Pierre Péju : « la jeune fille ou la fabrique du féminin »<!-- --> | Atlantico.fr
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Pierre Péju publie « Métamorphoses de la jeune fille » aux éditions Robert Laffont.
Pierre Péju publie « Métamorphoses de la jeune fille » aux éditions Robert Laffont.
©Francesca Mantovani / DR

Atlantico Litterati

Pierre Péju publie ces jours-ci « Métamorphoses de la jeune fille » aux éditions Robert Laffont, prouvant que les hommes peuvent eux aussi penser le féminisme contemporain.

Annick Geille

Annick Geille

Annick GEILLE est écrivain, critique littéraire et journaliste. Auteure de onze romans, dont "Un amour de Sagan" -publié jusqu’en Chine- autofiction qui relate  sa vie entre Françoise Sagan et  Bernard Frank, elle publia un essai sur  les métamorphoses des hommes après  le féminisme : « Le Nouvel Homme » (Lattès). Sélectionnée Goncourt et distinguée par le prix du Premier Roman pour « Portrait d’un amour coupable » (Grasset), elle obtint ensuite le "Prix Alfred Née" de l'Académie française pour « Une femme amoureuse » (Grasset/Le Livre de Poche).

Elle fonda et dirigea  vingt années durant divers hebdomadaires et mensuels pour le groupe « Hachette- Filipacchi- Media » - tels le mensuel Playboy-France, l’hebdomadaire Pariscope  et «  F Magazine, »- mensuel féministe racheté au groupe Servan-Schreiber, qu’Annick Geille reformula et dirigea cinq ans, aux côtés  de Robert Doisneau, qui réalisait toutes les photos. Après avoir travaillé trois ans au Figaro- Littéraire aux côtés d’Angelo Rinaldi, de l’Académie Française, elle dirigea "La Sélection des meilleurs livres de la période" pour le « Magazine des Livres », qui devint  Le Salon Littéraire en ligne-, tout en rédigeant chaque mois une critique littéraire pour le mensuel -papier "Service Littéraire".

Annick Geille  remet  depuis quelques années à Atlantico -premier quotidien en ligne de France-une chronique vouée à  la littérature et à ceux qui la font : «  Litterati ».

Voir la bio »

Présentation du livre 

« Les jeunes filles désormais peuvent s'inventer. « Ta mère en ce miroir que tu lui tends rappelle le bel avril de son jeune âge », disait déjà Shakespeare : phrase magnifique qui n’a pas pris une ride- c’est le cas de le dire au sujet de l’ex jeune fille devenue vieille- car la femme qui n’est plus jeune est toujours frappée d’ostracisme.« Toute vieille ou très vieille femme est associée à un « devenir sorcière » toujours possible.Ensorceleuse ou ensorcelée », dit Pierre Péju dans « Métamorposes de la jeune fille » (Laffont). Le livre d’un homme égalitaire, un regard masculin sur l’évolution du principe féminin. « La vraie Jeune Fille n'existe pas. Elle n'est qu'une image, séduisante pour les hommes comme pour lesfemmes, élaborée par un imaginaire essentiellement patriarcal », constate l’auteur.

Dans cet essai brillant, l’écrivain- philosophe Pierre Péju ( voir nos « repères » ci-dessous) prouvequ’un homme peut parler dela fabrique du féminin 2023 avecautant de tact, de science du sujet et detalent qu’une théoricienne du féminisme le plus aigu, le plus contemporain ;féru d’histoire, de philosophie et passionné de littérature,Pierre Péju montre le chemin de l’égalité et d’une fraternité remarquable et remarquée, au masculin. Les Jeunes Filles se « métamorphosent » au fil de sespages comme dans nos sociétés : autant de tentatives d'émancipation etde désirs de liberté quel’écrivain observe avec perspicacité, chaque jeune fille qu’il nous présente ôtant métaphoriquement son foulard … pour vivre sa vérité.

