre tenu ce mois-ci sous l’œil complaisant d’acteurs économiques figurant parmi les plus grands pollueurs de la planète.

Guillaume Blanc

Guillaume Blanc

Guillaume Blanc est maître de conférences en histoire contemporaine à l'Université Rennes 2, Tempora (UR 7468). Il est chercheur associé au CAK (UMR 8560) et au LAM (UMR 5115).
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Atlantico : Quel était l'objectif du « Congrès mondial de la nature », organisé en France par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) début septembre ?

Guillaume Blanc : L’objectif est clair : « définir les priorités et guider les actions de conservation et de développement durable ». Et pour cela, l’UICN entendait notamment affiner la mise en œuvre du programme « 30 x 30 » : avoir instauré des aires protégées sur 30% de la surface terrestre de la planète, d’ici à 2030. Voilà qui explique l’écho positif qu’a reçu le Congrès dans la presse française et internationale. Non seulement l’UICN défend une cause globale (protéger la nature), mais face à l’urgence écologique elle propose donc des solutions concrètes (mettre la nature en parc).

Cela n’a pas suffi, toutefois, à apaiser les craintes des plus sceptiques. Ainsi le vendredi 3 septembre en fin d’après-midi, alors qu’au parc Chanot le président Macron prononçait le discours d’ouverture du Congrès, l’ONG Survival International organisait une autre manifestation, le long de la Canebière. On y trouvait notamment Blaise Mudodosi, Delcasse Lukumbu, Birendra Mahato, Mordecai Ogada ou encore Juan Pablo Gutierrez, représentants de communautés locales habitant des aires protégées déjà mises en place avec l’aide de l’UICN. Ces derniers viennent du Kenya, de République démocratique du Congo, de Colombie, d’Inde ou encore du Népal. Et tous racontent le même quotidien : passages à tabac, expulsions et surtout criminalisation des agriculteurs et des bergers vivant dans ou autour de ces aires protégées.

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Il y a deux façons de voir les choses. La première serait d’opposer d’un côté les conservationnistes de l’UICN qui défendraient la nature, et de l’autre les grandes entreprises qui les financeraient et les contraindraient, alors, à une certaine bienveillance à leur égard. La réalité est plus complexe.

Le vrai problème est que ceux qui détruisent sont aussi ceux qui protègent. Si l’on prend le cas des parcs nationaux africains, le paradoxe est frappant. À la fin du 19e siècle, les colons européens ont tellement intensifié la chasse sportive et commerciale que la grande faune est sur le point de disparaître. Alors ils créent des réserves de chasse, et en expulsent les populations locales. Puis, dans les années 1930, la faune continue de s’effondrer et l’essor de l’agriculture intensive accélère la déforestation. Les mêmes chasseurs organisent alors la conversion des réserves en parcs nationaux et pour cela, ils se regroupent dans l’Office international pour la protection de la nature. Créé en 1934, celui-ci sera renommé UICN en 1956.

Bien entendu, les choses en changé depuis. Mais pas l’esprit. Dans les parcs nationaux éthiopiens, par exemple, les experts de l’UICN recommandent la mise en place d’une protection plus rigoureuse, la banque allemande de développement KfW finance les projets dits de « conservation communautaire », et la firme internationale Intersocial Consulting organise le déplacement des populations hors des parcs. Et le phénomène se répète dans le monde entier puisque cette firme planifie des projets de « développement durable » pour Rio Tinto, Total ou Exxon Mobil, avec des experts en conservation investis dans le projet.

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Voilà pourquoi l’UICN, Nutella, Veolia ou l’Oréal travaillent ensemble. Depuis plus d’un siècle, telle qu’elles sont mises en place en Afrique, les politiques globales de la nature fonctionnent comme un trompe l’œil : nous pouvons continuer à détruire ici, parce que nous protégeons là-bas.

L'UICN soutient la mise en place en Afrique d'«aires protégées» en Afrique. Comment les populations locales sont-elles affectées par ces projets ?

L’UICN est loin d’être seule ici. Il y a également l’Unesco, le WWF ou la Fauna & Flora International (FFI). Et leur action consiste à naturaliser les aires protégées d’Afrique. Pour cela, les expulsions de populations ont été massives tout au long du 20e siècle : Daniel Brockington et James Igoe les ont évaluées à 1 millions de déplacés au minimum, 14 millions au maximum.

Et aujourd’hui encore, tandis que des dizaines de milliers d’agriculteurs et de bergers sont expulsés, des millions d’autres sont punis d’amendes ou de prison pour avoir cultivé la terre ou fait paître leurs troupeaux. Cette réalité est choquante, mais les archives ne mentent pas.

Que vous inspire cette façon de penser la conservation de l'environnement à la place des populations qui sont les premières concernées ?

En tant qu’historien, ce n’est ni mon rôle ni mon métier que de proposer des solutions. J’insisterais simplement sur la nécessité d’utiliser l’histoire pour voir sereinement la façon dont les erreurs passées pèsent sur le présent. La croyance selon laquelle le monde moderne devrait sauver l’Afrique des Africains nous vient de l’époque coloniale : rien de dramatique à reconnaître cette histoire. Le problème, en revanche, est de continuer à croire qu’en privant les agriculteurs et les bergers africains du droit d’habiter la « nature », nous faisons quelque chose pour l’environnement. Si nous voulons sauver la planète, quel que soit notre bord politique, il est temps de reconnaître que le consumérisme et le capitalisme détruisent la terre. Et s’en prendre à la petite paysannerie africaine n’y changera rien.

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