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Yann Moix : si l’enfant ne meurt
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Chroniqueur trois années durant dans l’émission de Laurent Ruquier( ONPC), l’écrivain-réalisateur Yann Moix, figura voici peu chez Thierry Ardisson (« Les terriens du samedi »). L’émission n’étant pas reconduite, le romancier (« Jubilation vers le ciel », Prix Goncourt du Premier Roman1996), (« Naissance », Prix Renaudot 2013) s’est remis à l’écriture.Résultat : « Orléans » (Grasset), autofiction sur le mode « Painting » (1946) de Francis Bacon. Un tableau saignant. Durant les coups administrés par son kinésithérapeute de père, honorablement connu à Orléans, sa mère en rajoutait, l’insultant. Or, les « parents » Moix réfutent à longueur de colonnes leur statut de bourreaux d’enfant. Yann Moix assume, et la polémique fait vendre.Arrêt sur image (s).

Annick Geille

Annick Geille

Annick GEILLE est écrivain, critique littéraire et journaliste. Auteure de onze romans, dont "Un amour de Sagan" -publié jusqu’en Chine- autofiction qui relate  sa vie entre Françoise Sagan et  Bernard Frank, elle publia un essai sur  les métamorphoses des hommes après  le féminisme : « Le Nouvel Homme » (Lattès). Sélectionnée Goncourt et distinguée par le prix du Premier Roman pour « Portrait d’un amour coupable » (Grasset), elle obtint ensuite le "Prix Alfred Née" de l'Académie française pour « Une femme amoureuse » (Grasset/Le Livre de Poche).

Elle fonda et dirigea  vingt années durant divers hebdomadaires et mensuels pour le groupe « Hachette- Filipacchi- Media » - tels le mensuel Playboy-France, l’hebdomadaire Pariscope  et «  F Magazine, »- mensuel féministe racheté au groupe Servan-Schreiber, qu’Annick Geille reformula et dirigea cinq ans, aux côtés  de Robert Doisneau, qui réalisait toutes les photos. Après avoir travaillé trois ans au Figaro- Littéraire aux côtés d’Angelo Rinaldi, de l’Académie Française, elle dirigea "La Sélection des meilleurs livres de la période" pour le « Magazine des Livres », qui devint  Le Salon Littéraire en ligne-, tout en rédigeant chaque mois une critique littéraire pour le mensuel -papier "Service Littéraire".

Annick Geille  remet  depuis quelques années à Atlantico -premier quotidien en ligne de France-une chronique vouée à  la littérature et à ceux qui la font : «  Litterati ».

Voir la bio »

« Les traits les plus marquants d'un caractère se forment et s'accusent avant qu'on en ait pris conscience »,  note André Gide (1869-1951) dans « Si le grain ne meurt »(« ce titre fait allusion aux versets de l'Évangile selon Jean :

« Si le grain de blé qui est tombé en terre ne meurt, il reste seul ; mais, s'il meurt, il porte beaucoup de fruit. Celui qui aime sa vie la perdra, et celui qui hait sa vie dans ce monde la conservera pour la vie éternelle. »