Auteur de nombreux ouvrages-ce qui n’est pas donné à tout le monde, quel que soit le genre du locuteur- Pierre Péju, dans cette étude de la jeune fille- ses métamorphoses et son avenir-peint ses rencontres avec desadolescentes exemplaires qui, dans les mythes, contes, tragédies, récits bibliques, romans classiques, légendes et films contemporains, « ont toutes su élaborer des stratagèmes pour fuirle destin que l'ordre masculin leur avait imposé ».

Preuve est faite en pleine guerre du wokisme contre le genre masculin blanc qu’un homme peut devenir le porte voix de laformidable métamorphose des femmes.

Annick GEILLE

Repères

Philosophe, romancier, essayiste, Pierre Péju a publié de nombreux récits comme La Petite Chartreuse (Gallimard, 2002, prix du Livre Inter 2003, film réalisé par Jean-Pierre Denis en 2005), Le Rire de l’ogre (Gallimard, 2005, prix du Roman Fnac) ou Effractions (Gallimard, 2022). Il est également connu pour ses essais sur les contes comme La Petite Fille dans la forêt des contes (Robert Laffont, 1981), sur l’enfance, le romantisme allemand ou sur l’oeuvre de E.T.A. Hoffmann (L’Ombre de soi-même, Phébus, 1992). Il a été directeur de programme au Collège international de philosophie

Extraits

Pierre Péju et la mythologie de la jeune fille dans l’imaginaire masculin

Une beauté obligatoire

« Déjà, les mythes les plus anciens proclamaient que la Jeune Fille doit être belle, forcément belle ! Comme si cette « qualité », qui est aussi une contrainte, suffisait à la définir. Cette beauté sur laquelle insistent aussi tant de poèmes, classiques ou romantiques, ou tant de récits modernes, ce plaisir visuel indiscuté (indiscutable ?), et qui n’est peut-être que l’attrait hypnotique du désirable, relève d’une convention narrative largement associée à une conception masculine traditionnelle des relations humaines, elle-même fondée sur un désir brut ou brutal que les rituels de séduction n’adoucissent que partiellement. »

Une innocence née des fantasmes patriarcaux

« Longtemps, pureté et chasteté furent présentées comme des qualités essentielles de la Jeune Fille. En plus de sa virginité (que tous les récits, épiques, bibliques, mythologiques ou fabuleux lui attribuent de façon obsessionnelle), c’est son « innocence » qui semble exigée de façon impérative. Un mélange d’ignorance des « choses de la vie » (donc des détails de la sexualité) et d’ingénuité. Il s’agit sans doute d’un pur fantasme masculin de réassurance qui aide à croire que la Jeune Fille, entre les mains de son seul et unique propriétaire, n’a jamais songé à folâtrer avec quelque freluquet de passage, à se donner à quelque puissant rival ou à se livrer à de désavantageuses comparaisons avec les performances sexuelles de quelque autre gaillard. Cette innocence rassure l’homme en tant que garantie d’une absence de jugement ou d’un manque de savoir.

Il importe donc que la fille soit « toute neuve », « sans connaissances ni tentations », quitte à l’enfermer avant le mariage, et à la surveiller de très près une fois les noces célébrées. C’est avec le personnage odieux et pathétique d’Arnolphe, dans la pièce de Molière L’École des femmes, que cette obsession masculine atteint, certes sous prétexte de comédie, un comble de ridicule et d’anxiété. »

L’enfermement des filles viseà donnerà leurs futurs « propriétaires »une garantie sexuelle

« Si la demoiselle, produit de luxe fabriqué à des fins de stratégie mondaine, n’était pas laissée dans une complète ignorance des choses de la vie, les filles de moindre condition que l’on enfermait au couvent étaient, elles, de véritables oies blanches, oiselles immaculées façonnées pour passer directement de l’autorité de leur mère à celle de leur mari. Couvées au couvent, on ne les en faisait sortir que pour les placer dans les mains de l’homme choisi par leur famille sans les consulter, monsieur dont elles ne découvraient parfois l’identité – et l’âge ! – qu’à la dernière minute. Ce pieux enfermement des filles, surveillées par mères supérieures et confesseurs, visait avant tout à onner une garantie sexuelle ».

