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L'écrivain Michel Houellebecq, photo d'illustration AFP
L'écrivain Michel Houellebecq, photo d'illustration AFP
©EDUARDO MUNOZ ALVAREZ / AFP

Visionnaire dystopique

"Houellebecq est un visionnaire dystopique qui découvre que la réalité l'a dépassé", estime le journaliste David Engels (The European Conservative), qui a rencontré l'écrivain.

David Engels

David Engels

David Engels est historien et professeur à l'Université Libre de Bruxelles. Il est notamment l'auteur du livre : Le déclin. La crise de l'Union européenne et la chute de la République romaine. Quelques analogies, Paris, éditions du Toucan, 2013.

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Rencontrer Michel Houellebecq n'a pas été facile. Après une première acceptation rapide, la prise de rendez-vous s'est éternisée. Il avait pris du recul après le tollé suscité par ses propos prétendument islamophobes lors d'une conversation avec Michel Onfray et le scandale qui a éclaté après qu'il a été filmé en train d'avoir des relations sexuelles avec deux jeunes Néerlandaises dans le cadre d'un projet artistique. Ces deux affaires lui ont pesé et il a décidé d’attendre publication de son journal “Quelques mois dans ma vie” pour s'ouvrir à nouveau à la presse. Lorsque nous nous sommes enfin rencontrés, nous avons passé cinq bonnes heures sur la terrasse de la Brasserie Le Coche. Michel Houellebecq était d'humeur à discuter, même après la double interview épuisante qu'Ute Cohen du Tagespost avait menée avec lui et moi.

Dans la vague des scandales récents, Houellebecq, enfant terrible de la littérature française, s'est senti incompris de ses partisans comme de ses détracteurs. Dans “Quelques mois”, il présente une apologie où la figure de l'art et le moi biographique se confondent complètement. Cette apologie donne un aperçu haletant de sa profonde sensibilité, mais montre aussi qu'il avait auparavant sous-estimé l'ampleur de la guerre culturelle qui déchire l'Occident.

Lors de sa discussion avec Onfray, il a adopté une position ferme sur l'immigration musulmane massive en France. Mais lorsqu'il a été menacé de poursuites judiciaires et même de meurtre, il s'est rétracté ou a réinterprété bon nombre de ses déclarations. Lors de notre entretien, Houellebecq a insisté sur le fait que la critique française de l'immigration de masse n'était pas fondée sur la crainte de voir sa propre culture déplacée par une autre, mais uniquement sur le lien entre l'immigration et la criminalité. De plus, il ne veut pas attribuer les problèmes quasi ingérables des banlieues (terrorisme, crimes d'honneur, vandalisme, pillage, criminalité clanique) à l'islam ou à la charia - qu'il considère comme compatible, en principe, avec la législation républicaine - mais seulement à des conditions sociales défavorables.

Certes, il appelle à la fin des migrations de masse et considère la politique migratoire de Viktor Orbán comme un bon exemple politique pour y parvenir. Cependant, son refus de reconnaître le conflit entre le monde musulman et la vie occidentale ou de prendre au sérieux le grand remplacement a fait de Houellebecq, icône de la droite depuis Soumission, une persona non grata du jour au lendemain.

Houellebecq a également dû faire face à des réactions négatives en raison de son implication dans ce qui était à l'origine un projet de film largement privé. L'histoire est complexe, mais il semble que l'homme de lettres, qui considérait le film comme une sorte d'ultime mémoire érotique, se soit senti trahi et contraint de porter plainte en raison du manque d'inspiration des rencontres en question et du refus du réalisateur néerlandais de respecter le désaveu du film par Houellebecq. La polémique qui s'ensuivit et le topos, repris par la gauche comme par la droite, du vieil homme blanc dégradant les jeunes filles en simples objets sexuels ont coûté à Michel Houellebecq son statut de classique.

Cette déchéance lui était largement incompréhensible. Il n'a commencé à la comprendre qu'au cours de notre conversation. Certes, il a mis le doigt sur l'un des aspects du problème en commentant, avec un petit rire, que les féministes ne l'accusaient pas d'être macho, mais plutôt d'être "vieux et pas beau". Depuis #metoo, l'accusation d'exploitation sexuelle est particulièrement utilisée lorsqu'il y a une asymétrie quelconque entre les deux parties impliquées.

Mais ce n'est pas tout. Il me semble que Houellebecq réalise seulement maintenant que le wokisme moderne va considérablement plus loin que le féminisme classique, qui se contentait de critiquer le patriarcat et le philistinisme. Les progressistes appréciaient les romans de Houellebecq parce qu'ils contribuaient à la déconstruction de la famille "dépassée" et du libéralisme moderne. Maintenant qu'il s'agit de réconcilier les élites gaucho-vertes avec les grandes entreprises et de promouvoir la fluidité des genres, la vision libre mais extrêmement classique de la sexualité et du caractère de Houellebecq semble de plus en plus dépassée, voire dangereuse. Il est logique qu'il ait été réinterprété comme un nostalgique de droite du patriarcat.

Houellebecq est désormais assis entre deux tabourets, puisque ni la gauche ni la droite ne peuvent comprendre son apparent changement de cap sur les deux questions clés de la politique identitaire moderne, à savoir l'islam et l'identité sexuelle. J'utilise le mot "apparent", car toute personne qui lit Houellebecq avec un esprit ouvert sait qu'il ne se laisserait jamais absorber par un programme patriotique de droite pour l'Occident - dont il considère la désintégration bien trop avancée pour cela - et qu'il ne voudrait jamais que son hédonisme parfois complètement cynique soit compris comme une lutte sociale contre le capitalisme ou le patriarcat. Houellebecq a adouci ses positions sur l'islam, auparavant plutôt tranchées, et dans le cas du film porno, il est devenu la victime d'une situation qu'il a lui-même provoquée. Dans l'ensemble, cependant, Houellebecq est resté le même à bien des égards, comme le montre également sa croisade, profondément morale et aussi courageuse qu'elle semble dépassée, contre toute forme d'euthanasie, qu'il décrit comme son "dernier baroud d'honneur". C'est un visionnaire dystopique qui découvre que la réalité l'a dépassé.

>>> Cet article a été publié initialement sur The European Conservative : cliquez ICI <<<

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