Jean 12, 24-25

Ce titre biblique exprime tout l'enjeu de la vie de Gide : « l 'enfant obtus » qu'il reconnaît en lui-même, paralysé par l'éducation puritaine et sévère de sa mère, doit mourir et céder la place au jeune homme épanoui, créatif et libre d'esprit  qu’il sera, explique Wikipedia ) .On imagine l’impact du récit gidien sur Moix, l’enfant « obtus » d’Orléans. A la lecture des « Nourritures Terrestres » et de toute l’œuvre de Gide,  l’enfant Moix comprit la puissance formidable des mots. Les mots pouvaient dire la vie, que dis-je, les mots devaient advenir pour qu’elle fût.  Et l’on comprend l’émoi de Moix lisant cette phrase à dix ans, en sa province d’Orléans.L’Ovomaltine empoisonnée, il en avait assez. Ou aller,  à neuf ans, si l’on hait ses parents qui vous le rendent bien ( cf. « Les sentiments sont toujours réciproques ») ? Gide sera le sauveur de Yann Moix, qui, découvrant, entre deux « roustées » la littérature ( « Un monde inaccessible aux brutes et aux parents »), envisage l’avenir.  Il n’a pas encore lu Oscar Wilde, Shakespeare, Rimbaud, Camus, Ponge, Céline, Kafka, mais ça viendra. Le Christ a détruit la mort, la littérature en triomphe aussi. ( « On pouvait donc respirer ailleurs et avoir froid autrement. Je pris la décision irrémédiable de me quitter moi- même, d’abandonner mes vêtements, et jusqu’à mon corps, jusqu’à mon existence, pour ne plus me coucher et ne me lever que dans les livres. » (Yann Moix, page 49) Battre l’enfant, un crime parfait. Une mise à mort à petits feux, l’assassinat propret. L’enfant répond, désobéit, fugue, déteste son petit frère -ou sa petite sœur ( et pour cause, le cadet vit dans la douceur des baisers maternels, car  les mères n’aiment pas tous leurs enfants ). « À partir du moment où Alexandre est né, il n'a jamais pu supporter qu'il existe »,  affirme le père  de Yann Moix. Il faut savoir que les parents ne se voient jamais maltraitants ; lorsqu’ils accusent leurs enfants d’affabulations, ils sont sincères. Les coups pleuvent sans qu’ils en aient conscience, ils corrigent. Concernant les Violences intra-familiales  commises sur des mineurs, l’actualité  prouve assez combien le silence perdure. Les coups pleuvent donc, sans que rien ne change,  sauf si l’enfant meurt (deux par semaine en France)._BwEhttps://enfantbleu.org/maltraitances-des-enfants-en-france-de-nouveaux-chiffres/ L’enfant l’a bien mérité. il -ou elle- est une forte-tête. Il faut le mettre au pas, lui apprendre, le battre pour que l’éducation, en lui, fasse sensation.Moix respecte la chronologie du malheur. Il note les classes, les saisons : dedans, dehors, deux parties, comme le fit Gide dans son récit autobiographique « Si Le Grain ne meurt ». L’adulte peut changer de vie, l’enfant pas. Ou aller ? Comment survivre ? L’enfant veut mourir. Il enjambe la jetée, l’eau l’appelle, un cygne passe, l’enfant a du sable dans les poches, comme Virginia Woolf,  qu’il ignore encore.  L’enfant se dit que si c’est cela, la vie, mieux vaut l’interrompre tout de suite ; contrairement à la littérature, la vie est sans forme, pas de fonds, le chaos. L’enfant battu ne connaît pas encore la splendeur du cygne chez Modiano. Il voudrait s’élever par dessus les toits comme dans les contes de Selma Lagerlöf.  Il n’a pas encore découvert François Truffaut ( « Les films sont plus harmonieux que la vie » ),ces« Chiens perdus sans colliers », https://compagnieaffable.com/2016/08/14/largent-de-poche-le-discours-de-linstituteur/L’enfant veut juste respirer, loin des coups de ceinture ou de rallonges électriques. On peut, un jour, vivre à sa guise. On peut, un jour, vivre l’amour et la réciprocité, mais l’enfant qui veut mourir ne le sait pas. Jules Renard, Jules Vallès, Hervé Bazin, Hervé Guibert, ainsi qu’Yves Navarre,  entre autres romanciers qui nous ont quittés, en savaient quelque chose. Pour ce qui est des vivants, outre Frédéric Begbeider ( et son enfance pas folichonne), qui m’expédia une si jolie lettre (cf. il adore Sagan, elle attire les enfants tristes),il y a Yann Queffelec, mon voisin de table au Freustié. Prix Goncourt avec « Les Noces Barbares »/ Gallimard et Folio- une pensée pour Françoise Verny-, ce Yann-là connaît lui aussi la violence intrafamiliale. Quant à l’indifférence abyssale qu’incarnait la mère du meilleur d’entre nous, Patrick Modiano, Prix Nobel de littérature 2014, elle fit de son fils ce qu’il est. L’indifférence de sa mère,  l’auteur de « Rues des Boutiques Obscures » ne s’en plaignît jamais. Il la transforma en rêverie matérialisée, ce qui est pour lui la définition de l’écriture. La froideur de cette mère fut telle qu’elle poussa son chien au suicide.(« Un pédigrée »/Patrick Modiano/ Gallimard/Folio). Le prochain roman de Patrick Modiano, « Encre sympathique »/Gallimard, ( cf. « une encre qui n’apparaît que lorsqu’on fait chauffer le papier »), paraîtra en Octobre. 