Napoléon  ou le rien du féminin

« Comme le clamait Napoléon, au moment de la conception de son Code civil : « Moi, je compte les femmes pour rien ! »

La jeune fille dans la tragédie grecque

Cette Jeune Fille était bien sûr déjà présente dans les tragédies de Sophocle, Eschyle et Euripide, de façon encore plus singulière et plus troublante, dans ce rôle de la vierge sacrifiée. Situation d’autant plus paradoxale qu’au moment où les spectateurs grecs tremblaient pour Iphigénie, la société grecque avait depuis longtemps délaissé les sacrifices humains. Ce qui procurait la crainte et le tremblement, donc le plaisir, c’était justement que la mise à mort vienne d’un père aimé sans que cet amour en soit diminué, sans qu’une révolte survienne.

La jeune fille et son père

« Cette relation de la Jeune Fille au père, les mythes grecs l’évoquent évidemment de façon bien plus directe et brutale que le théâtre classique français. L’inceste y reste rigoureusement interdit, mais nombre de per- sonnages le transgressent allègrement dans une pro- fusion d’images splendides. Dans ses Métamorphoses, Ovide donne la parole à la jeune Myrrha qui raconte longuement l’attirance exclusivement sexuelle qu’elle a pour son père, Cyniras. Mais le poète fait précéder cette confession d’une Jeune Fille qui ne parvient pas à « se ranger », d’une dénonciation sans appel : « C’est un crime, Myrrha, que de haïr un père, mais l’amour que tu conçois pour le tien est un crime pire que la haine ! »

Une  jeune fille à surveiller de près

« Il importe donc que la fille soit « toute neuve », « sans connaissances ni tentations », quitte à l’enfermer avant le mariage, et à la surveiller de très près une fois les noces célébrées. C’est avec le personnage odieux et pathétique d’Arnolphe, dans la pièce de Molière L’École des femmes, que cette obsession masculine atteint, certes sous prétexte de comédie, un comble de ridicule

Tout roman trahit son auteur :

« Raconter est une activité humaine fondamentale mais extraordinairement complexe et riche de mille possibilités. Tout récit piège donc aussi son propre narrateur. Il le déborde. Il s’en joue. Tout roman trahit son auteur. Chaque belle histoire est pleine de ses propres contra- dictions. Son ambiguïté tient à l’écoute ou à la lecture hypnotique qu’elle fait naître. Toute narration, orale ou écrite, est l’occasion de faire survenir de multiples points de vue, de jouer d’inflexions et d’infléchissements. Toute image invite à de secrètes projections. Écouter avec atten- tion, lire en silence sont l’occasion de surgissement de fantasmes, comme de pensées paradoxales ou secrètes, et de plaisirs incontrôlés. Dans les plis et replis des contes immémoriaux, se cachent des sensibilités clandestines. Chaque narrateur ou narratrice peut alors insister sur des devenirs féminins très différents et contradictoires. Le fameux « fil principal » s’emmêle avec d’autres fils. On peut alors jouer à modifier, consciemment ou incon- sciemment, la courbe de la fatalité. Blanche-Neige en fuite dans la forêt profonde, Blanche-Neige en com- pagnie de ces petites créatures sans âge et difformes, Blanche-Neige momentanément sauvageonne loin des châteaux et des chaumières, donc des conventions et traditions : autant d’images forestières inoubliables d’une échappée qui aurait pu ne pas être provisoire. Voilà ce qui procure plaisir et rêverie. Initiative et énergie fémi- nines qui contrebalancent la vision d’une Blanche-Neige dont le corps, allongé passivement – elle est « comme morte », lit-on –, est offert au regard masculin. C’est ainsi que tous les récits, mythes, légendes et contes, qu’ils soient actuels ou millénaires, proposent, tels des blocs de cristal, une variété de facettes déconcertantes. S’ils évoquent le plus souvent, après la phase de fascination et d’éclat merveilleux, le basculement fatal de la Jeune Fille vers la conjugalité, la maternité, la royauté et bientôt, le passage à l’état de femme mûre puis de vieille femme, ils captivent pour des raisons plus troublantes, ou plus troubles ».

