"Ruy Blas" de Victor Hugo : qui part à la chasse…<!-- --> | Atlantico.fr
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La pièce "Ruy Blas" de Victor Hugo est à voir au Théâtre Marigny à Paris.
La pièce "Ruy Blas" de Victor Hugo est à voir au Théâtre Marigny à Paris.
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La pièce "Ruy Blas" de Victor Hugo est à voir au Théâtre Marigny à Paris.

Jean Ruhlmann pour Culture-Tops

Jean Ruhlmann pour Culture-Tops

Jean Ruhlmann d’abord professeur d’histoire en collège, est actuellement enseignant-chercheur en histoire contemporaine à l’université de Lille – Charles de Gaulle. Le théâtre est une passion qui remonte à sa découverte du Festival d’Avignon ; il s’intéresse également aux séries télévisées. Il est, avec Charles Edouard Aubry, co-animateur de la rubrique théâtre et membre du Comité Editorial de Culture-Tops.

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RUY BLAS

De Victor Hugo

Durée : 2 heures sans entracte

Mise en scène : Jacques Weber

Avec Stéphane Caillard, Basile Larie, Kad Merad, Jean-Paul Muel, Jacques Weber (et des apprentis-comédiens du studio ESCA).

INFOS & RÉSERVATION

Théâtre Marigny

1 avenue de Marigny

75008 PARIS

01 86 47 72 77

https://www.theatremarigny.fr/

Jusqu'au 30 décembre 2023. Du mercredi au dimanche 20h, les samedi et dimanche séance également à 15h00.

Notre recommandation : 3/5

THÈME

A la cour du roi d’Espagne, au XVIIe siècle, le marquis Don Salluste, homme de pouvoir et d’intrigue hors pair, vient d’être chassé par la jeune reine, pour avoir engrossé une de ses suivantes.

Aussitôt, il ourdit une machination pour se venger de la souveraine, et pour cela pense recruter l’un de ses parents, le truculent Don César. Celui-ci, un comte tombé dans la canaille, ne l’est cependant pas au point d’abattre une femme et donc de rentrer dans les combinaisons de son machiavélique cousin, qui va dès lors l’écarter de manière assez expéditive.

Salluste se tourne alors vers son laquais, Ruy Blas, un jeune homme énergique et issu du peuple, qui lui a juré fidélité absolue, et dont il a bien vu qu’il est amoureux transi de la reine. Or celle-ci est par chance négligée par un roi, que sa passion pour la chasse tient loin de la Cour et de son épouse.

La duègne particulièrement stricte et revêche qui chaperonne la reine n’est pas un obstacle pour Don Salluste, qui fait présenter à la Cour Ruy Blas sous le nom de Don César. A mesure que Ruy Blas gagne en influence au sommet de l’Etat, l’implacable mécanisme de sa tragédie se met en place : comment combiner son obéissance jurée sur l’honneur envers Don Salluste sans perdre celle qui l’aime et n’est pas insensible à son charme ? Mais le vrai Don César n’a pas dit son dernier mot…

POINTS FORTS

Le texte de Hugo garde une sève et de une vigueur intactes, qui soutiennent l’attention d’un public plus trop habitué à entendre des pièces en vers sur plus de deux heures. Hugo manie l’hyperbole comme personne, il ose les métaphores les plus acrobatiques, retombe sur ses pieds (pour ainsi dire, s’agissant de vers…) et délivre des formules fracassantes (voir plus bas « Un extrait »), qui résument tout en quelques mots. Le dramaturge offre des tirades flamboyantes (celle de Don César à Don Salluste), qui sont un régal pour des comédiens amoureux du beau verbe.

Dans cette catégorie, Kad Merad, admirable de bouffonnerie maîtrisée, relève le défi haut la main. Il campe un Don César débonnaire, extraverti, bon vivant, drôle et humain, quoiqu’“en même temps“ (Marigny ne jouxte-t-il pas le palais de l’Elysée ?) une canaille de la plus belle eau. Ce comédien porte à lui seul toute la part de farce d’une pièce lumineuse et gaie par certains côtés, sombre et tragique de l’autre. Indéniablement, Kad Merad démontre par sa performance comment Hugo rendit hommage à Molière pour composer son Ruy Blas. Le comédien est épaulé par Jean-Paul Muel, qui compose un Don Guritan s’accordant parfaitement avec sa prestation en Don César.

Il faut aussi mentionner le remarquable travail de Michel Dussarrat et son équipe aux costumes, notamment pour habiller les femmes. Il donne à la Reine une allure digne de son rang, et au cortège royal celle d’un défilé de mode particulièrement réjouissant et chatoyant. Dans cet ensemble, la tenue stricte de Don César-Ruy Blas fait contraste, et la bonne idée est de l’habiller d’un costume trop grand pour lui, ce qui vaut ici au sens propre comme au sens figuré… De la même manière, le vrai Don César surgit, sacs Tati en mains, affublé de haillons assez comiques, épinglés de Pin’s réjouissants (“ I Love Johnny“, “Obama 2008“) !