De même que l’animal et le végétal sont considérés comme des choses,  auxquelles le genre humain peut infliger toutes sortes de traitements,  même si certains farfelus osent proclamer qu’il existe chez les végétaux –comme dans le règne animal- une « intelligence » et une « mémoire »,au point que les arbres communiquent entre eux (Michel Onfray/ « Cosmos », Peter Wohlleben /« La  vie secrète des arbres » de même commençons-nous à remettre en question cet enfant  réduit à l’état d’objet qu’ont fabriqué nos traditions patriarcales. « Petit enculé » ! criait la  Folcoche de Yann Moix, le poursuivant dans l’appartement d’Orléans, sans qu’aucun voisin ne bouge. L’auteur en rajoute, déformant et alourdissant cette violence ; du chaud, du cuisant assez gore, telle une réalité augmentée. 

Yann Moix  ferme les yeux et revoit ce désespoir blanc d’ Orléans, capitale mondiale des coups infligés au garçon qu’il fut ( pas longtemps), car il est mort d’une certaine façon, et lui a succédé- comme dans l’Evangile, et chez Gide, l’écrivain qu’ il est.

« Naissance » Prix Renaudot 2013, marqua son temps par  cette langue magnifique, ce bouillonnement célinien, ce flot verbal remplaçant la vie par la littérature. Le meilleur livre de Moix  c’est Naissance, ce déplacement torrentiel.

Depuis lors, il y eut quelques titres peu convaincants(« Rompre », « Dehors »). Et cette polémique (vendeuse) autour «  des femmes de cinquante ans » (  cf. une interview dans Marie- Claire). Comme Roland Barthes, Sagan détestait les généralités. « Les hommes », « les femmes »: stupidité. Il existe des femmes et des hommes. On n’aime pas une femme, ou un homme,  d’ailleurs, mais une personne.Un être singulier. Unique. Pas « d’asiatiques de vingt-cinq ans », ni de « femmes de cinquante ans », donc mais la surprise des êtres. De même que le philosophe BHL -« Bernard » pour ses proches- est le «parrain »  de Moix, Sagan fut longtemps ma marraine. Je lui dois, entre autres, la détestation des clichés. 

Auteur « des taloches et du talent », Moix  a dans la vie un défaut : il trouve François Hollande  « irrésistible ». Possédant un réseau d’ « amis » ( ?) pour lesquels je n’ai pas de passion, il sait ne pouvoir compter que sur lui. A ce propos, Laurent Ruquier, producteur d’ONPC, semblait ravi d’être débarrassé de  son écrivain encombrant ; la présence de Moix empêchait en effet « le patron » de faire ce que Ruquier aime tant au fond : parler littérature avec les auteurs qu’il invite, car tout le monde rêve d’accomplir ce pourquoi il est le moins doué.

Et  pour ceux qui, ayant été jadis battus, abusés, ne sont pas des artistes ? La délivrance s’appelle « Orléans »,  justement. Le livre.

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