L’innocence de la jeune fille est un impératif catégorique de l’imaginaire masculin

« Longtemps, pureté et chasteté furent présentées comme des qualités essentielles de la Jeune Fille. En plus de sa virginité (que tous les récits, épiques, bibliques, mythologiques ou fabuleux lui attribuent de façon obsessionnelle), c’est son « innocence » qui semble exigée de façon impérative. Un mélange d’ignorance des « choses de la vie » (donc des détails de la sexualité) et d’ingénuité. Il s’agit sans doute d’un pur fantasme masculin de réassurance qui aide à croire que la Jeune Fille, entre les mains de son seul et unique propriétaire, n’a jamais songé à folâtrer avec quelque freluquet de passage, à se donner à quelque puissant rival ou à se livrer à de désavantageuses comparaisons avec les performances sexuelles de quelque autre gaillard (…).

Il importe donc que la fille soit « toute neuve », « sans connaissances ni tentations », quitte à l’enfermer avant le mariage, et à la surveiller de très près une fois les noces célébrées. C’est avec le personnage odieux et pathétique d’Arnolphe, dans la pièce de Molière L’École des femmes, que cette obsession masculine atteint, certes sous prétexte de comédie, un comble de ridicule et d’anxiété. »

La douceur nécessaire des oies blanches

« Si la demoiselle, produit de luxe fabriqué à des fins de stratégie mondaine, n’était pas laissée dans une complète ignorance des choses de la vie, les filles de moindre condition que l’on enfermait au couvent étaient, elles, de véritables oies blanches, oiselles immaculées façonnées pour passer directement de l’autorité de leur mère à celle de leur mari. Couvées au couvent, on ne les en faisait sortir que pour les placer dans les mains de l’homme choisi par leur famille sans les consulter, monsieur dont elles ne découvraient parfois l’identité – et l’âge ! – qu’à la dernière minute. Ce pieux enfermement des filles, surveillées par mères supérieures et confesseurs, visait avant tout à donner une garantie sexuelle ».

Les femmes ou rien, c’est pareil…

« Comme le clamait Napoléon, au moment de la conception de son Code civil : « Moi, je compte les femmes pour rien ! »

Les Fauteuses de trouble  

-Extraitde l’exposé du concept érotique néo- féministe d’une nouvelle collection intitulée : « LesFauteuses de Trouble»

« Investir la littérature pour dépeindre une vision juste et réaliste de leur sexualité est un défi de première importance pour les autrices. Rien n’est plus difficile que d’écrire une scène de sexe. Plus encore pour les femmes qui n’ont eu si longtemps pour s’exprimer que les mots des hommes. Terrain miné et marécageux, la sexualité féminine est sans cesse assujettie au seul imaginaire érotique masculin, constamment occultée par la prévalence d’images pornographiques phallo-centrées, quand elle n’est pas cantonnée au registre péjoratif de la new romance ( ?? NDLR). La représentation de l’intimité des femmes par elles-mêmes, trop souvent considérée comme scandaleuse ou impudique, ferait-elle encore peur ? La collection « Fauteuses de trouble » leur offre un espace de liberté totale pour inventer un nouveau rapport textuel, en inscrivant leurs corps et leurs désirs dans le champ littéraire, quitte à subvertir l’ordre établi.

A propos de cette collection néo-féministe.