Les éclairages de la scène par le plafond, avec des fourreaux mobiles verticalement sont une excellente idée, qui appuient l’idée de l’écrasement tragique des destinées de ces deux héros romantiques aux destins sacrifiés que sont, aux deux extrémités du spectre social et politique, Ruy Blas et la reine d’Espagne.

QUELQUES RÉSERVES

Jacques Weber est le chef d’orchestre de ce Ruy Blas, et si au plan de la mise en scène, la qualité de son travail ne peut être mise en cause, il n’en va pas de même dans le rôle qu’il interprète. Par effet de la fatigue, d’un essoufflement, d’un mal de gorge passager ou d’une position de la tête (menton souvent baissé sur le cou) inappropriée, ses difficultés d’énonciations ne passent pas inaperçues. Au point qu’au début de la représentation, on ne distingue pratiquement rien des tirades qu’il prononce, et comme le comédien-metteur en scène revendique la part du lion dans la première partie de la pièce, cela pose un problème certain .

De la même manière, sa posture et son élocution par trop martiales et grandiloquentes contrastent un peu trop fortement avec la dimension sournoise et machiavélique associée au rôle de Don Salluste, sorte de Fouché transposé en pleine Cour d’Espagne.

ENCORE UN MOT...

L’intérêt de la pièce réside sans doute dans sa dualité : sur un fond tragique bien caractéristique du romantisme, courant dans lequel Hugo fit ses premières armes, le dramaturge a su instiller une vis comica très percutante, et le public ne s’y trompe pas, qui réserve des rires mérités aux entrées et sorties tonitruantes de Kad Merad - Don Salluste.

D’un point de vue historique, le propos de la pièce n’est pas anodin non plus, car Hugo l’écrit quand la Monarchie de juillet (1830-1848) s’est fossilisée dans un régime personnel où le souverain Louis-Philippe Ier s’est entouré de gens d’influence et de ministres pas toujours aussi honnêtes que le premier d’entre deux, l’austère François Guizot. On comprend alors mieux la charge - très bien “mise en cène“ par Weber - contre des Grands d’Espagne corrompus et concussionnaires à souhait, qui se partagent les prébendes et les gratifications, alors que l’empire espagnol, édifié au « siècle d’or » (XVIe siècle), commence à prendre l’eau de toutes parts…

De la même manière, Ruy Blas constitue un jalon important dansle virage qui conduisit Victor Hugo, d’abord monarchiste et assez peu sensible à la “question sociale“, à prendre fait et cause pour le peuple (incarné ici par Ruy Blas) et la République, régime qui lui rendra, pense-t-il, un pouvoir confisqué par les élites de la monarchie censitaire.

UNE PHRASE

Quelques punchlines hugoliennes :

Don Salluste :

- « Je ne veux pas tomber, je veux disparaître. »

- « Les femmes aiment à sauver ceux qui les perdent."

Don César [parlant de Don Salluste] :

Quand la bouche dit “Oui“ / Le regard dit “Peut-être“. »

Ruy Blas :

« Je suis plus qu’un roi / Puisque la reine m’aime. »

L'AUTEUR

Victor Hugo (1802-1885), qu’on ne présente plus, est un monument de la littérature française, et même mondiale. Sa réputation immense était établie de son vivant, et reposait sur une œuvre considérable et des talents variés : romancier, mais aussi poète et dramaturge.

Hugo écrivit Ruy Blas en un mois à l’été 1838, et porta la pièce sur scène dès novembre 1838 dans la salle Ventadour. Ruy Blas reçut un très bon accueil du public, mais bien plus de réserves de la part de la critique. Ce n’est qu’une fois la IIIe République installée (en 1879 et ce n’est pas un hasard), que la pièce rentra au répertoire de la Comédie-Française.

Certaines reprises firent date, comme celle de Jean Vilar en 1954 avec Gérard Philipe dans le rôle-titre, et celle de Georges Wilson en 1992, avec Lambert Wilson dans le rôle-titre.

Au plan cinématographique, tout le monde se souvient de la façon dont Gérard Oury, alors au sommet de son talent, se saisit de l’intrigue de Ruy Blas pour réaliser La Folie des Grandeurs (1971), avec Louis de Funès, inoubliable dans le rôle de Don Salluste (« Les riches c’est fait pour être très riche, et les pauvres très pauvres ! »), et Yves Montand, non moins remarquable (« Monsign-or, il est l’or / L’or de se réveiller … »), dans celui de « Blase »…

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