Si vous voulez savoir quel était le goût du vin des Romains, ces scientifiques belges et polonais ont désormais des réponses<!-- --> | Atlantico.fr
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Durant l’Antiquité, le vin était une boisson essentielle et très répandue chez les Romains.
Durant l’Antiquité, le vin était une boisson essentielle et très répandue chez les Romains.
©Brandon Bell / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / Getty Images via AFP

Goût épicé

Le vin en lui-même représentait quelque chose de sacré : le pouvoir. Les soldats romains avaient très souvent un cep de vigne sur leur ceinturon.

Fabrizio Bucella

Fabrizio Bucella chronique la science et le vin. Docteur en physique et professeur des universités à l'université libre de Bruxelles, il tient une chronique pour Le Point "Le prof en liberté". Chaque semaine, on le retrouve dans le poste de radio et télévision belge de service public (RTBF). Sur les réseaux sociaux, il publie quotidiennement une vidéo ludique sur le vin et la science. Ses comptes sont suivis par plus de 200 000 abonnés.

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Atlantico : Durant l’Antiquité, le vin était une boisson essentielle et très répandue chez les Romains. Grâce à des travaux menés par des chercheurs belges et polonais, nous savons que cet alcool avait un goût épicé. Par quels moyens avons-nous pu faire cette découverte ?

Fabrizio Bucella : Tout d’abord grâce à des descriptions de recettes qu'on a trouvé dans des textes, notamment ceux de Pline l’Ancien sur la fabrication du vin. Ensuite, grâce aux inscriptions sur des jarres antiques (doliae) concernant les vins stockés. Enfin, grâce aux biomarqueurs des vestiges archéologiques. Ces marqueurs biologiques ont permis d’identifier certains ingrédients du vin antique, comme les épices. Ces principaux éléments ont permis aux historiens et aux scientifiques de subodorer le goût de cette boisson. Cela peut être étonnant, mais il ne faut pas oublier que les repères gustatifs de l’Antiquité étaient très différents de ceux d’aujourd’hui. Leur régime alimentaire était plus végétarien et piscicole que le nôtre, et ils adoraient les épices sur un genre aigre-doux. Ces données nous permettent d’imaginer le vin romain comme un vin qui pouvaient éventuellement avoir une certaine acidité volatile (petite odeur de vinaigre). Ce vin était dilué dans de l’eau, parfois même de l’eau de mer. Ensuite, il était épicé, éventuellement avec du miel. Boire du vin pur, était un signe de barbarie déjà chez les Grec qui mélangeaient le vin dans le cratère. Comme de juste, toute cette décoction atténuait le degré d’alcool, ce qui permettait aux Romains d’en boire jusqu’à 1 litre par jour.

En plus de l’amélioration du goût, en quoi les épices étaient-elles importantes dans le vin ? Y avait-il un message particulier ?

Le vin en lui-même représentait quelque chose de très important pour les Romains. On dit que les légions transportaient toujours trois choses : du blé à planter pour le pain, des branches d'olivier pour les olives et des ceps de vigne pour le vin. Le symbole du centurion romain était le cep de vigne, qu'il portait comme attribut de son pouvoir. Cela nous montre que la culture de la vigne leur était essentielle. Concernant les épices, il n’y avait pas de message particulier autre que gustatif et conservatoire. Il faut savoir que les épices ont un pouvoir antioxydant, anti-bactérien et anti-inflammatoire. Elles prolongent donc la conservation du vin. Jusqu'à la fin du XIXe siècle, le vin était souvent plus sain à boire que l'eau (de là découle la phrase de Pasteur sur le vin qui est la plus saine et la plus hygiénique des boissons). Grâce aux tannins, à son acidité et à l'éthanol il possède peu de microorganismes néfastes.

Le vin était donc un élément sacré dans la culture romaine. Pouvons-nous imaginer qu’il y avait un nombre de vignes conséquent durant l’Antiquité ? Était-il à la portée de tous ?

Il y avait des vignes partout. La vigne était capitale pour les Romains. On appelait parfois l'Italie antique Oenotria, c'est littéralement le pays de la vigne. Le vin était consommé par tout le monde, depuis le patricien à l'esclave. Évidemment, il y avait plusieurs gammes différentes, des plus ou moins prestigieuses. Pline raconte même qu'il y avait des crus au sens quasi moderne du terme. Il cite par exemple le Falernum. Les régions viticoles les plus renommées de l'Empire romain, étaient outre le Latium (Faliscum, Caecubum) la Campanie (Massicum), la Sicile (Mamertinum) et la Gaule (Bituricum, Allobrogicum, Lugdunense). Il faut noter qu’à cette époque, on ne faisait pas vieillir très longtemps un vin. Une récolte chassait l'autre. Le vin se conservait de septembre à septembre, le temps de la nouvelle vendange, guère plus. Cette active production permettait d’en distribuer partout et à tout le monde. Il y avait des tavernes (taberna, tabernae) des marchands de vin (vinarius, vinarii), même des sortes de spécialistes, que nous appellerions des sommeliers. En cela, c'est fort différent de l'Egypte antique où le vin était bu par les pharaons, les scribes et les notables, et les ouvriers buvaient de la bière.

Comment les Romains réussissaient-ils à fabriquer et à stocker une aussi grande quantité de vin ?

Pour cela, il y avait les doliae, des sortes jarres semi-enterrées, qui servaient à la fois à fabriquer et à conserver le vin. C'est le point crucial de ce tour de force des Romains : produire du vin en masse et de très belle facture ! Ces jarres semi-enterrées conservait au vin une température fraiche. Il y en avait de toutes les tailles, de centaines de litres à des milliers de litres. Elle servait à la fois à fabriquer le vin, à le stocker et à le transporter. De nombreuses doliae ont été découvertes dans des sites archéologiques à travers l'Empire romain. Elles nous ont donné des informations précieuses sur les pratiques viticoles de l'époque. Les inscriptions trouvées sur certaines doliae fournissent des détails sur le vin qui y était stocké, ainsi que sur son origine et sa destination. Le vin issu des doliae était un vin de macération. On pense qu'il devait se développer un petit voile de levure en surface qui protégeait le vin et lui ménageait une petite oxydation. Une fois retiré des doliae, le vin était placé dans des amphores plus petites pour le transporter dans les tabernae (tavernee), mercatoria (échoppes)… La Roma antiqua était très organisée, le commerce était florissant. On trouvait de tout dans les villes, jusqu'à ce que nous appellerions le moulin banal et le four banal, des entrepôts de stockage... La chaine de production romaine était efficace. Le pouvoir républicain et ensuite impérial ne craignait rien moins qu'une révolte en cas de pénurie de pain ou de vin. 

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