Il existe aujourd’hui une nouvelle sorte de femme. J’en suis.Il existeune nouvelle sorte d’homme, j’en connais.Parce qu’ils sont du genre masculin, ceux-là sontparfois victimes de l’anathème féministe. Frédéric Beigbeder, par exemple a été censuré et attaqué par certaines harpies qui ne voyant pas plus loin que le bout de leurhaine, ont envahi sa maison, et couvert celle-ci de graffiti vengeurs. Son crime ? L’écrivain, en sa jeunesse folle ( qui dure car certains êtres sont ainsi),eut le toupet de dire au fil de ses œuvres son désir et son plaisir d’homme.Fréderic Beigbeder n’a violé ni forcé personne. Simplement, il incarne auprès des suffragettes incultes et barbares comme tous ceux qui ne lisent pas, ne savent paset se contentent de répéter la formule de la voisine, le séducteur souvent triomphant, donc le macho . Faire l’amour si l’on est une femme est un acte politique révolutionnaire digne du prochain roman de la première suffragette venue.Faire l’amour avec plaisir si l’on est homme est criminel, abject, immonde. Narrer ses amours -plaisir compris- n’est pas permis si l’on écrivain-homme et surtout, surtout si l’on s’appelle Frédéric Beigbeder.Ce sont ces mégèresqui jaillies des pages d’une bible du wokisme made in France, tombent stupidement amoureuses de vrais machos cette foiset se laissent victimiser, jouant auxinnocentes esclaves d’un monstre sexiste, pour mieux se plaindre ensuite dans leurs best-sellersà la mode  du fait qu’elles ont obéi à ses intimidations dégoutantes ; les pauvrettes étaient« sous emprise » (sic). Ces ex- esclaves repenties disent aujourd’hui combien cet homme qu’elles aimaient au point de faire ses quatre volontés était un salaud au sens sartrien du terme ( le contraire de Beigbeder, NDLR). Il faudrait faire halte cinq minutes sur ce concept bien commode d’ « emprise »…Personnellemet à douze ans comme à vingt, je n’ai jamais étésous « emprise » . C’est quoi, être sous «  emprise ? » C’est prouver qu’on n’a ni jugeotte ni caractère. C’est faire l’amour pour lui faire plaisir à lui, sans plaisir et sans désir parce que l’on est une buse incapable de dire « non, ça suffit ». Unefemmeobéissant à un monstreau point de devenir sa chose.De celles qui, toujours aussi sottement, vouentl’ancien chéri aux gémonies, dénonçant a posteriorila fameuse « emprise » decelui avec lequel elles couchèrentdes années durant « sous emprise ». Ces tricoteuses sont les envahisseuses du domicile saccagé de Frédéric Beigbeder ;elles trouvent très tendance le fait de couvrir sa maison de graffitis vengeurs, bien sûr. Comme elle ne le lisent pas, et qu’elles ne font que rédiger tout ou partie de leurs best-sellers guimauve publiés grâceau talent des éditeurs qui savent l’air du temps- ces « Fauteuses de trouble » sont les héroïnes du jour. Le grand méchant homme qui les tenait sous empriseest un monstre commode qui charrie leurs incapacités à devenir quelqu’un, une personne assez forte pour n’ être jamais sous emprise. « Que puis-je savoir des femmes si elles ne me veulent pas ? Je vois bien qu’elles ont d’abord à se découvrir, entre elles. Mais pourquoi serais-je un homme avant qued’être moi ? » demande un ami.Mieux vautremiser la théorie du genre avecles abus de la sottise militante d’aujourd’hui. Déboulonnons les statues de la bêtise. Si l’on est femme, onpeut et l’on doit être féministe sans pour autant devenir une tricoteuse. « Est anti-sexiste tout recherche sur la mutation des rôles masculins et féminins : par exemple sont anti-sexistes les hommes qui sont capables de douceur et de sensibilité, et les femmes capables de force et d’efficacité. Celles qui ne créent pas seulement des vies, mais des œuvres. »

Pendant ce temps,l’éditrice poursuit : « toutes les femmessont appelées à se raconter, à s’emparer du thème de la sexualité, heureuse ou malheureuse, libre ou sous contrainte, à explorer leur rapport au corps, indocile ou soumis, souffrant ou exultant. Articuler intimité et émancipation, érotisme et féminisme, corps et révolte, sexuel et textuel, telle est l’ambition de cette collection irrévérencieuse. Parce que l’intime est politique, ces différentes propositions textuelles seront l’occasion de raconter pour chaque femme la nécessaireréappropriation d’un « corps à soi », qu’il soit l’instrument d’une révolte, le lieu d’une jouissance, le siège d’une lutte pour la liberté. En faisant le récit d’une anecdote vécue, d’un souvenir, d’un fantasme, des mœurs d’un personnage réel, voire la relecture d’un classique, chaque autrice ne s’autorisera que d’elle-même pour déconstruire nos préjugés, enrichir nos représentations et raviver, sous un angle contemporain, la tradition marginalisée des textes intimes et érotiques féminins »Cela promet de ne pas être triste.François Nourissier m’avait faitune confidence lorsqu’il était éditeur chez Grasset :« les scènes érotiques sont toujours mauvaises car rien n’est plus difficile à écrire. Je les lis pour situer le niveau de l’œuvre.Parfois, c’est tellement mauvais que cela m’évite de poursuire » .

Aucune idéologie, aucun parti ne tiennent le coup devant la page blanche ; l’auteur/l’autrice (féministe, néo-féministe ou buse réactionnaire)estun écrivain, ou pas.C’est la seule chose qui compte en litterature Il n’y a pas d’exception à cette règle.La littératuren’est pas « masculine » ou néo-féministe.Elle advient, oupas. On est dans la littérature, ou à côté.Et qu’y-a-t-il de plus difficile à écrire, en effet, qu’une scène érotique ? Les plus grands se cassent les dents. Ce pourquoi sans doute le texte érotique idéal est signé Stendhal, figurantcet instantsacré durant lequel Madame de Rénal abandonne sa main à Julien (cf. Le Rouge et le Noir)…

« Madame de Rênal, qui se levait déjà, se rassit en disant, d’une voix mourante :

— Je me sens, à la vérité, un peu malade, mais le grand air me fait du bien.

Ces mots confirmèrent le bonheur de Julien, qui, dans ce moment, était extrême : il parla, il oublia de feindre, il parut l’homme le plus aimable aux deux amies qui l’écoutaient. Cependant il y avait encore un peu de manque de courage dans cette éloquence qui lui arrivait tout à coup. Il craignait mortellement que madame Derville, fatiguée du vent qui commençait à s’élever, et qui précédait la tempête, ne voulût rentrer seule au salon. Alors il serait resté en tête à tête avec madame de Rênal. Il avait eu presque par hasard le courage aveugle qui suffit pour agir ; mais il sentait qu’il était hors de sa puissance de dire le mot le plus simple à madame de Rênal. Quelque légers que fussent ses reproches, il allait être battu, et l’avantage qu’il venait d’obtenir anéanti.

Heureusement pour lui, ce soir-là, ses discours touchants et emphatiques trouvèrent grâce devant madame Derville, qui très souvent le trouvait gauche comme un enfant, un peu amusant. Pour madame de Rênal, la main dans celle de Julien, elle ne pensait à rien ; elle se laissait vivre. Les heures qu’on passa sous ce grand tilleul que la tradition du pays dit planté par Charles le Téméraire, furent pour elle une époque de bonheur. Elle écoutait avec délices les gémissements du vent dans l’épais feuillage du tilleul, et le bruit de quelques gouttes rares qui commençaient à tomber sur ses feuilles les plus basses. Julien ne remarqua pas une circonstance qui l’eût bien rassuré ; madame de Rênal, qui avait été obligée de lui ôter sa main, parce qu’elle se leva pour aider sa cousine à relever un vase de fleurs que le vent venait de renverser à leurs pieds, fut à peine assise de nouveau, qu’elle lui rendit sa main presque sans difficulté, et comme si déjà c’eût été entre eux une chose convenue.

Minuit était sonné depuis longtemps ; il fallut enfin quitter le jardin ; on se sépara. Madame de Rênal, transportée du bonheur d’aimer, était tellement ignorante, qu’elle ne se faisait presque aucun reproche. L’amour se fera, mais pas sous emprise.

Annick GEILLE

Copyright Pierre PEJU / « MÉTAMORPHOSES DE LA JEUNE FILLE » / OPPRESSION, ÉCHAPPÉES ET ÉMANCIPATION À TRAVERS LES SIÈCLES ET LES HISTOIRES/Robert Laffont/292 pages/22 euros/

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